Regards d’étudiants sur la formation AIMS
Mis à jour le 03 juin 2022
Retour sur une expérience rare et formatrice avec Gaspard Charon et Maël Bailly, deux anciens étudiants de la formation d’Artiste Intervenant en Milieu Scolaire.
Mêlant création et pédagogie, la formation d’Artiste Intervenant en Milieu Scolaire est le fruit d’une coopération entre les cinq Écoles nationales supérieures d’art de Paris – le Conservatoire national supérieur d’art dramatique, le Conservatoire de Paris, l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs, Les Beaux-Arts de Paris et La Fémis.
Maël Bailly (compositeur, artiste AIMS 20219-2020) et Gaspard Charon (danseur, artiste AIMS 2020-2021) nous livrent leur ressenti sur ce programme post-master dont la vocation est de former des jeunes créateurs et créatrices à l’intervention en milieu scolaire, à la faveur de la conception et de la mise en circulation d’une œuvre créée in situ.
Pourquoi avoir choisi de candidater au programme de formation d’Artiste Intervenant en Milieu Scolaire ?
Gaspard : J’ai terminé mon parcours de 2e cycle en danse en 2020 puis j’ai découvert ce dispositif ouvert aux étudiantˑes diplômé.es, j’y ai donc porté une attention toute particulière. Je me suis renseigné sur différents aspects de la formation : l’investissement demandé, l’insertion de la formation dans notre parcours et notre vie professionnelle. C’est un projet qui a été muri, qui a pris du temps à se concrétiser et que j’ai eu à cœur de préparer.
Maël : Cette formation me semblait intéressante à plusieurs niveaux. Je travaillais déjà dans le domaine de la médiation avec des enfants ou des adultes éloignés de l’apprentissage de la musique, mais sans avoir bénéficié d’une formation pédagogique. C’est un domaine qui m’intéresse et pour lequel les artistes sont souvent sollicités. AIMS était donc l’occasion de se former de manière exploratoire et libre, sans attentes de restitutions très lourdes. Il y avait de la place pour la recherche et pour un travail réflexif.
L’accompagnement proposé tout au long de l’année permet de rencontrer et d’échanger avec d’autres artistes, une opportunité rare pour nous, musiciens. Les temps de formation à la fois pratique et théorique sont intéressants et permettent d’amorcer le travail de recherche, de poser des jalons.
Enfin, la formation AIMS me permettait une sécurité financière à l’issue de mes études, que je n’étais pas certain d’avoir sans cette formation.
Sous quel format votre intervention s'est-elle déroulée ?
Maël : Je suis intervenu dans la classe de CM2 d’une école primaire de Saint-Denis. Je bénéficiais dans ce cadre de 20h de présence dans l’école, que je pouvais consacrer à la préparation des séances ou à mon travail personnel.
Je donnais deux ateliers par semaine, qui se déroulaient deux temps. Une première partie collective avec la professeure des écoles et l’ensemble de la classe, qui consistait en une séance d’écoute partagée pour scruter notre écoute, l’approfondir et l’aiguiser. La deuxième partie de séance, pensée comme un prolongement de cette écoute, était axée sur la création, soit par la pratique de l’improvisation avec des instruments, soit par l’écriture et la transcription.
J’ai pu mener un travail très enrichissant tout au long de l’année avec une très bonne classe.
Gaspard : L’année a débuté par deux semaines de formation intensive qui ont permis de nous lancer dans le cycle de l’année scolaire. Nous avons pu poser un cap, une temporalité pour savoir quelles problématiques nous allions rencontrer tout au long de l’année. Ce fut aussi un temps de rencontre avec des conseillerˑères pédagogiques, des ancienˑnes enseignantˑes qui nous ont permis de contextualiser nos interventions artistiques.
J’ai pu découvrir une vraie synergie avec le corps scolaire, ce qui m’a permis de voir l’école comme un lieu artistique qui s’inventerait au fil de l’année. Malgré la crise sanitaire et le déplacement de quelques séances, deux ateliers par semaine ont pu être menés avec une classe de 24 élèves, divisée en deux groupes.
C’est un travail assez intense, qui demande une certaine préparation et de l’anticipation pour parvenir à une gestuelle qui puisse être habitée, ancrée dans un processus de mémoire.
Pouvez-vous nous présenter plus en détail votre projet avec les élèves ?
Maël : Le travail effectué avec la classe s’est beaucoup axé sur l’écoute et peu sur la pratique instrumentale, ce qui est à rebours des usages dans la médiation musicale. Cependant, j’étais extrêmement fier du résultat et du parcours de ces élèves. Il y avait chez eux une finesse d’écoute, une culture musicale palpable et qui s’est d’ailleurs illustrée par la création d’une œuvre.
En effet, durant le confinement, nous avons réalisé une pièce acousmatique à distance, que nous avons intitulée « Symphonie du confinement ». Chaque élève a enregistré un court extrait de son quotidien, d’une durée de 10 à 30 secondes. J’ai ensuite effectué le montage de l’ensemble de ces extraits pour en faire une pièce. J’étais très impressionné par la musicalité de leurs propositions. Cette pièce est d’ailleurs passée à la radio. Elle illustre bien le travail que nous avons réalisé : savoir reconnaitre et capturer un son riche, expressif, et les enfants s’y sont donnés avec beaucoup d’humour et de finesse.
ÉCOUTER LA SYMPHONIE DU CONFINEMENT
Gaspard : J’ai proposé aux élèves d’étudier la question des métamorphoses sur cinq thèmes autour du vivant, que sont le minéral, le végétal, l’animal, l’humain et la machine. Ces cinq mondes s’organisent successivement comme cinq tableaux dans lesquels nous tentons de transformer chaque fois nos corps. Avec tous ces éléments, nous effectuons un travail postural exigeant mais qui s’équilibre avec le besoin des enfants de bouger, de se dépenser. Un message écologique se glisse ainsi derrière ce projet : préserver les écosystèmes, comprendre leur fonctionnement et situer la place de l’humain à l’intérieur de ce grand projet.
C’est un sujet qui m’intéressait beaucoup en amont et j’ai énormément appris, lu, et entendu au sujet du lien art et écologie. À travers cette intervention, les enfants ont besoin de découvrir de la matière, à la fois réflexive mais aussi des éléments d’histoire de la danse, ainsi que des œuvres d’artistes qui exploitent ces questions écologiques. Je tisse avec ce projet une sorte de médiation pour qu’ils le perçoivent pour la première fois avec beaucoup d’innocence, tout en essayant de le replacer dans une longue et complexe histoire de l’art.
Je perçois la classe comme une micro-société où l’affect est très présent : j’essaye donc de faire en sorte que chacun y trouve un endroit respectueux, pas seulement un lieu d’art mais un réel lieu de vie.

Avez-vous le sentiment que cette expérience a changé le regard que vous portez sur votre métier ?
Maël : Absolument. J’ai pu acquérir beaucoup d’expérience par cette pratique régulière, sur une longue période, permettant l’expérimentation et sans évaluation, ce qui n’est pas souvent le cas. J’ai pu aiguiser mes idées par rapport à cette pratique, qui prend maintenant une certaine place dans la vie professionnelle, dans les récits qui se créent autour de la musique et dans le rôle de la musique au sein de la société.
AIMS m’a permis d’exploiter cette question et de faire un premier pas vers mon travail de recherche, que je poursuis actuellement dans le cadre de mon projet SACRe intitulé « Musique contemporaine : à la recherche de nouvelles modalités de partage ». L’objectif est d’étudier l’influence que porte la manière de partager la musique sur son invention. Cette recherche est effectuée en tentant de mettre à distance tout enjeu pédagogique : décorréler le désir de partager notre musique d’une manière originale des nécessités pédagogiques qui impliquent la préoccupation d’apprendre à quelqu’un quelque chose qu’il ignore – préoccupation différente de la préoccupation artistique à mon sens.
Je me suis rendu compte que nous avions habituellement à travers cette démarche la volonté d’aider, de rendre un service, de combler un manque. Cependant pour moi, c’était l’inverse : j’étais nécessiteux, en tant que musicien, d’un partage sociologiquement différent de la musique que je crée et j’en attends des retours sur l’invention, sur le cœur de mon travail.
Gaspard : Pour moi, la première notion importante serait la voix. Porter une voix n’est pas quelque chose d’habituel pour le danseur. Ce n’est pas un problème dans le contexte de création, où l’artiste participe au processus en interaction avec le chorégraphe, mais très souvent il y a un vrai silence auquel on s’habitue tout au long de sa formation en danse. S’adresser ici à des enfants, et passer par le langage des mots pour exprimer les propositions que l’on souhaite défendre m’a bousculé, puisque j’ai parlé en classe plus que jamais dans toute ma vie ! Je pense que ces choses m’aident aujourd’hui à exercer mon métier qui nécessite beaucoup d’interventions ponctuelles en milieu scolaire.
En effet, lors d’une création, d’un déplacement en théâtre, il arrive bien souvent que nous échangions sur la pièce et participions des ateliers. Cette expérience est donc une réelle opportunité de se former sur le terrain. Cela démystifie complètement le moment où nous convions les gens à danser, ce qui n’est pas anodin lorsqu’on a l’habitude d’être le récepteur d’un dispositif organisé par un .e professeur.e ou un.e chorégraphe. Cela répond à quelque chose de très différent que d’inverser sa posture d’interprète dans des classes de danse pendant si longtemps, pour du jour au lendemain organiser, trouver ses propres idées, ses propres échauffements, etc. Par cette préparation des sessions tout au long de l’année, je parviens aujourd’hui à mener ce type d’atelier avec beaucoup plus d’aisance et d’improvisation.
C’est aussi une expérience qui responsabilise : il y a des choses dans ma pratique que je parviens mieux à nommer, des choix que je parviens à réaliser pour partager l’expérience sensible à laquelle je me sens attaché, que j’ai moi-même parcourue plus jeune. Ce travail introspectif nous rappelle les raisons pour lesquelles nous en sommes venu.es à la danse. Cette dimension du « retour » je l’expérimente depuis un an et selon moi, c’est un tremplin. Les tentatives effectuées tout au long de l’année me permettent aujourd’hui de trouver le moteur nécessaire chez les enfants pour parvenir aux fins chorégraphiques que j’imagine.
Cette année est enfin un véritable laboratoire pour tenter de transmettre à ces enfants (qui ne vont pas nécessairement devenir artistes dans leur vie) ce que signifie être interprète dans un projet chorégraphique de danse contemporaine, avec l’investissement que cela implique. Je leur demande beaucoup de choses, d’inventer et d’inverser la posture afin qu’ils puissent aussi m’apprendre une autre forme de danser.
Que souhaitez-vous partager avec les étudiants qui nous lirons ?
Maël : Avoir l’occasion de réfléchir sur nos actions, se questionner, permet de donner de l’assurance et de la légitimité à nos pratiques. Dans les interventions culturelles portés par les institutions, il existe bien souvent une sorte de ligne éditoriale, dont nous devons pouvoir nous affranchir. Nous devons étendre liberté que le « mandat artistique » que l’on nous octroi dans la conception d’une œuvre au sens et contenu de nos médiations en milieu scolaire. Le fait d’avoir réfléchi, pratiqué et exploré certaines pratiques permet de se sentir plus à l’aise et plus légitime pour pouvoir défendre des idées.
Gaspard : À mon arrivée dans la formation AIMS, j’étais au milieu d’artistes originaires des beaux-arts, avec un porte-folio, une vision artistique que je n’ai pas forcément. Et j’ai finalement réalisé que ma singularité est d’être interprète, de participer à des projets. Il s’agit de défricher ce qui nous intéresse au sein de toutes les expériences accumulées pour essayer d’en tirer ces moments forts, percussifs. Je vais donc axer mon mémoire de fin de cursus autour de cet aspect : en tant que danseurs, nous possédons une forme d’humilité sur les potentialités de projets. Les élèves sont des puits de ressources que nous aiguillons pour qu’ils aillent chercher ce qui peut les intéresser au niveau du corps, du mouvement. C’est ce que je souhaite leur proposer afin qu’ils trouvent leur motivation à danser. Nous sommes le trait d’union entre leur vie, qui aurait pu se dérouler sans ces micros-expériences, et une réalité qu’ils auront vécue et qu’ils pourront un jour transmettre eux-mêmes.
Enfin, quel est votre meilleur souvenir ?
Maël : Nous avons visité le Conservatoire à l’occasion d’une répétition générale d’un ciné-concert pour lequel j’avais notamment composé une musique. Nous avions fait le tour de plusieurs espaces clés du Conservatoire, en suivant toutes les étapes de préparation d’une répétition : la production, la régie, le parc instrumental, la bibliothèque d’orchestre, puis nous avons assisté à la répétition d’orchestre. C’était un moment très agréable à partager que je garderai en mémoire.
Gaspard : Lorsque j’ai demandé aux élèves de définir ce qu’est pour eux la danse, l’un d’entre eux m’a dit que cela représentait pour lui d’« être libre à danser ». Je suis ému chaque fois que j’y pense, car cet enfant a réussi à dire quelque chose que je n’aurais jamais su exprimer avec mes mots.
Lorsqu’ils s’approprient un dispositif et qu’ils me permettent de le voir autrement, ces jeunes élèves sont étonnants. De la même façon, cet élève-là redéfinit des choses qui sont certes évidentes mais dont le résultat est très surprenant et touchant. Ce n’est qu’une définition mais j’y pense souvent, elle m’accompagne depuis.