Théories de l’analyse au cœur du projet sémiologique
Actes de la journée d'hommage à Jean-Jacques Nattiez à l'occasion de ses 70 ans (12 novembre 2015, CNSMDP)
La connaissance n’est autre chose que la perception de la liaison et de la convenance ou de l’opposition et de la disconvenance qui se trouve entre deux de nos idées.
John Locke, Essai philosophique concernant l’entendement humain (IV-1-1).
Il faut vraiment que vous m’expliquiez ce qu’est le structuralisme. Ça devient vraiment urgent. — Le structuralisme ? » dit Dempsey, arrivant avec un verre de sherry […] au moment même où Persse adressait sa supplique à Angelica. Il brûlait d’envie de faire de l’épate. « Ça remonte à la linguistique de Saussure. L’arbitraire du signifiant. La langue comme système de différences sans termes positifs. »
David Lodge, Un tout petit monde.
Comment philosopher sur le langage musical avec le seul langage des mots ? Une sémiologie de la musique n’est pas strictement une herméneutique musicale ; elle n’est pas non plus synonyme d’une philosophie de l’esthétique musicale. Depuis ses recherches de doctorat à la fin des années 1960, Jean-Jacques Nattiez, à la suite des enseignements de Georges Mounin et de Jean Molino [1], n’a cessé à l’aide de l’approche sémiologique de rendre compte des processus et des interactions à l’œuvre dans le contexte musical appréhendé comme un fait sémiotique, autrement dit comme un réseau de signes. Sur le chemin de la sémiologie musicale, nombreuses allaient être les propositions théoriques sur lesquelles méditer et avec lesquelles interagir : Claude Lévi-Strauss, Roman Jakobson, Nicolas Ruwet, Umberto Eco, mais aussi Roland Barthes ou encore Gilles-Gaston Granger. Une carrière musicologique où résonneraient, entre eux, les spectres de Hanslick, Wagner, Proust et Boulez, mais aussi les échos de Propp, Chomsky, Lerdahl, Jackendoff et Deliège. L’une des finalités récurrentes de la sémiologie musicale n’est pas seulement de se demander si la musique est un langage, si elle a une signification, mais bien de chercher à dépasser l’écheveau des structures, autrement dit le labyrinthe des relations fonctionnelles, pour mieux comprendre la musique, ou plus exactement les musiques, comme un paradigme impliquant un vaste faisceau d’universaux dont seule une musicologie « générale » pourrait rendre compte.
Contextualisation philosophique du concept de sémiologie
Depuis Le Cratyle de Platon, le langage est au cœur du questionnement philosophique. Mais plus encore, depuis l’Essai sur l’entendement humain [2] de l’anglais John Locke, où voit le jour la définition moderne du concept de sémiotique, le signe va devenir l’enjeu de réflexions aussi complémentaires que celles de Charles Sanders Peirce et le pragmatisme philosophique américain du XIXe siècle, de Ferdinand de Saussure et la linguistique ou phonologie structurale, et de Gottlob Frege et la logique, au tournant de 1900.
Le pragmatisme peircien, assez différent de celui de James, de Dewey ou de Mead, écrit Claudine Tiercelin « s’entendait surtout non comme une doctrine, mais comme une méthode de clarification conceptuelle, reposant sur une interprétation sémantique et sémiotique de la logique, qui devait, une fois éliminés les faux problèmes de la métaphysique, ouvrir à une nouvelle conception de l’enquête scientifique, de la signification et de la connaissance, au service d’une métaphysique scientifique et réaliste, fortement inspirée de Duns Scot » [3] : ses trois caractéristiques majeures seraient alors la critique du « platonisme nominaliste » au profit de l’affirmation du réalisme scotiste, la « manipulation des signes » comme méthode philosophique, enfin l’établissement d’une méthode scientifique, à savoir une enquête aboutissant à l’établissement de « croyances vraies ».
À la tripartition sémiotique où le signe est l’agent d’un processus de communication en trois phases (signifiant/signifié/référent), nous préférerions envisager le triangle comme une pyramide à cinq arêtes, ceci afin de revenir sur ce qu’est le processus en lui-même, autrement dit un enchaînement de cinq éléments : source, émetteur, canal, message, destinataire. Pourquoi ne pas remplacer ces cinq phases du processus de communication par cinq composantes qui seraient, en musique, le compositeur, la partition, l’interprète, le musicologue et l’auditeur en général ? Ce serait le moyen d’envisager que les interactions [4] entre niveau poïétique, niveau immanent et niveau esthésique s’inscrivent dans une dynamique plus complexe, mais que nous aurions souhaité voir prolongée à l’aide d’une visualisation à la fois plus systématique et plus souple à la fois.
Mais il ne s’agit pas ici de proposer une histoire de la sémiologie à partir du modèle peircien, mais bien de retenir les travaux de Charles Morris comme incontournables et de discuter des travaux de Jean-Jacques Nattiez à la lueur des propositions de ce philosophe américain dont les ouvrages fondateurs datent de 1938 et de 1946. Dans son essai de 1946, Signs, Language and Behavior (Signes, Langage et comportement), pour reprendre une présentation qu’en a faite Umberto Eco, Charles Morris « a proposé de distinguer trois façons de considérer un signe, distinction qui a été largement reçue dans le monde scientifique. Le signe peut en effet être perçu selon trois dimensions » : « sémantique », « syntaxique » et « pragmatique » [5]. Par « sémantique », Morris entend ici que le « signe est conçu dans sa relation à ce qu’il signifie » ; par « syntaxique », il entend que le « signe est abordé en ce qu’il peut être inséré dans des séquences d’autres signes, selon certaines règles de combinaisons » ; par « pragmatique », il entend que le « signe est perçu en fonction de ses origines, et des effets qu’il a sur les destinataires, les usages que ceux-ci en font… ». Je propose dès à présent de transférer cette tripartition « sémantique, syntaxique, pragmatique » dans le contexte de la musique et de choisir l’exemple d’une marche funèbre. À la suite d’échanges fructueux avec Anne Rousselin que je remercie vivement pour ses conseils, je serai tenté de substituer, à ces trois dimensions, celles de « l’expressif » [6], du « syntaxique » et du « contextuel ». Dans le cas d’une marche funèbre du répertoire (mouvement lent de l’Héroïque de Beethoven, mouvement éponyme de la Sonate de Chopin en si b mineur, Totenfeier de Mahler devenu le premier mouvement de la Symphonie dite « Résurrection »), l’expressif concernerait des topoi tels que le mineur, les rythmes pointés, les trémolos, l’écriture verticale, le balancement plagal ; le syntaxique, quant à lui, concernerait la dynamique du morceau au travers de ses interactions entre périodes contrastées, autrement dit l’organisation phraséologique et formelle du type « déploration/consolation/déploration » ; enfin, le pragmatique (ou contextuel) aurait à voir avec la manière dont le signe s’inscrit dans un contexte culturel donné. L’objet serait alors remis dans son contexte social. Dans le cas de la marche funèbre, ses enjeux fonctionnels (musique liée à des circonstances socio-politiques particulières) induisent que la marche (qu’elle soit composée par Beethoven, Schubert, Berlioz, Chopin ou Mahler) prolonge et stylise (déplacement du fonctionnel au concert) les caractéristiques des inflexions et des sonorités de marches funèbres, de processions militaires comme celles qui ont vu le jour dans les années révolutionnaires ou post-révolutionnaires. Réfléchir davantage à la tripartition syntaxique/sémantique/pragmatique qu’à celle qui concerne le processus qui va du poïétique vers l’esthésique en passant par le niveau immanent aurait le mérite, à mon sens, de ne pas trop essentialiser ce qui relève de la dissociation entre l’écrit et le perçu.
En effet, si j’insiste sur la tripartition syntaxique/sémantique/pragmatique, c’est pour constater que l’histoire de la sémiotique n’est ni plus ni moins qu’une histoire des tentatives de clarifier cette relation triadique. Or, il apparaît qu’il y a autant de sémiotiques qu’il y a de locuteurs/destinataires. Par cette expression, assurément polémique, j’entends que l’histoire de la sémiotique a généré des postures radicalement différentes selon que les écoles de pensée privilégiaient l’ordre du syntaxique, l’ordre du sémantique ou l’ordre du pragmatique. Pour le dire autrement, je remarque aujourd’hui (c’est peut-être dû au fait que j’appartiens à une génération qui a vu les approches de l’herméneutique remises en cause par les méthodes de la philosophie analytique) que les écoles philosophiques et linguistiques de ces deux derniers siècles n’ont eu de cesse de faire porter l’accent sur tel ou tel des points de cette triade. Je considère que la linguistique structurale privilégie le syntaxique. J’estime que l’herméneutique privilégie le sémantique. Je pense que l’histoire des idées privilégie le pragmatique. L’écheveau disciplinaire devient d’autant plus un imbroglio des postures épistémologiques quand on sait que la linguistique structurale, l’herméneutique et l’histoire des idées appartiennent à des champs disciplinaires qui relèvent davantage des prérogatives de la philosophie « continentale », autrement dit européenne. Or, parallèlement à ces champs disciplinaires, se sont développés d’autres champs singulièrement discutés dans la sphère anglo-saxonne : la linguistique générative (Chomsky, Jackendoff), la logique, la philosophie analytique du langage (de Russell et Carnap à Kripke) et le pragmatisme (de Peirce à Rorty). Il paraît assez opportun de placer, vis-à-vis de la linguistique, qu’elle soit structurale ou générative, la logique frégéenne et ses dérivés (celle de Bertrand Russell par exemple) ; en outre, il semble structurant d’opposer l’herméneutique (de Ricoeur par exemple ou Gadamer) à la philosophie analytique du langage (de Wittgenstein à Dummett et Searle) ; enfin, il est envisageable de mettre en regard l’histoire des idées et le pragmatisme. Par ces oppositions structurantes, je voudrais insister sur le fait que les sémiotiques de Peirce, de Saussure ou de Frege, bien que complémentaires, ont souvent été le reflet de démarches très divergentes.
La sémiologie, de Charles Morris à Umberto Eco, aura été alors à même de proposer une synthèse de ces dimensions du langage (Morris a accueilli Carnap aux États-Unis), afin de réunir en une seule et même démarche les approches syntaxiques, sémantiques et pragmatiques. Si la démarche sémiologique de Jean-Jacques Nattiez me semble porteuse d’une forte nouveauté méthodologique, c’est précisément – comme sur le modèle de la sémiologie d’Eco à propos de l’histoire des sémiotiques – qu’elle a proposé d’envisager une synthèse des disciplines musicologiques, de l’analyse à l’esthétique, de la sociologie à l’histoire de la musique, de l’ethnologie de la musique à la musicologie générale, entre processus génétiques et perceptifs.
Il n’en reste pas moins qu’essentialiser processus génétiques et faits perceptifs me semble discutable (essentialiser n’étant pas opposer, puisqu’il est admis qu’il y a bien un locuteur/émetteur et un destinataire/récepteur), le compositeur étant le premier auditeur de sa musique. Mais c’est surtout parce qu’il me semble que l’analyse musicale se doit de n’être pas seulement une approche fondée sur des mises en grille de comparaisons, c’est-à-dire une appréhension du « comment c’est fait », que j’axerai la suite de mon propos sur l’un des objets d’étude les plus féconds de la sémiologie appliquée à la musique, à savoir les constants focus que propose Jean-Jacques Nattiez sur les méthodes, c’est-à-dire les méta-discours. Depuis les Fondements d’une sémiologie de la musique de 1975 [7], jusqu’au volume II intitulé « Les savoirs musicaux » de l’encyclopédie Musiques publiée en France par Actes Sud et la Cité de la musique [8], la sémiologie de Jean-Jacques Nattiez a placé au cœur de sa méthodologie les enjeux de l’épistémologie (je dirais davantage les enjeux des théories) de l’analyse musicale : particulièrement, le chapitre V des Fondements d’une sémiologie de la musique de 1975, mais aussi l’ouvrage de 1987, en l’occurrence le chapitre VI consacré à l’analyse musicale, ou encore de nombreux passages dans la première partie du volume II de l’encyclopédie Musiques. En effet, l’analyse de la musique se situe au cœur du système sémiologique. Questionner les théories de l’analyse, c’est d’une certaine manière se demander comment s’articule le fait musical et son interprétation exégétique, c’est poser les relations subtiles entre les phénomènes écrits et la manière dont ils sont perçus, mais c’est surtout considérer que cette démarche, si elle est en apparence au centre de la relation triadique, voire l’une des arêtes de la pyramide, est bien cette posture qui permet de comprendre que syntaxe, sens et contexte culturel sont intrinsèquement liés.
Je partirai pour cela de la différence de statut qu’établit Jean-Jacques Nattiez entre, d’une part, la définition de la signification musicale intrinsèque que souhaite par exemple approcher l’analyse structurale et, d’autre part, la définition de la signification musicale extrinsèque que souhaite approcher l’esthétique ou l’herméneutique, par le biais de l’outil de l’analyse. Jean- Jacques Nattiez discute par exemple de cette dialectique intrinsèque/extrinsèque dans son Lévi-Strauss musicien [9], et surtout tout au long du chapitre qu’il consacre à la « signification musicale » dans le volume II de l’encyclopédie Musiques.
L’analyse n’est pas qu’un seul enjeu de comparaisons de structures. Pour autant, l’analyse musicale peut-elle s’appréhender comme la lecture d’un récit ? C’est bien ce qu’ont défendu depuis plusieurs années les tenants de la « narratologie musicale ». Jean-Jacques Nattiez insiste très justement sur le fait qu’une posture qui relèverait de la seule « narratologie musicale » n’a qu’en apparence défini la signification d’une pièce de musique. « Ce qui est en cause, ce sont les outils utilisés par les uns et les autres pour rendre compte de cette "narrativité" musicale, car ces outils sont eux-mêmes dépendants de la prémisse qui justifie la méthode : la musique [pour nous] comme le mythe ou la littérature, est un récit. Les choses sont, sémiologiquement, un peu plus complexes et nuancées, et, pour le comprendre, il convient de s’appuyer sur la tripartition déjà citée, qui distingue entre un niveau immanent, les stratégies créatrices (poïétique) et les stratégies perceptives (esthésique). Quand je lis la phrase : "La marquise sortit à cinq heures", je n’ai pas besoin d’un titre pour comprendre que j’ai affaire à un récit [10]. Au contraire, quand j’entends le début de Mazeppa de Liszt, il me faut savoir qu’il s’agit d’un poème symphonique pour aborder l’œuvre avec une intention […] : si la musique pouvait, par elle-même, être récit comme peut l’être le langage humain, elle nous parlerait directement et il n’y aurait plus de différence entre langage et musique. Or, jamais le début de l’Appassionata de Beethoven ne nous a dit : "Longtemps je me suis couché de bonne heure." Mais la narration n’est pas seulement inscrite dans la lettre du récit littéraire. Le texte est récit encore autrement : du côté des stratégies créatrices, il a été imaginé par l’écrivain ou le conteur ; du côté des stratégies perceptives, il est re-construit par le lecteur. […] [c]ela signifie bien que le récit proprement dit n’apparaît que lorsqu’une série temporelle d’objets et d’événements est prise en charge par un discours. Contrairement à ce que Lévi-Strauss laisse entendre plus d’une fois, le contenu narratif d’une musique n’est pas immanent à la musique elle-même : il est construit par celui ou celle qui l’écoute. » [11]
Ce qu’impliquent ces paragraphes cités, c’est que le sens d’une œuvre viendrait du discours qu’on projetterait sur elle. C’est tout à fait juste. Il n’en demeure pas moins que la musique en elle-même contient une cohérence que lui a apportée le compositeur. Le compositeur conçoit déjà une organicité musicale : l’œuvre se tient (ou pas). Le discours musicologique consiste donc, à mon sens, à percer à jour ce que l’œuvre est déjà à même de contenir dans son adéquation entre les éléments organiques et les phénomènes agogiques qui en résultent, mais aussi à l’illustrer par les faits historiques, culturels et esthétiques qui sont à l’origine de l’émergence de ces principes compositionnels et/ou par les faits historiques, culturels et esthétiques qui en résultent.
Théories de l’analyse comme méta-discours sur la musique
Avant de discuter de la validité d’une approche structurale appliquée à l’analyse musicale, et, d’une certaine manière, de se demander pourquoi Jean-Jacques Nattiez place au cœur de la « signification musicale intrinsèque » l’analyse paradigmatique [12], revenons quelque peu sur le fait que l’appréhension de la syntaxe et celle de la sémantique en analyse musicale sont en constante interaction, et pour cela on se doit, à la suite des réflexions sémiologiques en musique, de parler autant d’analyse que de méta-analyse. On pourrait pourtant croire qu’appartiennent au seul plan syntaxique, tout à la fois l’analyse paradigmatique (dont Ruwet donne les clés dans son article de 1962 et surtout celui de 1966) [13], les théories de la forme [14] (de Koch à Leichtentritt), les approches phraséologiques (de Riemann à Deliège), les théories fonctionnelles (de la théorie des degrés de Sechter à la cartographie des modulations hiérarchisées de Schoenberg), les approches réductionnistes et génératives (de Schenker à Lerdahl), les travaux sur les métaboles scalaires (de Constantin Brailoiu [15] à Jean-Louis Leleu [16] et moi-même), ou encore les perspectives ensemblistes et computationnelles (de la Set Theory de Babbitt, Forte, Carter et Rahn aux travaux de David Lewin). C’est un point qui est tout à fait saillant dans certaines contributions [17] du volume II de l’encyclopédie Musiques. Mais comme on l’a montré à propos de la marche funèbre, toutes ces théories musicales sont en réalité à la charnière entre syntaxe et sémantique. En effet, l’analyse est le produit de l’évolution de méthodes et d’objets de réflexion liés dès son origine à la notion plus vaste de théorie musicale. Si l’analyse musicale au sens actuel n’a de réalité que depuis quelques décennies à peine (l’analyse comme discipline, en France en particulier, a connu une institutionnalisation très tardive), on ne peut nier qu’on trouve au long des deux derniers siècles des « formes d’analyse musicale » [18].
Dans la première moitié du XIXe siècle, il existe deux types d’analyses : celles qui ont pour finalité d’illustrer une technique d’écriture (à l’intérieur d’un traité didactique) et celles qui viennent davantage étayer une réflexion esthétique d’ordre général. Les comptes rendus devenus célèbres comme l’article de Hoffmann sur la Cinquième Symphonie de Beethoven (1810) ou celui de Schumann (1835) consacré à la Symphonie Fantastique de Berlioz, et rédigé à partir de la transcription de Liszt, relèvent de la seconde catégorie. Les commentaires de Momigny sur la fugue de Haendel tirée de la Suite de clavecin n° 6 en fa # mineur (extraits du Cours complet d’harmonie et de composition, 1803-1806), ceux de Hauptmann sur l’Art de la fugue de Bach (1841), ou encore ceux de Simon Sechter (1843) sur le finale de la 41e Symphonie de Mozart relèvent de la première catégorie. Il est possible de penser que les exemples qui appartiennent ici à la première catégorie illustrent avant tout une forme de théorie appliquée du contrepoint sans refléter réellement un objet autonome d’analyse. De plus, l’approche de Momigny dans les 144 pages qu’il consacre au premier mouvement du Quatuor en ré mineur K 421 de Mozart semble encore tout entière marquée par la rhétorique [19]. Une telle attitude théorique est rendue possible en raison du nouveau statut que l’on confère à la musique instrumentale. La réception de l’œuvre de Beethoven, compositeur érigé en véritable mythe au XIXe siècle, a contribué très fortement au développement de l’analyse. Par « analyse », il s’agit donc de désigner avant tout un propos détaillé, mais souvent linéaire, sur le matériau d’une (ou de plusieurs) composition(s) exceptionnelle(s), illustré le plus souvent par des exemples musicaux. Paradoxalement, le XIXe siècle que l’on considère comme le siècle de l’historiographie triomphante est également celui des prémices de l’esthétique segmentée et synchronique, portée à son paroxysme au XXe siècle : le manuel analytique de Tovey sur les Sonates de Beethoven (« mesure à mesure »), publié en 1931, en est un exemple assez révélateur. La démarche analytique est alors normative, par le choix du corpus [20], et descriptive.
Quels sont alors les facteurs qui ont permis à l’analyse de se justifier pour elle-même ? Ian Bent précise que l’analyse, considérée comme objet d’étude contribuant à l’évolution du savoir théorique sur la musique, s’est développée conjointement à l’essor des théories de la forme musicale ou encore de celles de l’harmonie tonale et du contrepoint au cours du XIXe siècle. D’une certaine manière, ce changement progressif de statut du discours théorique va de pair avec la transformation du mode de représentation de l’œuvre dans le temps : à partir de la fin du XVIIIe siècle, on passe peu à peu de la conception rhétorique du discours musical (la cohérence du déroulement étant liée au principe de la dispositio baroque) à la notion moderne de forme. Dans un cas, la musique consiste en des moments successifs enchaînés, conçus de manière linéaire et coordonnée, dans l’autre elle est faite de moments conçus de manière hiérarchisée, subordonnés les uns les autres au service de la forme à grande échelle, par exemple. La structuration de la forme musicale au XIXe siècle est alors arborescente, autrement dit fonctionne selon un « rapport d’intégration » [21]. Les principes de la tonalité se stabilisant, c’est une logique orientée de la forme qui se développe. La dimension organiciste, réductionniste de l’analyse pouvait alors paraître adéquate pour illustrer ce nouveau paradigme.
Les progrès de l’analyse à la fin du XIXe siècle sont également indissociables de la rationalisation progressive du discours sur l’art (à l’ère du positivisme). L’une des métamorphoses de l’analyse moderne a consisté à désigner autant l’analyse d’un corpus que la démarche théorique au sens large. Il s’agit de parvenir à un élément fondateur dont découlerait l’ensemble des catégories musicales : ce peut être une logique tonale (théorie fonctionnelle de Riemann, théorie de la « structure fondamentale » de Schenker, théorie de la « monotonalité » de Schoenberg, « théorie générative » de Lerdahl et Jackendoff, théorie post-schenkérienne de Célestin Deliège…), une forme unificatrice (A. B. Marx et la Sonaten-Form, Assafiev et la forme-processus, Erwin Ratz, Charles Rosen, Nicholas Cook…), un motif unitaire (Schoenberg, Réti), un principe phraséologique de base (Riemann, d’Indy, Messiaen, Deliège et le modèle de l’arsis-thesis-katalexis ou ATK, transposition distanciée de la triade « anacrouse-accent-désinence » de d’Indy/Messiaen).
En matière d’universalisation et de systématisation du discours analytique dans des théories aux ambitions affichées, le XXe siècle va s’illustrer par trois moments clés. Le premier est lié aux nombreuses théories de la tonalité élaborées en particulier dans les pays de langue germanique au moment de la crise de celle-ci au début du XXe siècle. Le deuxième moment concerne le développement de la Set Theory, terme générique qui désigne un ensemble de théories compositionnelles autant qu’analytiques [22], sur le langage non tonal, qui se développent après la Deuxième Guerre mondiale aux Etats-Unis. Reprenant des éléments hérités de la théorie mathématique des ensembles, elles servent d’outils pour analyser la musique sérielle, mais aussi la sphère atonale libre, voire certains langages relevant d’une forme de « twelve-tone tonality », pour reprendre l’expression de George Perle [23]. Le troisième moment est celui de la rencontre de l’analyse avec des méthodes empruntées à la linguistique (sémiologie musicale, théories génératives de la musique…). C’est le temps où l’analyse se singularise comme discipline « triomphante ».
Méthodologie et débats musicologiques : Set-Theory, sémiologie et générativisme
Arrêtons-nous un instant sur les années 1980-2000. Au cœur des débats musicologiques de ces années furent placées, outre la théorie de Schenker qui relève du premier moment, la Set Theory qui relève donc du second moment. Jean-Jacques Nattiez a été l’un des témoins avec Célestin Deliège de ces nombreux débats et a préféré à l’adhésion béate la distance critique (son positionnement a été néanmoins très différent de celui de Deliège). Dans un article paru en 2012, j’ai quelque peu fait un point sur cela [24]. Pendant les années 1950-1980, un fossé s’était creusé entre la sphère analytique américaine et le monde musicologique francophone, en ce qui concernait les méthodes à privilégier et les outils à utiliser pour appréhender les répertoires de musique non tonale. Cet écart s’était d’autant plus accentué que la Set Theory relevait de principes analytiques et compositionnels développés en particulier par Milton Babbitt à partir des années qui avaient suivi la Deuxième guerre mondiale [25]. Or, on le sait bien, la musique sérielle américaine n’avait pas nécessairement la même aura en Europe (auprès des cercles de Darmstadt) que celle dont elle jouissait dans les universités américaines. La sphère francophone allait donc s’approprier, tardivement, des principes qui avaient plusieurs décennies d’existence et qui, surtout, avaient connu des amendements dans le cadre de la sphère analytique d’origine. Les débats entre compositeurs et musicologues américains avaient déjà été nombreux (de Babbitt à Lewin en passant par Carter, Perle, Forte, ou encore John Rahn et Robert Morris) [26].
Quatre raisons ont ainsi pu expliquer la réception problématique de la Set Theory en France, et plus généralement dans la sphère francophone : l’apparente opposition entre intuition et système théorique [27], le caractère contraignant de la méthodologie qu’implique un système théorique [28], le positionnement ambigu de la sphère musicologique à l’égard d’outils empruntés aux mathématiques, les problèmes plus spécifiques liés à l’arbitraire de tout système théorique. Ces raisons n’ont pas reflété – heureusement – des obstacles insurmontables. Au sein du monde francophone, deux critiques de la Set Theory sont ressorties particulièrement : celle, sémiologique, de Jean-Jacques Nattiez [29] et celle, générativiste, de Célestin Deliège [30]. Si la différence de démarche méthodologique entre Set Theory et approche sémiologique portait sur un critère d’ordre syntaxique, en l’occurrence l’épineux problème des choix de segmentation des unités musicales, la polémique entre Deliège et Forte a achoppé, plus généralement, sur la question de l’arbitraire d’un système théorique, au sens du conventionnalisme de sa formalisation. Cette polémique a par ailleurs fait porter l’accent sur une opposition entre l’abstraction de la Set Theory et la dimension concrète d’un discours privilégiant la nature hiérarchique de l’harmonie et la fonction sémantique de la perception [31]. Je souhaite ajouter à ces différents points la nécessité de prendre en compte la question, apparemment insoluble, de la conjonction entre un système analytique et une herméneutique musicale [32] , au sens où celle-ci est définie par Carl Dahlhaus [33].
C’est dans ce sens que les débats autour de la Set Theory renvoient de manière indirecte à la controverse Erklären/Verstehen (le dualisme expliquer/comprendre) qui se noue dans l’antagonisme entre la tradition « analytique » et la tradition « herméneutique ». Cet antagonisme fait partie des oppositions familières de notre modernité philosophique. D’un côté donc, la démarche empirique et positiviste et, de l’autre, la tradition idéaliste, souvent attachée à l’héritage phénoménologique. Comme le remarque Pascal Engel dans son article intitulé « L’espace des raisons est-il sans limites ? » [34], cet antagonisme s’illustre, sur le plan méthodique, par l’opposition qui anime « les partisans d’une division radicale » entre les Naturwissenschaften et les Geisteswissenschaften (autrement dit les sciences de la nature et celles de l’esprit), et « ceux qui rejettent cette opposition » ; en matière de philosophie du langage, cette opposition concerne d’une part les « partisans de la saisie [des] phénomènes [du sens] d’un point de vue objectif ou externe », et d’autre part « les partisans d’une saisie [de ces] phénomènes d’un point de vue interne à un logos humain précédant toute logique (comme sens pré-compris, selon le "cercle herméneutique") ».
En somme, de ces débats autour de la Set Theory, il ressort que la tradition herméneutique appliquée à la musicologie semblerait incompatible avec la démarche analytique. Ces raisons idéologiques expliquent que les débats qui ont animé les colloques consacrés à la Set Theory n’aient pas en réalité posé les véritables enjeux. D’ailleurs, la critique de Jean-Jacques Nattiez à l’égard de la Set Theory qui pourrait relever d’un recul de cet ordre est plus complexe. Sa critique de la segmentation de la Set Theory relève d’une imprégnation structuraliste qui propose d’autres modèles de segmentation, parfois également arbitraires. Une entente est pourtant possible. Elle s’incarnerait dans une synthèse de l’herméneutique européenne et de la tradition analytique américaine [35], considérée dans toute sa richesse et sa dimension protéiforme.
L’analyse paradigmatique : élargissements et perspectives
En guise de conclusion, je souhaiterais revenir sur le statut quelque peu problématique de l’analyse paradigmatique dans les écrits de sémiologie musicale. L’approche structuraliste de Lévi-Strauss fondée sur les acquis de la linguistique de Saussure et, surtout, sur la phonologie structurale de Jakobson [36], sont « moins la quête, comme on le dit trop souvent, des invariants des sociétés qu’il a étudiées que celle de leurs différences appréhendées comme des variations, en privilégiant les relations qui les font passer de l’une à l’autre » [37]. Si la méthode de Lévi-Strauss put, originellement, être inspirée par la lecture des Catégories matrimoniales et relations de proximité dans la Chine ancienne de Marcel Granet (1939) [38], elle fut surtout le fruit d’échanges intellectuels multiples, autant avec le linguiste Roman Jakobson qu’avec les ethnologues Marcel Mauss et Paul Rivet, pour ne citer qu’eux, sans omettre André Breton, dont l’imaginaire surréaliste marqua durablement l’auteur de Tristes Tropiques. Cet ensemble d’approches convergentes, autant que complémentaires, se cristallisa en un savoir ethnographique et ethnologique qui aboutit à la monumentale thèse sur Les Structures élémentaires de la parenté (1949), soutenue à la Sorbonne le 5 juin 1948. Il est intéressant de relever que le terme de « structure » est venu remplacer celui de « secteur » dans une lettre de Lévi-Strauss adressée à Paul Rivet le 6 décembre 1943 [39]. Un peu plus, et le structuralisme allait devenir le « sectorialisme » ! La méthode structurale de l’anthropologue Lévi-Strauss, en particulier celle appliquée dans l’article de 1955 portant sur le mythe d’Œdipe [40], a inspiré à Nicolas Ruwet une approche analytique du fait musical nommée analyse paradigmatique [41]. Si des prémices existent déjà en réalité chez Constantin Brailoiu et Gilbert Rouget, et si l’analyse paradigmatique pose déjà des problèmes de justification de la segmentation des unités de base [42], on sera d’autant plus vigilent vis-à-vis de cette méthode d’analyse qu’elle ne nous paraît pas très cohérente en matière de segmentation, en particulier quand elle concerne le prélude de Pelléas et Mélisande [43]. De même, quand l’analyse paradigmatique porte sur l’introduction du Sacre du printemps de Stravinsky [44], même si elle s’inspire également des approches complémentaires de Meyer (1973) [45] et de Narmour (1990) [46], elle nous semble ne pas suffisamment se focaliser sur les liens organiques entre le motif de base du basson et celui du cor anglais, pourtant si ouvertement reliés. C’est davantage encore à Syrinx de Debussy que je souhaiterais consacrer le cœur de ce point, en proposant de substituer à l’analyse paradigmatique de Jean-Jacques Nattiez [47] une présentation paradigmatique des métaboles scalaires (j’emprunte le terme autant à Brailoiu qu’à Dutilleux) qui me semble correspondre à une organicité beaucoup plus logique du discours musical : le matériau de la flûte est d’abord fondé sur une échelle à notes mobiles avec seconde augmentée, stylisant un geste musical antique (genre chromatique), comme improvisé, et s’oriente vers un déploiement pentatonique, voire hexatonique plus loin, qui aboutit à la révélation, in fine, de la gamme par tons. Celle-ci, ni vraiment instable, ni vraiment stable, laisse le discours ouvert sur une forme de suspension mystérieuse et paradoxale. Debussy la laisse émerger, à dessein, à la fin du morceau, en raison de son aura ambivalente. Ces métaboles scalaires, superposées de manière paradigmatique, seraient alors la parfaite illustration de l’adage debussyste concernant le discontinu symboliste : la musique de Debussy serait, en somme, un art fait de « touches successives, reliées par un lien mystérieux » [48].
Avec les développements de la sémiologie musicale initiée par les travaux de Nicolas Ruwet, Jean Molino et Jean-Jacques Nattiez, et ceux de la théorie générative de la musique inspirée de la linguistique de Noam Chomsky et de l’apport des sciences cognitives [49], l’analyse a déplacé le point d’ancrage de sa définition initiale. Selon Bent, « l’analyste concentre son attention sur une structure musicale […] et s’attache à définir ses éléments constitutifs et en expliquer leur action » [50]. Fred Lerdahl élargit la définition à des faits plus généraux de perception : ainsi, « éclairer, par des moyens musicaux techniques, l’audition de pièces de musique » importe autant qu’expliquer « les techniques à l’aide desquelles un compositeur assemble sa musique » [51]. Cet élargissement du champ de l’analyse ne pouvait qu’inviter à une réflexion générale ouvrant sur la possibilité de développer des formes de méta-analyse (histoire de l’analyse, analyse de l’analyse).
Tout bien considéré, les raisons qui expliquent que le XXe siècle ait vu l’analyse devenir une discipline institutionnalisée, dont la sémiologie musicale s’est avérée un symptôme parmi d’autres, auront été de plusieurs sortes. (1) La musique au cours du XXe siècle a connu un changement de paradigme et n’a plus été régie par un langage commun et univoque, en l’occurrence la tonalité. Il fallut qu’un discours, toujours plus systématique, explicite la singularité de la cohérence des œuvres musicales. (2) En France, la classe d’Olivier Messiaen a inauguré une forme d’enseignement moderne de l’analyse et n’a cessé de susciter des vocations qui reprirent ce modèle. Messiaen ne fut pas le premier compositeur à faire ce qu’on peut appeler de l’analyse dans ses cours [52], mais c’est en particulier dans la dénomination de sa classe et dans sa posture d’enseignant, qu’il a introduit des nouveautés. (3) Certains théoriciens de la musique ont eu la volonté de trouver des critères de plus en plus homogènes pour parler du phénomène musical en n’hésitant pas à emprunter certains outils à d’autres disciplines. (4) Une activité d’analyste indépendante de l’acte de composer a pris progressivement forme dans un statut « professionnel » de « chercheur-analyste » [53]. Cette émergence du « chercheur-analyste » est liée au développement concurrentiel des activités musicales et musicologiques à la fois dans les universités et dans les établissements spécialisés de musique. La première figure en France du « compositeur-chercheur en analyse » fut peut-être Jean Barraqué (1928-1973), nommé au CNRS au début des années 1960 [54]. (5) La rationalisation et la diversification des savoirs musicaux furent à l’origine de la création de champs disciplinaires qui n’existaient pas auparavant.
Pour citer cet article
JOOS Maxime, « Théories de l’analyse au cœur du projet sémiologique », Actes du colloque Autour des écrits de Jean-Jacques Nattiez (CNSMDP, 12 novembre 2015), Les Éditions du Conservatoire, 2021, https://www.conservatoiredeparis.fr/fr/theories-de-lanalyse-au-coeur-du-projet-semiologique.
Notes
[1] Les connaissances encyclopédiques de Mounin et de Molino, en particulier en matière de linguistique, l’ont très intensément nourri.
[2] Un Essai concernant la compréhension humaine, littéralement traduit. Ouvrage, il faut le souligner, contemporain de la Glorieuse Révolution de 1688.
[3] Cf. TIERCELIN, Claudine, C. S. Peirce et le pragmatisme, Paris, PUF, 1993.
[4] Ce que Jean-Jacques Nattiez explicite en particulier au cours des pages 97 à 121 de Musicologie générale et sémiologie (Paris, Bourgois, 1987), c’est-à-dire le chapitre III consacré au concept d’« œuvre musicale ».
[5] ECO, Umberto, Le Signe, Labor, Bruxelles, 1988, réédité au Livre de Poche, p. 41.
[6] Au sens de John Dewey. Cf. « L’acte d’expression » dans L’art comme expérience [1934], trad. fr., Paris, Gallimard, 2010, p. 132.
[7] NATTIEZ, Jean-Jacques, Fondements d’une sémiologie de la musique, Paris, Union générale d’Éditions, 10-18, 1975.
[8] Musiques. Une encyclopédie pour le XXIe siècle, II, 2004.
[9] NATTIEZ, Jean-Jacques, Lévi-Strauss musicien, Arles, Actes Sud, 2008.
[10] Mais s’agit-il réellement d’un récit ? « La marquise sortit à cinq heures » : voilà en effet une formule qui a donné naissance à plusieurs mises en situation qu’il s’agirait de contextualiser davantage, en particulier quand Claude Mauriac en fait le titre de son livre.
[11] NATTIEZ, Jean-Jacques, Lévi-Strauss musicien, p. 175-177.
[12] L’analyse paradigmatique comme méthode d’investigation comparative a également été historicisée et discutée par Claude Abromont dans le cadre de cette journée d’études et fait l’objet de son article publié dans ces actes.
[13] Ces articles sont reproduits dans RUWET, Nicolas, Langage, musique, poésie, Paris, Seuil, 1972, p. 70-99 et p. 100-134.
[14] De Koch à A. B. Marx, de Reicha à Czerny, de Lobe à Jadassohn jusqu’à Riemann, d’Indy et Leichtentritt.
[15] BRAILOIU, Constantin, « Un problème de tonalité », in Problèmes d’ethnomusicologie, textes réunis par Gilbert Rouget, Genève, Minkoff, 1973, en particulier p. 410.
[16] LELEU, Jean-Louis, « Structures d’intervalles et organisation formelle chez Debussy », in Claude Debussy. Jeux de formes, sous la direction de Maxime Joos, Paris, éd. rue d’Ulm, 2004, p. 189-219.
[17] COOK, Nicholas, « Forme et syntaxe », Musiques, II, p. 162-188, ou encore MEEÙS, Nicolas, « Polyphonie, harmonie et tonalité », Musiques, II, p. 116-133.
[18] Cf. DONIN, Nicolas, « Analyser l’analyse », in L’analyse musicale, une pratique et son histoire, Genève, Droz, 2009, p. 14.
[19] Cf. BENT, Ian (éd.), Music Analysis in the Nineteenth Century, Cambridge, Cambridge University Press, 1994 et BENT, Ian et William DRABKIN [1987], L’analyse musicale, histoire et méthodes, traduction française, Nice, Éditions Main d’Œuvre, 1998. Lire également JOOS, Maxime, « Théories de l’analyse musicale » in Éléments d’esthétique musicale, sous la direction de Christian Accaoui, Arles-Paris, Actes Sud-Cité de la musique, 2011, p. 22-27.
[20] En réalité, elle ne l’est pas tant que cela. A. B. Marx ne propose, par exemple, aucun modèle figé au travers de sa théorie des formes sonate. Cf. RIGAUDIÈRE, Marc, La Théorie musicale germanique du XIXe siècle et l’Idée de cohérence, Paris, Société française de musicologie, 2009.
[21] Cf. PREDA-SCHIMEK, Haiganus, « Regard sur la genèse des théories de la forme, entre classicisme et romantisme (1790-1845) », Musurgia, X/2, 2003, p. 63-76.
[22] Cf. en particulier Milton Babbitt, Allen Forte, John Rahn, Robert Morris, mais aussi Elliott Carter, George Perle, et l’analyse transformationnelle de David Lewin.
[23] PERLE, George, Twelve-Tone Tonality, Berkeley-Los Angeles-Londres, University of California Press, 1977.
[24] Cf. JOOS, Maxime, « Vingt ans de débats. La réception de la Set Theory dans la sphère musicologique francophone », in L’interprétation musicale, Actes du sixième congrès européen d’analyse musicale, sous la direction de Marie-Noëlle Masson, Sampzon, Delatour, 2012, p. 19-37.
[25] Consulter l’anthologie des écrits de Milton Babbitt, The Collected Essays of Milton Babbitt, edited by Stephen Peles with Stephen Dembski, Andrew Mead and Joseph N. Strauss, Princeton and Oxford, Princeton University Press, 2003.
[26] Lire en particulier les critiques formulées par Perle concernant les écrits de Forte.
[27] Il serait aisé de relever que l’enseignement de l’analyse (celui que l’on a un peu vite surnommé « enseignement de conservatoire ») a été en France plus ou moins réfractaire à la notion même de « système théorique », préférant une approche empirique et intuitive de l’analyse. En fait, cette constatation, si elle s’avère assez réaliste (c’est-à-dire dictée par le bon sens), n’en est pas moins discutable. D’Indy ou Messiaen, en partie à l’origine de la discipline analytique en France, n’ont-ils pas forgé des systèmes théoriques ? Fort de cette remarque, il est d’autant plus étonnant d’imaginer que des systèmes théoriques comme ceux de Schenker ou Babbitt aient suscité l’incompréhension, sauf si l’on émet l’hypothèse que ces systèmes théoriques ne sont pas du même ordre (intégration de critères de formalisation plus saillants que d’autres ; barrière de la langue…).
[28] Une des explications pourrait en effet être la suivante : mettre en place une analyse avec l’aide des outils de la Set Theory prend du temps (un temps que l’informatique permet d’économiser) et le « retour » n’est pas toujours à la hauteur de l’« investissement ». Si l’identification des PC-Sets (ensembles de classes de hauteurs) est une étape maintenant tout à fait aisée, le travail sur les complexes d’ensembles s’avère beaucoup plus exigeant (même s’il existe également aujourd’hui des logiciels pour cela).
[29] Lire de Jean-Jacques Nattiez « La Set Theory d’Allen Forte, le niveau neutre et la poïétique », Autour de la Set Theory, sous la direction de Moreno Andreatta, Jean-Michel Bardez et John Rahn, Delatour-Ircam, 2008, p. 223- 240.
[30] Célestin Deliège, « Théorie des ensembles et harmonie atonale : essai de cohabitation et chiffrage hiérarchique », Autour de la Set Theory, op. cit., p. 241-255.
[31] Ce point illustre une forme d’incompatibilité entre l’analyse des ensembles de la Set Theory et l’analyse générativiste dont se réclamait in fine Deliège (une conjonction Jackendoff-Lerdahl/Deliège apparaissant clairement).
[32] Cf. en particulier, dans mon article de 2012, ma critique de Forte qui porte sur l’absence de référence à la dimension proprement culturelle et symbolique du discours musical.
[33] Cf. DAHLHAUS, Carl, L’esthétique de la musique [1967], trad. fr., Paris, Vrin, 2015.
[34] Article publié dans le collectif intitulé Un siècle de philosophie. 1900-2000, Paris, Gallimard, 2000, p. 231-273.
[35] Peut-être sommes-nous là influencés par des lectures « extra-musicales », en particulier philosophiques, telles celles de Paul Ricoeur dans La Métaphore vive (1975) et Du texte à l’action. Essais d’herméneutique II (1986), ainsi que celles de Jürgen Habermas, en l’occurrence l’article intitulé « Philosophie herméneutique et philosophie analytique. Deux variantes complémentaires du tournant linguistique », traduit par Rainer Rochlitz, in Un siècle de philosophie. 1900-2000, op. cit., p. 177-230. On serait tenté également de se référer plus généralement aux écrits sur le pragmatisme. Cf. par exemple l’excellent essai de Claudine Tiercelin, C. S. Peirce et le pragmatisme, op. cit., 1993. La distinction, en matière de courants philosophiques, établie entre herméneutique européenne et tradition analytique américaine – distinction somme doute assez désuète en soi – n’est ici évoquée que sous forme de convention pour la commodité de la description et pourrait ainsi être dépassée. Cf. par exemple l’apport en matière d’esthétique musicale de Peter Kivy, The Fine Art of Repetition. Essays in the Philosophy of Music, Cambridge, Cambridge University Press, 1993 ou encore de Jerrold Levinson, L’Art, la musique et l’histoire, trad. J.-P. Cometti et R. Pouivet, Paris, Éd. de l’Éclat, 1998. Cf. également COMETTI, Jean- Pierre, MORIZOT, Jacques et Roger POUIVET, Questions d’esthétique, Paris, PUF, 2000, et DARSEL, Sandrine, De la musique aux émotions. Une exploration philosophique, Rennes, PUR, 2009.
[36] La rencontre avec Jakobson lors de l’exil aux Etats-Unis entre 1941 et 1947 fut déterminante pour l’évolution des travaux de l’ethnologue spécialiste des structures de parentés.
[37] LOYER, Emmanuelle, Lévi-Strauss, Paris, Flammarion, 2015, p. 9.
[38] Emmanuelle Loyer souligne aussi, de manière anecdotique, l’importance de l’observation d’un pissenlit !
[39] Lettre reproduite page 318 de la biographie d’Emmanuelle Loyer.
[40] Article dont des extraits sont reproduits par Jean-Jacques Nattiez dans Le Combat de Chronos et d’Orphée de 1993 (Paris, Bourgois) et dans Lévi-Strauss musicien de 2008.
[41] Cf. RUWET, Nicolas, op. cit., p. 70-134.
[42] Cf. l’article de Marc Chemillier intitulé « L’analyse paradigmatique. À propos de l’œuvre de Gilbert Rouget », dans L’analyse musicale, une pratique et son histoire, op. cit., p. 85-106, et ici même la contribution de Claude Abromont.
[43] Des lettres différentes pour caractériser des situations apparentées et surtout des lettres placées dans une même colonne, libellée « asymétrie », qui placent sur le même plan des entités d’une mesure et une entité de deux mesures). Cf. RUWET, Nicolas, « Notes sur les duplications dans l’œuvre de Debussy », Revue belge de Musicologie, 16 (1962), p. 57-70, reproduit dans Langage, musique, poésie, op. cit., p. 70-99. Cf. également NATTIEZ, Jean-Jacques, Lévi-Strauss musicien, op. cit., p. 91-92.
[44] Cf. NATTIEZ, Jean-Jacques, « La signification musicale », Musiques, II, p. 266-269.
[45] MEYER, Leonard B., Explaining Music, Berkeley-Los Angeles-Londres, University of California Press, 1973.
[46] NARMOUR, Eugene, The Analysis and Cognition of Basic Melodic Structures. The Implication-Realization Model, Chicago-Londres, The University of Chicago Press, 1990.
[47] Cf. NATTIEZ, Jean-Jacques, Fondements d’une sémiologie de la musique, op. cit., p. 348-355, dont il existe un résumé, synoptique et abrégé, dans l’ouvrage Analysis de Ian Bent et William Drabkin, 1987 (page 200 de la traduction française, op. cit., 1998).
[48] Debussy, in La Revue blanche, 15 avril 1901. Reproduit dans Monsieur Croche et autres écrits, Gallimard, 1971, rééd. augmentée 1987, p. 29. En réalité, cette expression, si révélatrice de l’esthétique de Debussy, porte sur Les Enfantines de Moussorgski.
[49] Cf. LERDAHL, Ray et Jay JACKENDOFF, A Generative Theory of Tonal Music, Cambridge (MA), MIT Press, 1983.