Jean-Jacques Nattiez ethnomusicologue, suivi d’un entretien avec François Picard
Actes de la journée d'hommage à Jean-Jacques Nattiez à l'occasion de ses 70 ans (12 novembre 2015, CNSMDP)
Introduction
Pourquoi Jean-Jacques Nattiez est-il incontournable en ethnomusicologie ? D’abord parce que la musique est au cœur de son travail. Elle n’est jamais un simple prétexte, mais l’objet central de sa recherche, dont il s’attache toujours à montrer la richesse tant du point de vue de sa structure interne que de ses relations avec de multiples autres choses. Ensuite, parce qu’il fait disparaître les frontières entre musicologie et ethnomusicologie : frontière entre les répertoires, puisque, des terres des Inuit de l’arctique canadien au Japon, de l’Ouganda au Mexique, de la France aux Etats-Unis, il s’intéresse à toutes les musiques avec la même passion et la même ouverture ; et frontière épistémologique, puisqu’il se place à l’écart du débat sur les champs académiques de la musicologie et de l’ethnomusicologie pour proposer un autre chemin, celui de la sémiologie musicale. Enfin, parce qu’il est particulièrement prolifique – il a publié une vingtaine d’ouvrages et plus de deux cents articles [1] – et a mené des projets importants pour l’ethnomusicologie, parmi lesquels on peut citer les disques qu’il a consacrés à la musique des Inuit (Canada), des Aïnou (Japon) et des Baganda (Ouganda) [2], la réédition, avec Laurent Aubert, de la Collection universelle de musique populaire de Brăiloiu [3], et la direction de l’encyclopédie Musiques. Une encyclopédie pour le XXIe siècle [4], qui réussit à mettre à mal certaines pratiques abusives ancrées dans la musicologie et dans l’ethnomusicologie – l’utilisation de catégorisations binaires, par exemple – et à proposer un nouveau regard sur ces disciplines et leurs savoirs. Bref, Jean-Jacques Nattiez est un chercheur fascinant, et après cinquante ans de carrière, force est de constater que son appétit pour la recherche musicale est intact, tout comme la foi incomparable qu’il a dans sa méthode.
Cet article, à vocation didactique, présente quelques réflexions sur les apports de Nattiez à l’ethnomusicologie. Il s’appuie sur plusieurs exemples, dont le principal, la danse d’initiation au mariage mbaga des Baganda d’Ouganda, lui est directement emprunté. Il s’articule en quatre points : la musique et son extérieur, la sémiologie musicale, la tripartition et discussion.
Pourquoi Jean-Jacques Nattiez est-il incontournable en ethnomusicologie ? C’est aussi la question que j’ai décidé de poser à un autre remarquable ethnomusicologue, François Picard, dont le projet d’une musicologie analytique généralisée possède des liens certains avec celui de Nattiez, lors d’un entretien dont le lecteur trouvera la transcription à la suite de cet article.
Décrire la musique et son extérieur
Pour la plupart des ethnomusicologues, l’analyse musicale doit s’intéresser en premier lieu aux éléments internes de la musique, de la combinaison desquels celle-ci naît en tant qu’objet sonore. L’analyse des paramètres musicaux, l’analyse formelle, l’analyse paradigmatique, etc., sont des moyens dont le chercheur dispose pour mener à bien cette étape, dont l’objectif est de dégager une systématique musicale.
Cependant, la musique n’est jamais une forme pure. Elle s’inscrit dans quelque chose de plus grand qu’elle-même, son « extérieur ». L’extérieur de la musique est d’abord naturel : il s’agit de l’environnement physique dans lequel vivent les humains. Il est aussi culturel, constitué de faits linguistiques, politiques, historiques, religieux et artistiques, qui sont caractéristiques d’une société et qui évoluent avec elle. Les ethnomusicologues s’intéressent de près à cet extérieur, car ils considèrent que la façon dont la musique interagit avec son environnement a des incidences sur la musique elle-même. Cette autre étape de la recherche ethnomusicologique, qui peut impliquer des enquêtes de terrain, l’apprentissage d’une langue, l’observation de différents moments de la vie des musiciens ou encore la participation à des rituels, permet au chercheur de se distancier de son propre point de vue et d’adopter le point de vue endogène.
C’est en reliant les deux volets de leur recherche que les ethnomusicologues aboutissent, si tout se passe bien, à une analyse culturellement pertinente de la musique, qui reflète à la fois le son, ses fonctions et ses représentations au sein d’une société donnée.
Mais comment passe-t-on de la description de la musique et de son extérieur à la compréhension de la musique ? Plusieurs courants ont influencé les ethnomusicologues dans leur façon de penser les relations entre la musique et son extérieur.
Parmi eux, le structuralisme de Lévi-Strauss a probablement joué le plus grand rôle[5]. D’après celui-ci, chaque société développe un système de représentation transversal et non pas un système de représentation par type de choses. Les humains perçoivent et façonnent la réalité, expérimentent et expliquent leur environnement, grâce à des modèles, qui agissent comme des filtres. A l’intérieur de chaque société, ces modèles existent en nombre réduit, ce qui assure la cohérence de son système de pensée. Ainsi, les humains tendent à rapprocher des choses disparates et à prêter à des faits éloignés des structures homologues. L’immense contribution de Catherine Basset sur le gamelan de Bali peut être qualifiée de structuraliste, en ceci qu’elle démontre que certains aspects de la musique, tels que la métrique circulaire et les mélodies palindromiques, résultent de l’utilisation du modèle concentrique, qui est un « modèle culturel majeur » en Indonésie, puisqu’il détermine également la conception de l’univers, la conception de la personne, l’organisation politique et les formes graphiques [6].
Un autre type d’explication, dite culturaliste, considère que la culture engendre chez ses membres des concepts et des comportements qui influent sur leurs pensées, leurs goûts et leurs productions matérielles ou symboliques. Steven Feld est l’un des représentants de cette tendance. Dans son ouvrage Sound and Sentiment, il établit que les Kaluli de Nouvelle-Guinée utilisent une même taxinomie pour classifier les chants d’oiseaux, leurs expressions musicales et les relations avec les morts, mais surtout qu’ils relient les trois domaines d’un point de vue cognitif, puisque la pratique de la musique favorise les relations avec les oiseaux et les morts, tout comme les relations avec les morts influencent la musique et les relations avec les oiseaux et la connaissance des oiseaux facilite la compréhension du monde des morts et la musique [7].
Pour Nattiez, ces explications, sans être fausses, ne prennent pas suffisamment en compte la dimension hautement symbolique de la musique [8]. En effet, la musique peut, mieux que toute autre activité, stimuler l’émotion, l’imagination et le rêve dans l’esprit humain [9]. Elle peut donc entrer en résonance avec une infinité de choses. Elle est en outre perçue différemment d’un individu à l’autre, car chaque être humain possède des sentiments et un vécu uniques. La solution qu’il propose est de recourir à un axe de recherche spécialisé dans les associations créées par la musique, la sémiologie musicale.
La sémiologie musicale
La sémiologie musicale est née dans les années 1970 sous l’influence de Jean Molino et de Jean-Jacques Nattiez [10]. Elle considère que toute musique est le point de départ d’un univers infini de signes, qu’elle se propose d’étudier, en croisant des méthodes issues de la phonologie, de la linguistique et de la psychologie expérimentale.
Comme beaucoup de sémiologues, Nattiez retient, pour définir le signe, une des propositions du logicien américain Charles Sanders Peirce :
Un signe ou representamen est quelque chose qui tient lieu pour quelqu’un de quelque chose sous quelque rapport ou à quelque titre [11].
Le signe est donc une chose vague (« quelque chose ») qui ne se définit pas par lui-même, mais par son rapport à autre chose. Cette seconde chose, tout aussi vague, est déterminée par un esprit humain (« pour quelqu’un »). C’est aussi un symbole, puisque, nous dit Peirce, il « tient lieu », c’est-à-dire qu’il représente autre chose que lui-même.
Toujours en accord avec Peirce, Nattiez refuse d’adopter une typologie des signes hermétique et, dès ses premières publications, soulève la question de la fragilité des classifications proposées, d’une façon générale, par les sémiologues [12]. Il rappelle que les signes sont présents dans tous les domaines de l’expérience humaine et ne présentent pas de caractéristiques constantes d’un domaine à l’autre. Par leur essence-même, les formes symboliques créent des signes qui n’entretiennent pas nécessairement de lien logique et forment un ensemble hétérogène. C’est pourquoi il est vain d’essayer d’en donner une classification trop stricte.
Afin de caractériser les signes qui se manifestent dans la musique, Nattiez propose, en lieu et place d’une classification, deux opérations [13]. La première consiste à distinguer les signes intrinsèques à la musique de ceux qui lui sont extérieurs. Les citations du texte musical, qui découlent de l’utilisation de thèmes ou de motifs, et les références à des œuvres plus anciennes, auxquelles la musique emprunte inévitablement, sont des signes intrinsèques. Ils s’opposent aux signes extérieurs ou extrinsèques, qui ne possèdent pas de lien direct avec la musique et adviennent pour des raisons affectives, culturelles ou idéologiques. La seconde opération consiste à dégager, pour chacun des signes extrinsèques, ses qualités naturelles.
Dans le cas des musiques traditionnelles, Nattiez repère quatre qualités que les signes peuvent cumuler. Il utilise, pour les désigner, des circonlocutions qu’il emprunte à Jean Paulus [14]. Lorsqu’il y a « recours à des procédés substitutifs du langage », le signe transmet un contenu sémantique, qui sera généralement compris de ceux qui connaissent la langue. Dans le cas où le signe possède une « dimension signalétique », il agit comme un message codé, qui permet une communication rapide avec ceux qui connaissent la convention utilisée. Il peut indiquer une situation ou inviter à une action. À l’inverse, les signes qui revêtent des « aspects symboliques, dénotatifs et connotatifs » associent entre elles des choses sans qu’aucune convention ne soit exprimée. Enfin, les « renvois indiciels au politico-social et à l’idéologique » sont liés à des circonstances particulières. Ils ne seront plus présents si la situation se modifie, mais doivent être repérés, afin de ne pas être confondus avec des éléments structurels de la musique étudiée et parce qu’ils apportent des informations essentielles sur le contexte qui entoure cette musique.
L’analyse de la danse d’initiation au mariage mbaga des Baganda d’Ouganda, que Nattiez a menée avec Nannyonga Tamusuza [15], met parfaitement en avant l’existence, dans la musique, de signes extérieurs qui revêtent tous ces traits.
Le motif mélodico-rythmique qui imite l’intonation et le rythme de la phrase « baakisimba ekitooke » – « ils l’ont planté, le bananier » – est un substitut de langage. Associé aux gestes des danseuses, qui miment l’enfouissement de graines de bananier dans le sol, il permet aux locuteurs baganda de deviner les mots, alors qu’ils ne sont pas prononcés. Ce motif possède une seconde qualité, car son arrivée est synonyme, pour les danseuses, d’un changement de chorégraphie. Il est donc également signalétique.
Les signaux sont utilisés en abondance dans le mbaga. La performance complète se compose de plusieurs séquences qui doivent être enchaînées, alors que la longueur et l’ordre de chacune d’elles ne sont pas strictement fixés par avance. Lorsque le percussionniste principal décide de passer à la séquence suivante, il s’exprime par le biais d’une formule rythmique spécifique, que les danseuses (ou la danseuse meneuse, ce qui est suffisant) interprètent instantanément comme la demande d’un changement de séquence, et donc d’un changement de pas. Dans cette musique de danse, les signaux permettent donc aux danseuses et aux musiciens de rester coordonnés dans l’enchaînement des séquences.
Le mbaga contient également des symboles. On distingue, par exemple, dans la forme des deux tambours une représentation des genres, le tambour mâle ayant une forme phallique, tandis que le tambour femelle possède un fût large et arrondi qui évoque le ventre d’une femme enceinte.
Enfin, chaque performance de mbaga est porteuse d’indices de situations singulières. Par exemple, selon qu’il souhaite permettre à une danseuse d’exprimer tout son talent ou au contraire l’en défendre, le percussionniste principal peut répéter les motifs préférés de cette dernière ou en limiter les occurrences. La sympathie entre danseuses et percussionnistes peut donc influer sur la longueur des séquences.
Revenons maintenant à la notion de signe. Dans la suite de sa définition, Peirce écrit :
[Le signe ou representamen] s’adresse à quelqu’un, c’est à dire qu’il crée dans l’esprit de cette personne un signe équivalent ou peut-être un signe plus développé. Le signe qu’il crée, je l’appelle interprétant du premier signe. Ce signe tient lieu de quelque chose : de son objet. Il tient lieu de cet objet, non sous tous rapports, mais par référence à une sorte d’idée que j’ai appelée quelquefois le fondement du representamen [16].
Le representamen est donc le signe premier, duquel naît un autre signe, appelé interprétant. Le signe premier et son interprétant tiennent tous deux lieu d’une même chose, leur objet. Mais, pour Pierce, cette triade ne s’arrête pas là et l’interprétant du premier signe va donner une infinité de nouveaux interprétants, ce que Granger reformule et schématise ainsi :
[Un signe] est une chose reliée sous un certain aspect à un second signe, son « objet », de telle manière qu’il mette en relation un troisième signe, son « interprétant », avec ce même objet, et ceci de façon à mettre une relation une quatrième chose avec cet objet et ainsi de suite ad infinitum [17].
Le triangle sémiotique de Pierce, vu par Granger [18].
Toute forme symbolique donne donc lieu à des chaînes interminables, dans lesquelles chaque signe s’inscrit dans une relation triadique avec l’objet auquel il se réfère et son interprétant – pour adopter la terminologie de Nattiez, on parlera aussi de renvoi –, qui lui succède.
Pour être complète, l’analyse musicale ne doit donc pas se contenter de dégager les qualités de certains signes, mais examiner aussi les chaînes de signes créées à partir de la musique.
Cet objectif peut paraître irréalisable, puisque ces chaînes sont, d’une part, infinies et, d’autre part, présentes dans l’esprit d’individus qui sont tous uniques. Mais les signes ne s’enchaînent pas de manière complètement aléatoire, même s’ils naissent de façon incontrôlée dans l’esprit des individus. Il existe des facteurs de détermination, des « conduites-types », qui expliquent que certains segments de chaînes se retrouvent chez un grand nombre de personnes. Pour François Delalande, ces conduites sont « indépendantes de la personnalité du sujet et des circonstances particulières de l’échange [19] ». Chacune découpe un plan de pertinence, c’est-à-dire qu’elle correspond à un groupe d’individus qui donneront à partir d’un même signe le même type de renvoi [20]. Selon les cas, le groupe d’individus à considérer peut être la société toute entière ou des ensembles plus petits : groupes d’âge, groupes professionnels, groupes culturels, groupes cultuels, etc.
L’exemple de la musique de la danse mbaga peut, une fois de plus, illustrer notre propos. Sachant combien il est important, dans la culture traditionnelle baganda, d’avoir une descendance qui, seule, peut rendre le culte approprié aux parents décédés et garder ainsi leurs âmes vivantes, il est possible que le motif « baakisimba ekitooke » donne naissance, dans l’esprit des Baganda qui vivent selon la tradition, à l’un des segments de chaînes suivants :
- le motif tambouriné crée le signe « planter le bananier », qui renvoie à la nourriture, qui renvoie à la nécessité de nourrir une famille, qui renvoie aux enfants, qui renvoient à la survie spirituelle des parents après leur mort,
- le mouvement de talon des danseuses renvoie au pénis de l’époux, qui renvoie au coït des mariés, qui renvoie à la nécessité de fonder une famille, qui renvoie aux enfants, qui renvoient à la survie spirituelle des parents après leur mort,
- le mouvement de talon des danseuses renvoie aux graines fictives de bananier, qui renvoient à la « graine » du bébé à venir, qui renvoie aux enfants, qui renvoient à la survie spirituelle des parents après leur mort.
Mais de tels segments peuvent être partiellement ou totalement absents des chaînes créées dans d’autres groupes. Comme le suggèrent les résultats d’une enquête de Nattiez et Nannyonga Tamusuza auprès de quarante étudiants de Kampala [21], les Baganda qui n’ont appris le mbaga ni dans le cadre familial ni à l’école ne créeront pas tous ces segments, puisqu’un certain nombre d’entre eux ne repèrent déjà pas le caractère sexué des tambours ou inversent leur genre. A fortiori, les membres d’une culture plus éloignée ne retrouveront pas ces significations et créeront des chaînes de signes différentes et probablement plus personnelles que dans le cas où ils auraient écouté une musique plus familière.
La tripartition sémiologique
Pour Molino, toutes les formes symboliques, qu’il s’agisse du langage, de la musique, des arts graphiques ou encore de la religion, induisent une forme d’échange [22]. Elles nécessitent un émetteur, que d’autres appellent destinateur, et un ou plusieurs destinataires ou récepteurs. Elles possèdent donc trois dimensions : une dimension poïétique, qui touche à la production de l’objet – message ou œuvre –, une dimension neutre, c’est-à-dire l’objet ou la « trace » matérielle produite, et une dimension esthésique, qui correspond à la réception de l’objet [23].
Mais, alors que le langage véhicule un message auquel est attaché un sens précis, dans le cas des autres formes symboliques, l’émetteur et le récepteur n’accordent pas à l’objet les mêmes significations. Les chaînes créées au niveau poïétique et au niveau esthésique contiennent des signes qui peuvent avoir été placés là volontairement ou involontairement, mais sont toujours, en grande partie, fonction de stratégies actives et différenciées [24]. C’est pourquoi, lorsque Nattiez adapte le célèbre schéma de la communication verbale de Jakobson à la problématique musicale – schéma qui se développe dans une seule direction –, les positions respectives de l’émetteur et du récepteur se retrouvent toutes deux tournées vers la trace-musique.
Positionnement du destinateur, du message et du destinataire dans la situation de communication verbale d’après Jakobson [25].
Positionnement de l’émetteur, de la trace et du récepteur dans la situation d’échange musical d’après Nattiez [26].
Nattiez accorde une place essentielle à cette tripartition, qu’il érige en véritable méthode. « Le pari de la sémiologie musicale, dit-il, c’est que la connaissance de tous les processus déclenchés depuis la conception d’une œuvre jusqu’à son audition, en passant par son ‘écriture’ et son interprétation, bref la connaissance d’ensemble du phénomène connu sous le nom de musique, suppose la reconnaissance, l’élaboration et l’articulation de trois niveaux relativement autonomes, le poïétique, le neutre, et l’esthésique [27]. » Les trois niveaux doivent donc être étudiés séparément, afin de produire des connaissances, qui participeront toutes à la compréhension exacte de l’objet.
L’étude du niveau neutre doit intervenir en premier et être pratiquée à partir d’un matériau musical consolidé sous la forme d’une partition, d’une transcription ou d’un enregistrement. Elle prend en compte l’ensemble des propriétés immanentes de la musique, c’est-à-dire les paramètres musicaux, mais aussi les nombreux signes, intrinsèques ou extrinsèques, qui lui sont consubstantiels. La description, éventuellement couplée à la lecture de descriptions antérieures, est l’unique outil d’analyse applicable à ce niveau.
L’étude du niveau poïétique décrit le processus compositionnel dans son ensemble. L’état d’esprit du compositeur, ses référents personnels et culturels, ses obligations professionnelles et les éventuelles contraintes auxquelles il a fait face pendant la création de l’œuvre sont examinés. Cette étude permet de dégager le sens que le compositeur a donné à son œuvre, en mettant en lumière les signes qu’il y a placés, de façon consciente ou inconsciente. Une rencontre avec le compositeur, lorsque celui-ci est vivant, est recommandée. Il est aussi possible de travailler à partir de biographies, de correspondances ou d’autres témoignages laissés par le compositeur.
Enfin, l’étude du niveau esthésique consiste à interpréter le discours des récepteurs de la musique, qui forment parfois un groupe homogène – c’est le cas de certaines musiques jouées à huis-clos – ou au contraire un ensemble hétérogène, dans lequel il faudra identifier un certain nombre de sous-groupes. Elle se base essentiellement sur des entretiens.
Les résultats des analyses des trois niveaux ne se correspondent pas nécessairement, car les signifiants, présents dans le matériau musical, et les signifiés, que l’on trouve au niveau poïétique et esthésique, sont autonomes. En outre, il peut exister des discordances d’interprétation au sein d’un même niveau, en particulier au niveau esthésique, lorsque celui-ci est fractionné en plusieurs sous-groupes. Les étudiants de Kampala qui pensent que le plus gros des tambours accompagnant la danse mbaga représente le mâle, parce qu’il émet les sons les plus graves, produisent des signes contraires à ceux des auditeurs plus avertis et un contre-sens par rapport aux traditions musicales d’Afrique subsaharienne, où le tambour grave représente toujours le sexe féminin. Mais, il est intéressant de prendre en considération leur perception, car l’évolution des publics et des contextes de jeu peuvent créer des bouleversements profonds et rapides dans la musique.
Discussion
Les ethnomusicologues ne se reconnaissent pas toujours dans la tripartition sémiologique, qui leur paraît parfois inapplicable pour les musiques qui relèvent de leurs compétences. Une grande partie des musiques traditionnelles, par exemple, n’a pas d’auteur connu, ce qui rend l’étude du niveau poïétique impossible. En revanche, l’analyse du niveau esthésique de ces musiques est aisée, car les ethnomusicologues, lors de leurs séjours de terrain, ont souvent la possibilité d’interroger directement les récepteurs de la musique. Dans le cas de musiques improvisées, l’étude de la poiésis est facilitée, puisque le créateur de la musique est aussi son interprète, mais c’est alors la consolidation du matériau pour l’analyse du niveau neutre qui peut poser problème. Enfin, lorsque les musiques appartiennent à des cultures différentes de celle des auditeurs – de nombreux ethnomusicologues étudient les festivals de musique du monde, qui foisonnent en Occident –, le repérage de stratégies de réception peut être particulièrement ardu.
Nattiez convient de ces difficultés et précise que l’analyse des niveaux poïétique et esthésique, lorsqu’ils ne sont pas accessibles, peuvent être réduites à leur minimum, à condition que le niveau neutre soit, lui, toujours bien pris en considération [28]. Au fil de sa carrière, il enrichit aussi sa bibliographie d’articles consacrés plus spécifiquement à l’application de la méthode sémiologique en ethnomusicologie [29], et propose quelques adaptations méthodologiques, comme la reconnaissance de l’enregistrement de terrain comme matériau de départ possible pour l’analyse du niveau neutre [30].
Cela étant dit, la méthode de Nattiez n’est pas très contraignante. Au-delà de la distinction qu’elle opère indispensablement entre les points de vue poïétique, neutre et esthésique, elle consiste essentiellement en une liste de conseils, encourageant le chercheur à explorer des sources d’informations souvent oubliées ou délaissées et lui proposant des pistes pour caractériser ces informations. Elle n’exige aucune exclusivité de la part du chercheur, qui est, au contraire, clairement invité à développer conjointement d’autres approches scientifiques [31], qu’elles soient issues de la musicologie ou de l’ethnomusicologie ou empruntées à d’autres disciplines.
Cette ouverture sur l’interdisciplinarité constitue d’ailleurs une condition nécessaire pour que sémiologie et ethnomusicologie puissent se rencontrer. En effet, bien souvent l’ethnomusicologue qui travaille en terrain éloigné ne sait pas, au départ de ses recherches, vers quoi celles-ci vont le conduire. Il doit donc travailler dans un cadre théorique malléable, dans lequel il puisse importer à tout moment de nouveaux concepts. Monika Stern, par exemple, est devenue une experte en matière d’économie traditionnelle en étudiant les musiques de l’Ile de Pentecôte dans l’archipel du Vanuatu, parce que la musique de cette île est, au même titre que les nattes, les bijoux, les porcs et les cérémonies, une valeur commerciale [32]. Nattiez, pour sa part, s’est intéressé à la protohistoire afin de mener à bien son étude comparative des jeux vocaux des Aïnous du Japon et des Inuit du Canada [33]. Et on pourrait citer autant d’exemples qu’il y a eu de travaux ethnomusicologiques depuis les fondements de cette discipline.
Sémiologie et ethnomusicologie ne s’opposent donc pas, mais peuvent se compléter. Comme la plupart des ethnomusicologues, Nattiez considère que le phénomène musical ne peut s’expliquer par la musique elle-même, et que seule l’investigation de tout ce avec quoi elle interagit et de tout ce qu’elle produit, en termes de comportements et d’influences sur d’autres activités humaines, permettent de l’expliquer. Dans cette optique, mettre en relation la musique avec son extérieur culturel et naturel et mettre en relation la musique avec les points de vue poïétique et esthésique sont deux attitudes qu’il serait profitable de combiner.
Mais c’est pour l’étude des musiques rituelles qu’à mon sens le recours à la méthode sémiologique offre les avantages les plus précieux. En effet, la tripartition, en considérant que les stratégies de production et de perception sont autonomes et que plusieurs stratégies de perception, elles aussi indépendantes les unes des autres, peuvent coexister, suggère que tous les participants d’un rituel n’ont pas accès aux mêmes significations. Or cette explication est la seule qui permette de comprendre comment certains rituels pratiqués en public sont capables de préserver leur secret et leur efficacité [34].
Enfin, par son insistance sur la nécessité d’étudier le vécu et les réactions des individus, la méthode sémiologique constitue une très bonne entrée pour étudier les phénomènes de construction identitaire.
Si relativement peu d’ethnomusicologues, notamment en France, choisissent de développer une approche sémiologique dans leurs travaux, ce n’est donc ni parce que sa méthode est difficile à utiliser, ni parce que ses résultats sont insuffisants. Il est plus probable que la sémiologie soit écartée de certaines recherches parce qu’elle crée de l’inconfort, qui se manifeste pendant l’analyse, du fait que les associations symboliques sont des données beaucoup plus instables que les paramètres de la musique et les paramètres culturels, et après l’analyse, lorsque le chercheur doit annoncer des résultats multiples et relatifs, alors que bien souvent, il préfèrerait atteindre une vérité unique.
Conclusion
Depuis les années 1970, Nattiez a largement contribué à fonder puis à développer une sémiologie musicale en dotant cette dernière d’outils théoriques et pratiques. La méthode de la tripartition a toujours constitué pour lui un cadre, lui permettant de regarder dans toutes les directions et lui donnant accès à des informations très nombreuses.
Fort de cette méthode, Nattiez a élaboré des analyses de musiques de tous horizons, gommant ainsi la frontière entre musicologie et ethnomusicologie. Il a également su proposer une musicologie (ou une ethnomusicologie, peu importe) décomplexée, où l’outil qui se révèle le plus utile est le bon outil, où l’interdisciplinarité est la bonne discipline et où la scientificité d’une étude n’est pas mesurée à la joliesse de son équation finale. Et comme toujours, lorsque les savoirs s’additionnent plutôt que de rivaliser, la connaissance progresse.
Jean-Jacques Nattiez vu par François Picard
Cet entretien a été réalisé à Paris le 23 février 2016.
CD : Jean-Jacques Nattiez, pour vous, c’est un ethnomusicologue ?
FP : Dans un papier sur Jacques Chailley et l’ethnomusicologie [35], je disais : « Jacques Chailley n’est pas ethnomusicologue, il ne se prétendait pas ethnomusicologue, mais il est essentiel à l’ethnomusicologie. » La question de savoir si Jean-Jacques Nattiez est ethnomusicologue, si on le considère, s’il se considère comme ethnomusicologue, est différente par rapport à Chailley. En revanche, lui aussi est l’un des musicologues les plus importants pour l’ethnomusicologie. Il est l’un des rares à lire les travaux d’ethnomusicologie et il fait partie des quelques-uns, avec François Delalande et Michèle Castellengo, à entretenir un dialogue fécond, depuis 40 ou 50 ans, avec les ethnomusicologues. Qu’il soit de l’intérieur ou de l’extérieur, peu importe ! Et inversement, c’est l’un des rares ethnomusicologues qui s’intéresse aux musiques contemporaines et qui ait une profonde culture en musique classique. Sa position est un peu extérieure au débat intra-français de l’ethnomusicologie. Mais il arrive à parler avec tout le monde, ethnologues, ethnomusicologues, musiciens, etc. et, en cela, il occupe une place unique dans le milieu « ethnomusicologie » en France. Il est en outre beaucoup moins mandarinal que le milieu français en général, ce qui lui donne une souplesse d’intervention extrêmement précieuse.
Ce qu’il a fait de plus grand d’après moi pour l’ethnomusicologie, c’est l’Encyclopédie en cinq volumes dite « Le Nattiez », l’encyclopédie Musiques. Une Encyclopédie pour le XXIe siècle [36], où il a soigneusement choisi d’abolir le modèle Lavignac encore en usage avec l’Encyclopédie de la musique de la Pléiade, celle de Walter Wiora [37] ou La petite Encyclopédie de la musique [38], qui présentent les périodes anciennes avec l’Orient lointain (dans les deux sens du terme), puis le Moyen-Âge, puis l’Afrique avec le primitif et les grandes idées sur la psychologie ou l’audition infantile. Là, Jean-Jacques Nattiez a cassé la distinction en volumes des répertoires ainsi que la géographie, le présumé social et la chronologie, pour traiter le thème sans pour autant entrer dans « l’approche historique », « l’approche analytique » ou « l’approche ethnologique ». Cette façon de croiser les choses et de ne pas donner de point de vue de vérité surplombant est déstabilisante en France, mais, si je puis me permettre, elle est absolument nécessaire si on veut faire de la recherche et de l’enseignement. Nattiez a une facilité à le faire parce qu’il est cultivé, brillant et parce qu’il vit en Amérique du Nord et que le post-modernisme y est plus facile qu’ici, où les gens sont encore très attachés à des savoirs positivistes et à un type de discussion où l’on doit avoir raison contre l’autre. Il fait la même chose dans son travail sur la mélodie du berger de Wagner, le solo de cor anglais de Tristan et Isolde : il en reprend l’analyse « génétique » et en fait l’analyse sémiotique et l’analyse du point de vue de la perception [39]. Pour lui, l’analyse du niveau neutre est la base. Mais après, toutes les autres analyses ont leur place, même si aujourd’hui, à la fin, je vais avoir ma préférence. Ceci est absolument agréable et utile du point de vue post-moderniste et effectivement irritant, horripilant si on veut avoir raison contre les autres. C’est pour cela que l’approche et les répertoires de l’ethnomusicologie servent beaucoup dans son dispositif.
CD : Jean-Jacques Nattiez a travaillé sur des musiques très variées, mais il a assez peu pratiqué la recherche de terrain. Voyez-vous cela comme un problème ?
FP : Jean-Jacques Nattiez s’est largement affranchi de l’étape folkloriste et sans doute aussi de l’étape folk, baba, hippie. Mais il est vrai qu’il n’est pas immergé dans une culture autre que la sienne d’origine, si ce n’est le Canada par rapport à la France [40] et qu’il ne représente pas très bien la figure « normale » de l’ethnomusicologue, car son rapport au terrain est particulier. On pourrait dire que l’ensemble de son travail comme ethnomusicologue serait absolument justifié s’il avait cette première étape, qui est un long terrain, classiquement un terrain de plus de douze mois pendant lequel on apprend la langue, on collecte des données et on analyse son propre matériau. En effet, la théorie générale acceptée par tous les ethnologues et tous les ethnomusicologues, ce à quoi on reconnaît un ethnomusicologue, c’est la théorie selon laquelle une fois que l’on a acquis le regard éloigné caractéristique de l’ethnologie, on peut le reporter sur d’autres cultures, y compris la sienne, de manière beaucoup plus rapide. Cette théorie-là, à laquelle personnellement je crois, va de pair avec l’expérience personnelle et pas avec l’accumulation des savoirs. Jean-Jacques Nattiez, comme Jean Molino, a une définition de la science qui tient assez à l’accumulation des savoirs : on lit les autres et on apporte un petit peu plus après, on ne revient pas à zéro sur quoi que ce soit. Quand il est parti chez les Inuit quelque part dans les années 1970, Nattiez s’est servi de l’expérience des gens qui l’avaient précédé. Mais il avait déjà acquis ce décentrement qui, chez d’autres, n’est possible que par la désimprégnation qu’est la nouvelle imprégnation. Lui a cette habilité à passer de Wagner à Boulez et aux Baganda, qui fait que l’ethnomusicologie devient autre chose. Et s’il n’y a pas de difficulté plus grande pour l’analyste à appréhender les Baganda que Wagner, il n’y a pas besoin de ce décentrement où l’on apprend et où l’on désapprend. En fin de compte, l’idéal-type de la personne appartenant totalement à une culture, frappée par l’altérité d’une autre culture et qui, après un long séjour de douze mois à trente-six mois, acquiert le regard renversé, on ne le voit pas tellement.
CD : Il y a donc plusieurs façons d’acquérir le « regard éloigné ». Mais ce fameux terrain, ce voyage « initiatique », l’ethnomusicologue ne le fait qu’une seule fois ?
FP : Oui. Lorsque Simha Arom va étudier, même de manière indirecte, les Juifs d’Ethiopie, Tsitsánis [41], puis la Géorgie, c’est en s’appuyant sur le fait qu’il est devenu ethnomusicologue en travaillant sur des questions très difficiles en Centrafrique : qu’est-ce que la polyphonie ? Qu’est-ce que la polyrythmie ? Qu’est-ce que le modèle ? Qu’est-ce que la réalisation du modèle ? Et fort de ça, il s’estime capable, et la profession l’estime capable, d’aller étudier autre chose. Nattiez a acquis ce fondement-là de façon collective, c’est-à-dire en lisant les autres. C’est comme s’il posait comme hypothèse qu’on peut retirer des travaux des autres. Fondamentalement, Nattiez, c’est quelqu’un qui croît à la musique et aux musiciens, et qui croît aussi à la musicologie, qui pratique la musicologie, qui lit les autres, qui les critique et qui pense aussi que les autres doivent le lire et le critiquer, se lire et se critiquer entre eux.
CD : Si je vous comprends bien, Jean-Jacques Nattiez a une facilité peu commune à se décentrer sans pour autant avoir vécu la rupture culturelle franche qu’est l’étape du terrain. Par ailleurs, il tient sa légitimité du fait qu’il a, comparativement aux autres, tout lu en musicologie et en ethnomusicologie. Cela ne veut-t-il pas dire que, pour un jeune chercheur, il est un exemple difficile à suivre ?
FP : Oui et non, parce que les jeunes ethnomusicologues, ou les ethnomusicologues parce qu’ils sont jeunes, ont souvent évité de choisir une musique contre les autres. Il y a quelquefois chez eux plus de diversité que chez celui qui est professionnellement engagé dans une musique, dans son enseignement, sa défense ou son illustration. Il faut s’appuyer sur cette force-là pour « sauter comme un cabri » d’une musique à l’autre et changer de point de vue. Je crois que c’est accessible.
CD : C’est vrai qu’en France les musiciens professionnels sont parfois ultra-spécialisés !
FP : Oui, et chacun a peur de dépasser son champ de compétence, soigneusement contrôlé par les autres.
Une autre question se pose : Hornbostel, Schaeffner, Nattiez, y a-t-il possibilité de plus d’un musicologue universel par génération ? Si on oublie un moment le personnage pour retourner à l’œuvre, pour moi, Jean-Jacques Nattiez est nécessaire parce qu’il ancre l’ethnomusicologie dans la musicologie, dans le milieu de la musique et parce qu’il articule recherche, publication et création. À Montréal, Nattiez a positionné pas seulement lui, l’ethnomusicologue qui est également musicologue ou le musicologue qui fait également de l’ethnomusicologie, mais aussi Monique Desroches, puis Nathalie Fernando aux côtés de Michel Duscheneau et Claude Dauphin [42]. Dans la musicologie, les gens qui, exclusivement ou entre autres, pratiquent l’ethnomusicologie sont absolument nécessaires. L’ethnomusicologie universitaire a un côté accessoire en France et en Allemagne. À l'UCLA (Université de Californie à Los Angeles), elle est à part, puisque Mantle Hood a créé un département autonome [43]. Mais Montréal est aujourd’hui comparable à Chicago, qui possède l’un des départements de musicologie les plus importants du monde, où travaillent huit professeurs dont quatre ethnomusicologues et quatre historiens de la musique. Quand Nattiez, Desroches et Fernando exerçaient tous trois à Montréal, on avait presque le même ratio. C’est quand même un sacré modèle pour la musicologie, l’ethnomusicologie et pour le monde de la musique !
CD : Pourtant, la démarche de Nattiez est parfois encore mal comprise. Il le dit lui-même, dans l’introduction du 5e volume de l’encyclopédie [44] notamment, quand il annonce que ce volume « déplaira peut-être à peu près à tout le monde ».
FP : Je dirais que le point aveugle du travail de Nattiez, c’est le schéma de la tripartition, qui est son obsession. Même quand il avance, discute, élargit son point de vue, il revient toujours au fait que le niveau neutre, c’est la partition « ou dans le cas des musiques de tradition orale ou électroacoustiques, la transcription du fait sonore ». La musique électroacoustique, les musiques de tradition orale et l’analyse de la performance telle que la pratique Nicholas Cook sont à côté quand elles analysent — directement ou pas le fait sonore —, mais sans l’intermédiaire de la transcription. Pourtant, Nicholas Cook est un colosse de la musicologie. Et quand il fait de l’analyse de la performance, il va à un endroit où Nattiez ne va pas, parce que pour celui qui ne l’a sans doute pas lu avec l’attention requise, l’interprétation est absente de son schéma tel qu’il est reçu. Mettons qu’il y a un compositeur, une partition et un auditeur : où est l’interprète ? Or, le plus fréquemment, il y a un interprète ! Nattiez réintroduit presque toujours la question de la performance, mais elle n’est jamais bien posée, car il n’a pas repensé son schéma d’une manière qui ait autant frappé les esprits que la formulation initiale, en particulier parce qu’il l’a fait dans des articles consacrés à Wagner [45].
CD : Le schéma de la tripartition n’est donc pas adéquat pour traiter toutes les questions en ethnomusicologie. Mais que pensez-vous de la proposition de Nattiez (et de Molino) selon laquelle il faut analyser séparément les trois points de vue, poïétique, neutre et esthésique, pour atteindre une compréhension satisfaisante de la musique ?
FP : Je suis d’accord avec Nattiez pour dire que, si on analyse la mélodie du berger, savoir ce qu’en pense untel ou untel ne sert à rien ou savoir comment Wagner l’a composée d’après ses esquisses n’a aucun intérêt si on n’est pas capable d’établir une version consolidée du matériau à analyser. Ensuite, il faut regarder comment cette version solide fonctionne : comment je segmente, quelles sont les répétitions, le rapport entre la tonalité indiquée à l’armure et les notes jouées, pourquoi il est écrit fa # et pas sol b et est-ce que c’est différent ou pas. Je ne suis pas d’accord avec Nattiez analysant la Mélodie du Berger parce qu’il analyse les notes dites « réelles » du cor anglais et donc les notes qui sont réalisées. Je pense au contraire que cet air est écrit dans la tonalité du cor anglais et pas une autre et que si on analyse cet air, on doit le faire à partir du ton écrit. Mais revenons au niveau neutre. Je suis d’accord avec Nattiez sur le principe du niveau neutre et la mise en parenthèses du reste. C’est le travail du musicologue de savoir comment fonctionne le matériau interne : dans quelle tonalité on est, pourquoi il y a une anacrouse et pourquoi il serait mieux de la rétablir à l’intérieur de barres de mesures… Et c’est seulement à partir de là qu’on peut analyser aussi bien le travail génétique ou le travail des esquisses que le travail d’interprétation, de réécriture, de réinterprétation, de réarrangement, y compris de Wagner se citant lui-même dans Tristan. Si on ne sait pas de quoi est fait le morceau lui-même, on parle dans le vide. Et si c’est ça le niveau neutre, c’est vrai qu’il va continuer à se faire détester des musicologues fiers de ne jamais écrire une note de musique et de ne jamais parler de tonalités !
CD : Il y a aussi l’analyse du niveau poïétique, du point de vue de la création, et du niveau esthésique, du point de vue des récepteurs de la musique. Il est aisé de saisir que le niveau esthésique n’est pas superposable au niveau neutre, puisque chaque auditeur est unique. Par contre, la différence entre le point de vue du compositeur et le niveau neutre est parfois moins bien comprise, comme s’il était difficile d’accepter qu’une fois que la musique a été écrite, elle a sa propre vie.
FP : Je pense que la beauté de la musique, c’est justement qu’elle échappe au compositeur et à l’anecdote de qui l’a écrit, pourquoi et comment. En tout cas, l’œuvre qui se veut œuvre d’art. Pour l’œuvre de vérité, il est un peu plus difficile de séparer la personne et l’œuvre. Mais l’œuvre d’art se détache des intentions du compositeur par définition ; et ça ne plaît pas à l’artiste. Cela trace la limite entre les académiques et les gens qui font confiance à l’imaginaire comme les surréalistes. Si on prend Berg par exemple, à chaque moment de Lulu ou du Concerto à la mémoire d’un ange, on peut montrer la série et ce qu’il en a fait. Mais tout le monde entend Lulu comme une des œuvres les plus dramatiques de l’opéra du XXe siècle et le Concerto à la mémoire d’un ange comme une des plus belles œuvres de violon, une des œuvres les plus romantiques du point de vue de la pensée et de ce que ça exprime. Donc, quelle est la place du compositeur là-dedans ? Et comment accède-t-on à son point de vue : dans ses mémoires, dans son journal intime, sur son lit de mort, dans une interview ? En quoi le compositeur qui pense la musique et l’écrit serait-il plus à même d’exprimer par le langage ses intentions que par la musique-même ? Peu de théories solides de la musique ou même de théories observées de la musique diraient : « la musique arrive à dire les choses de la même manière que la parole exprimée, et la musique écrite par Wagner et ce qu’il en dit sont une seule et même chose. » Ben non ! Une conférence de Wagner sur ses intentions n’a jamais passionné personne. Les intentions les plus importantes du monde n’ont jamais, je crois, ému personne.
CD : Et la place du musicologue ? Il n’apparaît pas dans le schéma autrement qu’à la réception.
FP : Le musicologue ne se situe pas entre production et réception, il n’est pas à la place de l’œuvre elle-même et il n’est pas neutre ! Il est analyste, narrateur, il établit une partition, il est au service de l’interprète et/ou du compositeur.
CD : C’est donc un utilisateur du schéma, qui a les compétences pour dégager les différents niveaux.
FP : Oui. Quand Murray Perrahia fait de l’analyse schenkérienne, il le dit lui-même, il le fait en tant qu’analyste et pas en tant que pianiste. Parce qu’en tant que pianiste, ça ne servirait à rien : il sait déjà comment il joue ! Mais si l’analyse lui indique, par exemple, qu’il y a un niveau de profondeur sur une note, qui est le substitut d’une autre qui est quelque part ailleurs, décalée, cela va lui donner des clés pour son interprétation. Et c’est la même chose pour la segmentation, les respirations, la pédale, etc. Cela ne pose pas de problème que certains interprètes n’aient pas besoin d’analyse ou de musicologues. Cela ne pose pas plus de problème que l’inutilité de la musique ou de tout art en général.
CD : L’analyse du niveau neutre peut donc guider l’interprétation, mais le travail d’analyse et la recherche d’une interprétation personnelle sont deux choses différentes.
FP : Oui. D’ailleurs, s’il y avait une place pour une ethnologie de l’analyse, Jean-Jacques Nattiez serait une des personnes les plus à même de la faire, même s’il n’a pas tout à fait assez questionné cela. Car il y a un rapport fort, dans la musicologie, entre partition, interprétation et analyse, notamment à cause de ces questions de phrasé et de segmentation. Le musicologue établit le texte. Il peut dire : « Ceci est une partition de cornemuse écossaise. C’est pour cela que les deux bémols ne sont pas marqués à la clé, parce que lorsqu’on achète l’instrument, il a déjà les deux bémols. Pour tout autre instrument que la cornemuse écossaise, il faudrait marquer les bémols à la clé, sinon la partition serait fausse… » Seuls les mauvais musicologues et les non musicologues ne le savent pas. Nous, nous savons que la cornemuse écossaise est écrite de façon transpositrice, mais de façon différente du saxophone en si b. C’est cela le travail du musicologue. Mais, à part établir le texte, le travail du musicologue est aussi de faire l’analyse d’une œuvre, et, par l’analyse, qui est à peu près toujours de la segmentation, dire comment il faut phraser. Et c’est là que la plupart des musicologues font une erreur : ils pensent que la segmentation doit être rendue dans le phrasé de l’interprète. Cette vision est extrêmement réductrice et fausse. Elle correspond seulement à la logique locale de certains musiciens occidentaux, qui, à force que personne ne pose la question, pensent que c’est naturel. Et moi qui suis ethnologue, je demande : « D’où vient l’idée qu’il faut respirer avant la fin de la phrase et réattaquer après une nouvelle phrase ? » Dans le jeu de la flûte à Shanghaï, j’ai dû apprendre à respirer à de tout autres moments que la fin de la phrase. Et c’est le cas pour bien d’autres musiques. Par l’analyse génétique des musiques, la comparaison de versions, l’étude des genres musicaux, on comprend très bien où une phrase commence et où elle s’arrête. Cela ne signifie pas qu’on est obligé de respirer à cet endroit-là. De même qu’on peut très bien avoir des premiers temps non accentués ou qu’on fait généralement en sorte qu’il n’y ait pas de redondance entre des accents d’intensité et des accents rythmiques. Il se trouve que, localement, on pourrait mettre un accent sur les temps un et trois de la mesure, mais c’est ultra-local. Donc, l’analyse, si elle doit toucher à l’interprétation, doit plutôt aller vers l’analyse de la performance comme Nicholas Cook. C’est-à-dire que, plutôt que de dire au musicien à quel moment il doit inverser le sens de son archet ou à quel moment il doit respirer, il faudrait peut-être être moins prescriptif et lui donner plutôt des moyens de dire ou de mettre des choses intéressantes en rapport les unes avec les autres.
CD : Cela signifie que celui qui ne connaît pas très bien une culture musicale ne peut pas être un bon analyste, car il risque d’appliquer à la musique de mauvais calques.
FP : Ou utiliser de mauvais critères. Mais, même le musicien légitime dans sa culture peut avoir une vision explicite fausse de ce qu’il est en train de faire. Je vous donne un exemple. Wang Weiping, musicienne chinoise légitime et légitimée de pipa, m’avait demandé, pour des raisons de pratique de la scène, de l’accompagner à la flûte. Et il y avait un passage rapide que je n’arrivais jamais à jouer : je me décalais, je n’étais pas dedans, je n’arrivais pas à le lire, etc. Même en travaillant, je n’y arrivais pas. Alors, j’en ai fait l’analyse. J’ai recopié la partition sur l’ordinateur, je l’ai découpée, j’ai regardé les motifs, etc., et je suis arrivé à la conclusion que le passage que je n’arrivais pas à jouer était en 7/8. A la répétition suivante, Weiping m’a dit : « Enfin, tu as travaillé, parce que tu arrives à le jouer ! » J’ai dis : « Oui, j’ai travaillé. Mais je n’ai pas travaillé mes doigts, je n’ai pas travaillé la lecture, je n’ai pas travaillé ma rapidité, je n’ai pas travaillé mon intelligence, j’ai travaillé à plat. La musique, regarde, elle est en 7/8 ! » Et là, elle a éclaté de dire en disant : « François, c’est de la musique chinoise, tu sais aussi bien que moi qu’elle a des mesures à 1, 2, 4, 8 ou 16 temps, mais jamais de mesure à 7. Ça n’existe pas, ou bien alors en cherchant chez les Ouighour [46] ! » Je n’ai jamais réussi à la convaincre qu’elle faisait du 7 temps. Pourtant, elle le joue de manière légitime. De mon côté, si je n’avais pas fait l’analyse, parce je pense que la musique chinoise n’a pas 7 temps, je n’aurais jamais imaginé que, là, il y avait un 7 temps rapide. Alors que si on m’avait dit : « Tiens, François, on a une nouvelle musique, une musique des Balkans, tu vas la jouer », je me serais dit très rapidement : « c’est écrit à 4/4, mais en fait c’est du 7/8. Parce que je m’y serais attendu. »
CD : Caroline Ledru [47], dans son travail avec des musiciens arabo-andalous du Maroc, a également remarqué que le discours de ses interlocuteurs était avant tout guidé par ce qu’ils pensaient qu’il convenait de dire et ne correspondait pas à ce qu’ils faisaient lorsqu’ils jouaient.
FP : C’est, depuis Merriam et Blacking, un des dogmes de l’ethnomusicologie de croire que les musiciens ont raison. Mais, si c’était le cas, il n’y aurait pas de musicologues en Occident, puisque les gens vont au conservatoire et parlent eux-mêmes de leur musique. Si on arrive à une vérité qui n’est pas celle qui est incarnée ou qui, apparemment, n’est pas celle-là, c’est que l’explication est insuffisante et qu’il y a nécessité d’une ethnologie plus fine, qui passe par une ethnographie plus fine. Après, avoir raison plutôt que les interprètes eux-mêmes n’apporte aucune supériorité. Mais cela pose un problème qu’il faut prendre en compte, et, en cela, je rejoins totalement l’attitude scientifique de Nattiez : le musicologue qui donne un point de vue surplombant ne donne pas une vision complète du fait musical.
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Ainu Songs / Chants des Aïnou [en collaboration avec K. Tanimoto], Philips, collection UNESCO « Musical Sources », n° 6586045, 1980. Réédition en compact : Unesco Collection - Auvidis, « Musiques et musiciens du monde », UNESCO D 8047, 1993. Smithsonian Folkways Recordings, UNES 08047, 2015 (compact).
Réédition de la Collection Universelle de Musique Populaire Enregistrée de Constantin Brailoiu, avec Laurent Aubert, Genève, Archives internationales de musique populaire, Musée d'ethnographie, 1985, coffret de 6 disques avec plaquette, VDE-30-425-340 ; réédition augmentée (par les soins de Laurent Aubert), Archives internationales de musique populaire, Musée d’ethnographie, Genève (AIMP LXXXV-LXXXVIII ; VDE CD-1261-1264), 2009, 4 CD.
Jeux vocaux des Inuit [Inuit du Caribou, Netsilik, Igloolik], disque compact OCORA C-559071 et cassette, 1989 [collection de jeux vocaux inédits enregistrés par A. Balikci, N. Beaudry, B. Cavanagh, D. Harvey, J.-J. Nattiez et R. Pelinski].
Inuit Iglulik Canada, un disque compact et une plaquette de 120 pages en anglais et en français, Museum für Völkerkunde (Berlin), Museum Collection Berlin, CD 19, enregistrements de Jean-Jacques Nattiez et Paula Conlon, texte de Jean‑Jacques Nattiez, 1993.
An Anthology of Music from Uganda, recordings and presentation [en français et en anglais] by Jean-Jacques Nattiez, forword by François Descoueyte, Ambassade de France en Ouganda et Faculté de musique de l'Université de Montréal, 1996, 10 cassettes et un livret.
Ouganda/Uganda – Musique des Baganda / Music of the Baganda People [en collaboration avec Nnaalongo Sylvia Nanyonga Tamusuza et Ssalongo Justinian Tamusuza], CD, OCORA, C-560161, 2002.
Archives de musiques sibériennes (Magadan et Anadyr), enregistrées par J.-J. Nattiez et éditées par Frédéric Leotar, Laboratoire de musicologie comparée et anthropologie de la musique, Faculté de musique, Université de Montréal, 2014 :http://archives.mcam.oicrm.org/page_corpus.php?id=1&id_proprio=8.
Pour citer cet article
DELÉTRÉ Cécile, « Jean-Jacques Nattiez ethnomusicologue suivi d’un entretien avec François Picard », Actes de la journée d'études Autour des écrits de Jean-Jacques Nattiez (CNSMDP, 12 novembre 2015), Les Éditions du Conservatoire, 2021, https://www.conservatoiredeparis.fr/fr/jean-jacques-nattiez-ethnomusicologue-suivi-dun-entretien-avec-francois-picard.
[1] On trouvera une liste raisonnée des articles de Nattiez à la fin de cet article.
[2] La discographie complète des disques ethnomusicologiques de Nattiez figure en fin d’article.
[3] La Collection universelle de musique populaire regroupe des enregistrements de musiques traditionnelles issues du monde entier, acquis et compilés par Constantin Brăiloiu entre 1913 et 1953, dont la plupart sont fondateurs pour l’ethnomusicologie.
[4] Cf. NATTIEZ, Jean-Jacques, Musiques. Une Encyclopédie pour le XXIe siècle, 5 vol., Arles-Paris, Actes Sud-Cité de la Musique, 2003-2007.
[5] Voir par exemple LÉVI-STRAUSS, Anthropologie structurale, Paris, Plon, 1958.
[6] BASSET, Catherine, Gamelan : royaume concentrique du gong, Thèse de doctorat, Université de Paris X-Nanterre, tome III : « Gamelan, architecture sonore », 2004.
[7] FELD, Steven, Sound and Sentiment: Birds, Weeping, and Song in Kaluli Expression, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1982. Voir en particulier le chapitre 2, « To You They Are Birds, to Me They Are Voices in the Forest ».
[8] Voir à ce sujet l’entretien d’Isabelle Schulte-Tenckhoff avec Jean-Jacques Nattiez : « L’ethnomusicologie : structuralisme ou culturalisme ? », Cahiers d’ethnomusicologie, n° 12, 1999, 153-172.
[9] On retrouve notamment cette description des spécificités de la musique dans le commentaire de Nattiez sur la sémiologie musicale chez le poète Yves Bonnefoy. Voir NATTIEZ, Jean-Jacques, La Musique, les images et les mots. Du bon et du moins bon usage des métaphores dans l’esthétique comparée, Montréal, FIDES 2010, p. 204 et suivantes.
[10] Voir MOLINO, Jean, « Fait musical et sémiologie de la musique », in Musique en jeu, vol. 17, 1975, Paris, Seuil, repris dans MOLINO, Jean, Le singe musicien. Sémiologie et anthropologie de la musique, Arles-Paris, Actes Sud/INA, 2009, p. 73-118, et NATTIEZ, Jean-Jacques, Fondements d’une sémiologie de la musique, Paris, Union Générale d’Editions, 1975, 418 p.
[11] Cette définition apparaît dans un article de Charles S. Pierce de 1897, intitulé « La division des signes ». Elle est reprise et traduite dans PEIRCE, Charles S., Écrits sur le signe, rassemblés, traduits et commentés par Gérard Deledalle, Paris, Seuil, 1978, p. 121.
[12] Voir NATTIEZ, Jean-Jacques, « Le point de vue sémiologique », in Cahiers de linguistique, n° 5, 1975, p. 64 à 66.
[13] Voir NATTIEZ, Jean-Jacques, « Musiques traditionnelles et significations », in Musiques. Une Encyclopédie pour le XXIe siècle, vol. 3, Arles-Paris, Actes Sud/Cité de la Musique, 2005, p. 972 à 975.
[14] Voir PAULUS, Jean, La Fonction symbolique et le langage, Bruxelles, Dessart, 1969, Chapitre 1, repris notamment dans NATTIEZ, Jean-Jacques, « Ethnomusicologie et significations musicales », in L’Homme, vol. 171-172, 2004, p. 53.
[15] Cf. NATTIEZ, Jean-Jacques et NANNYONGA TAMUSUZA, Sylvia, « Rythme, danse et sexualité : une danse ougandaise d’initiation au mariage », in Musiques. Une Encyclopédie pour le XXIe siècle, vol. 3, Arles-Paris, Actes Sud/Cité de la Musique, 2005, p. 1108-1129.
[16] PEIRCE, Charles S., op. cit., p. 121.
[17] GRANGER, Gilles-Gaston, Essai d’une philosophie du style, Paris, Odile Jacob, 1968, p. 14, cité par NATTIEZ, Jean-Jacques, « Le point de vue sémiologique », p. 56.
[18] Ibid., p. 57.
[19] DELALANDE, François, « Le bipôle objet/conduites : réflexions sur l’objectif de la sémiologie musicale », in Études littéraires, vol. 21, n° 3, 1989, p. 150.
[20] On voit bien ici que la sémiologie, comme le culturalisme, a besoin du concours de la psychologie pour passer du paradigme individuel à un niveau plus macroscopique.
[21] NATTIEZ, Jean-Jacques et NANNYONGA TAMUSUZA, Sylvia, op.cit, p. 1024.
[22] MOLINO, Jean, op.cit., p. 90.
[23] Ibid., p. 91-92.
[24] Le fait que certains compositeurs, comme Pierre Boulez, tentent de contrôler les stratégies perceptives de son public, montre bien qu’il n’y a pas de correspondance a priori entre le niveau poïétique et le niveau esthésique.
[25] Cf. JAKOBSON, Roman, « Linguistique et poétique », in Essais de linguistique générale, Paris, Minuit, 1963, chapitre 11 (Traduction de “Closing statements: Linguistics and Poetics”, Style in langage, New-York, Sebeok, 1960).
[26] NATTIEZ, Jean-Jacques, Fondements d’une sémiologie de la musique, p. 52.
[27] Voir NATTIEZ, Jean-Jacques, Musicologie générale et sémiologie, Paris, Christian Bourgois, 1987, p. 124.
[28] Ibid., p. 176.
[29] Notamment les articles “Inuit Throat-Games and Siberian Throat Singing: A Comparative, Historical and Semiological Approach” (in Ethnomusicology, vol. XLIII n° 3, 1999, p. 399-418), « Ethnomusicologie et significations musicales » (op. cit., 2004) et « Musiques traditionnelles et significations » (op. cit., 2005).
[30] Cf. NATTIEZ, Jean-Jacques, « Introduction à l’œuvre musicologique de Jean Molino », in MOLINO, Jean, Le Singe musicien, Arles, Actes Sud/INA, p. 13.
[31] L’invitation à croiser les méthodes est également très présente chez Molino, qui affirme : « Il n’y a pas, et il ne saurait y avoir, de formalisme unique qui épuise les propriétés d’un domaine de l’existant, d’un vécu découpé et reconnu comme tel par la pratique sociale. » Cf. MOLINO, Jean, op.cit, p. 110.
[32] Cf. STERN, Monika, Les Femmes, les nattes et la musique sur l’île de Pentecôte (Vanuatu), Thèse de doctorat, Université Paris-IV Sorbonne, 2002, 478 p.
[33] Voir NATTIEZ, Jean-Jacques, “Inuit Throat-Games and Siberian Throat Singing: A Comparative, Historical and Semiological Approach”.
[34] Voir à ce sujet DESROCHES, Monique, « Musique et rituel : significations, identité et société », in Musiques. Une Encyclopédie pour le XXIe siècle, vol. 3, Arles, Actes Sud et Paris, Cité de la Musique, p. 538-556, 2005.
[35] PICARD, François, « L’ethnomusicologie et Jacques Chailley », Musurgia XIX/1-3 « Jacques Chailley », 2013, p. 37-41 + 42-43.
[36] Cf. Musiques. Une Encyclopédie pour le XXIe siècle, Arles-Paris, Actes Sud et Cité de la musique, 2003-2007, pour l’édition française.
[37] Cf. WIORA, Walter, Les quatre Âges de la musique, Paris, Petite bibliothèque, 1961 pour l’édition française.
[38] Cf. MASSIN, Brigitte (dir.), La petite Encyclopédie de la musique, Paris, Réunion des Musées Nationaux, 1997, 288 p.
[39] NATTIEZ, Jean-Jacques, Analyses et interprétations de la musique. La mélodie du berger dans le Tristan et Isolde de Richard Wagner, Paris, Vrin, 2013.
[40] Jean-Jacques Nattiez est né à Amiens mais vit et travaille au Canada, à l’Université de Montréal, depuis 1970.
[41] Vassílis Tsitsánis (1915-1984) est un compositeur grec et un célèbre joueur de bouzouki.
[42] Monique Desroches et Nathalie Fernando sont ethnomusicologues, l’une spécialiste des rituels et des musiques tamoul de Martinique, l’autre travaillant, entre autres choses, sur les systèmes musicaux du Congo, de Centrafrique et du Cameroun. Michel Duscheneau est musicologue. Il travaille sur les musiques du début du XXe siècle et s’intéresse à la sociologie de la musique et aux institutions culturelles. Enfin, Claude Dauphin a une double spécialité, puisqu’il travaille en tant que musicologue sur les pédagogies musicales, mais a également publié, en 2014, une très vaste Histoire du style musical d’Haïti (Montréal, Mémoire d’encrier, 376 p.).
[43] Effectivement, à l’Université de Los Angeles, l’ethnomusicologie s’étudie dans un département autonome qui fut créé par Mantle Hood (1918-2005) en 1961.
[44] Ce dernier volume de l’encyclopédie Musiques (op. cit., cf. note 19) tente de montrer l’existence d’universaux en musique et relie des musiques issues des cultures du monde entier.
[45] Voir le schéma de la p. 22 dans NATTIEZ, Jean-Jacques, Tétralogies. Wagner, Boulez, Chéreau, essai sur l’infidélité, Paris, Christian Bourgois, 1983.
[46] Les Ouighour sont un peuple turcophone du Xinjiang au nord-ouest de la Chine. Leur musique est proche de celles des traditions turques, persanes et kurdes.
[47] Caroline Ledru a travaillé avec François Picard dans le cadre de son D.E.A. d’ethnomusicologie.