Les Éditions du Conservatoire présentées par Anne Roubet
Mis à jour le 28 mars 2022
Principal canal de diffusion de la recherche au Conservatoire de Paris, Les Éditions du Conservatoire permettent de répondre à cet enjeu majeur qu’est la diffusion des savoirs.
Politique éditoriale, lien avec le monde de la recherche, différentes collections… Dans cet entretien, Anne Roubet décrit les activités de ce service contribuant au rayonnement de l’établissement et à l’élargissement de ses publics.
Pouvez-vous vous présenter et présenter votre rôle aujourd’hui au sein du Conservatoire ?
Je suis responsable du service des éditions, ouvert mi-2017 au moment de ma prise de poste. Pendant quatre ans, j’ai travaillé, en collaboration avec les autres services mais sans équipe dédiée, à la création d’une maison d’édition au Conservatoire, dont le projet d’origine s’est rapidement enrichi avec la création conjointe d’un label discographique. Depuis quelques mois, le service accueille une autre personne, Louis Vigneron, étudiant musicologue avec qui j’ai la chance de pouvoir travailler à mi-temps.
Je viens moi-même de la communauté pédagogique du Conservatoire, où j’ai enseigné différentes disciplines musicologiques, ainsi que la méthodologie de recherche auprès des élèves musiciens et danseurs. Ma mission de création des Éditions du Conservatoire, impliquant une reconversion professionnelle, s’inscrivait donc néanmoins dans la continuité de mon parcours d’enseignante musicologue : c’est le sens de mon implication directe dans l’écriture de plusieurs des ouvrages que nous avons publiés.
Pouvez-vous nous parler des Éditions du Conservatoire ?
Le projet de maison d’édition procède avant tout d’un émerveillement et d’une forme d’évidence. D’une part, l’équilibre tout à fait singulier que notre école cultive entre théorie et pratique, répertoire et création, tradition et innovation offre d’emblée le socle d’une identité éditoriale forte. Et d’autre part, le Conservatoire réunit tellement de talents et de compétences multiples que son potentiel de production est vraiment exceptionnel, tant sur le plan artistique que technique et intellectuel, et qu’il faut absolument le valoriser. La réalisation de productions éditoriales et la possibilité de commercialiser celles-ci sont d’ailleurs inscrites dans les statuts des deux Conservatoires nationaux supérieurs. La création de cette maison d’édition répond en outre à l’exigence de diffusion des savoirs et de valorisation de la recherche qui s’impose à tout établissement d’enseignement supérieur. Le développement d’une activité éditoriale largement diffusée fait donc partie intégrante de nos missions de service public, même s’il bouscule les habitudes et nécessite la mise en place, dans une organisation où les activités sont déjà plus que foisonnantes, de nouveaux circuits et processus de travail.
Un des enjeux majeurs de la création de cette maison d’édition, dans un contexte de crise du renouvellement du public de la musique et de la danse, est l’ouverture du Conservatoire à de nouveaux publics. Ce qui m’a guidée lorsque j’ai été amenée à proposer les premiers contours de notre ligne éditoriale, c’est la volonté de donner accès à chacun à la vie artistique et pédagogique de l’établissement, et de rendre non seulement intelligible, mais aussi et surtout sensible la réflexion des musiciens et des danseurs sur leurs pratiques d’interprétation et de création. C’est pourquoi le choix s’est porté, pour les premiers projets de publications, sur une forme aussi vivante et peu académique que possible, dialoguée et richement illustrée.
Pouvez-vous nous décrire les différentes collections ?
Pour le lancement de la maison d’édition dont il est l’initiateur, Bruno Mantovani, directeur du Conservatoire de Paris de 2010 à 2019, a souhaité publier sous forme d’entretiens trois témoignages forts de l’histoire récente de l’établissement, reflétant son ancrage dans la société et la création contemporaine : tout d’abord, un dialogue avec Alain Damiens, un musicien exemplaire par son double engagement dans l’enseignement et la création, professeur de pédagogie et clarinettiste à l’Ensemble intercontemporain ; ensuite, un beau livre retraçant l’histoire d’un festival partenaire de longue date de notre institution,
Et exspecto… Festival Messiaen au pays de la Meije. Vingt ans d’utopie ;
et enfin, un autre livre d’art célébrant les trente ans du bâtiment du Conservatoire et son architecte, Christian de Portzamparc :
Vers la lumière. Visions du Conservatoire de Paris. Pour donner à ces témoignages une forme qui soit la plus incarnée possible, nous avons sollicité le regard de trois photographes extrêmement talentueux : Philippe Gonthier, qui a fait le portrait d’Alain Damiens et des plus grands musiciens du second XXe siècle ; Colin Samuels, photographe de montagne qui a immortalisé dix saisons du Festival Messiaen ; et bien sûr Ferrante Ferranti, architecte de formation et photographe officiel du Conservatoire de Paris depuis 2011, qui a noué un dialogue très personnel avec Christian de Portzamparc.
Dialogue
L’entretien avec Alain Damiens a d’emblée été conçu comme le premier volume d’une collection, intitulée Dialogue, dont le deuxième numéro, rédigé par Lucie Kayas, sera consacré à Claude Delangle, professeur de saxophone et créateur d’un immense répertoire d’œuvres contemporaines.
Il était important de débuter par une collection qui assure un passage en douceur vers l’objet texte, en s’appuyant sur la transmission orale, beaucoup plus naturelle dans l’histoire de l’institution que l’écrit, avec lequel le rapport est moins immédiat. L’ancrage dans une pratique toujours en mouvement demeure en effet primordial pour nos artistes et enseignants, chez qui le passage à l’écrit et à une forme figée peut susciter une certaine appréhension, signe d’une humilité qu’il faut respecter tout en permettant de la dépasser. La forme de l’entretien s’y prête particulièrement, en offrant la possibilité de créer des binômes d’enseignants qui se complètent et dont les échanges sont ainsi particulièrement riches et stimulants.
Cette collection est appelée à connaître un développement important, dans un contexte de fort renouvellement générationnel : il est en effet primordial de conserver le plus possible la parole du très grand nombre de nos enseignants – près d’une centaine ! – qui partiront à la retraite dans les années à venir.
Transmissions
La nécessité de garder trace des enseignements de nos professeurs préside également à la création en cours d’une deuxième collection, que notre directrice Émilie Delorme a souhaité nommer Transmissions. Celle-ci réunira sous différents formats les contenus d’enseignement et les productions de recherche du Conservatoire : publications de cours, manuels à l’usage des étudiants, méthodes d’instruments… Mais aussi des ouvrages qui prennent davantage la forme de travaux académiques comme
l’essai en deux volumes du professeur d’esthétique Christian Accaoui :
fruit de vingt ans de recherche dans le cadre de sa classe au Conservatoire, son ouvrage reflète la singularité de sa démarche et de son enseignement, celui d’un musicien s’adressant à des musiciens en faisant appel à une grande variété d’apports disciplinaires (philosophie, histoire, théorie littéraire, sémiologie…), tout en gardant un lien constant avec l’écoute et l’analyse pour « faire parler les œuvres ».
Les productions de recherche, toujours plus nombreuses au Conservatoire, trouveront naturellement leur place dans cette nouvelle collection. Un changement culturel s’est en effet opéré ces quinze dernières années dans la vie du Conservatoire avec l’intégration dans le modèle européen Licence/Master/Doctorat à partir de 2008. La recherche a ainsi pris une place croissante dans les cursus (en deuxième et troisième cycles, bien sûr, et même en premier cycle dans le cadre de la préparation au Diplôme d’État), et tous les départements du Conservatoire y contribuent. Pour valoriser au mieux tous ces travaux, la politique éditoriale s’articulera étroitement à l’avenir avec la gouvernance de la recherche qui est en train d’être mise en place. Celle-ci s’appuiera sur des instances de validation scientifique fondée sur l’évaluation par les pairs, permettant notre pleine insertion dans le contexte de la recherche académique internationale. Nous avons d’ores et déjà publié en ligne, dans la section "Recherche et édition" de notre site internet, les actes de plusieurs colloques, et nous allons poursuivre ces publications dans les prochains mois.
Pouvez-vous nous parler brièvement du Label Initiale et de son développement, depuis sa création ?
Le Label Initiale publie, chez les disquaires et sur les plateformes d’écoute et de téléchargement, des albums conçus comme des « cartes de visite » pour les jeunes artistes, au moment où ils s’apprêtent à quitter le statut d’étudiants pour entrer pleinement dans le circuit professionnel. En tant qu’établissement public, nous nous autorisons avec ces premiers disques à soutenir des répertoires qui ne le seraient pas forcément par des labels privés. Mais nous tenons également à toucher un large auditoire, y compris les enfants : nous avons ainsi publié un livre-CD illustré, Le Voyage de Noah, un conte musical de Noël conçu et enregistré par le Quintette Altra. Le label s’est aussi ouvert au jazz et aux musiques improvisées avec notre dernière sortie, l’album ET TOC ! du pianiste Tom Georgel.
Notre catalogue a en outre la particularité de s’appuyer sur les travaux de recherche de nos étudiants, qu’il contribue à promouvoir dans un format sensible et accessible. Nous avons en effet au Conservatoire des interprètes qui mènent de front leur carrière de haut niveau de musicien et une recherche universitaire, en master ou en thèse, en particulier dans le cadre du doctorat « Musique Recherche et Pratique » en partenariat avec la Sorbonne. Sur les onze albums déjà parus, quatre sont ainsi issus de travaux de recherche très poussés :
L’un des premiers disques sortis est celui du claveciniste Jesús Noguera Guillén, qui a réalisé un master de recherche consacré à la musique espagnole du Siècle d’or à la Sorbonne. Il a notamment travaillé sur un traité qui lui a permis d’éclairer ce répertoire et de faire des propositions d’interprétation tout à fait nouvelles. Son programme est entièrement construit à partir de sa recherche musicologique.
>> Découvrir le CD de Jesús Noguera Guillén
Jean-Étienne Sotty et Fanny Vicens, accordéonistes, ont mené un travail très poussé sur l’innovation instrumentale. Ils ont créé un nouvel instrument, un accordéon micro-tonal pour lequel ils ont commandé des œuvres nouvelles. Ils ont donc à la fois innové en fabriquant un nouvel instrument, mais aussi en suscitant un nouveau répertoire. Dans le cadre de son doctorat, Jean-Étienne mène une recherche à la fois sur l’instrument et sur les possibilités de composition et de création de cette nouvelle lutherie.
>> Découvrir le CD de Jean-Étienne Sotty et Fanny Vicens
Julien Szulman, violoniste et maintenant soliste à Radio France, mène une recherche sur les années d’études de Georges Enesco au Conservatoire de Paris, qui l’a conduit à découvrir des œuvres méconnues à la Bibliothèque nationale. Le répertoire choisi est complètement issu de ces découvertes et son travail d’interprétation est lui aussi nourri de ces recherches, car il a trouvé des partitions annotées sur lesquelles il s’est fondé pour construire son interprétation.
>> Découvrir le CD de Julien Szulman
Plus récemment, Marie Soubestre, soprano en doctorat au Conservatoire, a proposé un programme autour des mises en musique par Hanns Eisler de poèmes de Bertolt Brecht. C’est un répertoire très engagé, avec des textes particulièrement émouvants sur la condition ouvrière et la montée du nazisme. Nous sommes très heureux que la compositrice Graciane Finzi, ancienne professeure de Marie qui lui a fait découvrir la musique d’Eisler, ait accepté une commande du Conservatoire pour ajouter à cet album une création mondiale, elle aussi sur des textes de Brecht, dans un style plus drolatique.
>> Découvrir le CD de Marie Soubestre
Quels sont les projets à venir pour votre service ?
En ce qui concerne le label, de nombreuses sorties sont prévues à partir d’avril prochain, dont un album consacré au compositeur Nicolas Mondon, qui termine lui aussi un doctorat dans une autre structure de recherche dont le Conservatoire est partenaire au sein de PSL, le laboratoire SACRe (Sciences, Arts, Création et Recherche). Nous préparons également un nouvel enregistrement réunissant autour de Thomas Gaucher différentes promotions du département de jazz et musiques improvisées.
Du côté de la maison d’édition, plusieurs projets sont en cours de finalisation. J’ai déjà mentionné le 2e tome de l’ouvrage de Christian Accaoui, l’entretien de Lucie Kayas avec Claude Delangle dans la collection Dialogue (dont Alexis Galpérine devrait être le prochain invité), et des actes de colloques. Dans la nouvelle collection Transmissions, nous allons également publier prochainement le 1er des six volumes de cours de Jean Saint-Arroman (l’œuvre d’une vie !) et un recueil d’exercices d’alto de Pierre-Henri Xuereb. Deux projets d’envergure devraient ensuite voir le jour : tout d’abord, le colossal travail d’édition critique de la Gazette des classes du Conservatoire (1915-1919) mené par Clément Carpentier en collaboration avec Arthur Macé, qui paraîtra sous la double forme d’une sélection imprimée et illustrée, complétée par une base de données exhaustive en ligne ; puis un manuel d’acoustique de Pierre-Antoine Signoret, professeur en Formation Supérieure aux Métiers du Son (FSMS). Un recueil collectif sur l’enseignement de la danse au Conservatoire est également en cours d’élaboration, ainsi qu’une formalisation de la recherche appliquée menée par Yves Sotin, professeur de chant, sur le bel canto et les méthodes de chant au XIXe siècle au Conservatoire. Enfin, nous commandons à nos jeunes diplômés en composition des œuvres pédagogiques destinées à une future collection d’initiation aux langages contemporains pour différents instruments. Des études chorégraphiques à la pédagogie, en passant par la musique ancienne, la musicologie, les disciplines vocales et instrumentales, classiques et contemporaines, les musiques improvisées, la composition et la formation aux métiers du son : tous nos départements seront donc mis en lumière !
Pour terminer, je tiens à mentionner le formidable travail du service audiovisuel, qui contribue quotidiennement à ce développement éditorial, et celui de l’ensemble des services « supports », que je remercie chaleureusement pour leur aide et leur patience. J’espère que l’écho grandissant que rencontrent nos publications et notre label sera une source de fierté pour l’ensemble de la communauté du Conservatoire.