L'autre voix
Mis à jour le 04 novembre 2024
En novembre, le Conservatoire propose trois jours de rencontres, de réflexion et de concerts autour de l’accompagnement musical sous toutes ses formes et dans tous les styles. Cet événement est à destination des accompagnateur·rices, des enseignant·es, des directeur·rices d’établissement, des élèves, des étudiant·es, des parents, des mélomanes et de tous·tes les amoureux et amoureuses de l’art.
Entretien avec l’équipe qui mène ce projet : Anne Le Bozec, pianiste et professeure d’accompagnement vocal, Gilles Oltz, chef du département des disciplines vocales, et Danièle Clémot, pianiste, professeure à l’École Nationale de Musique de Villeurbanne, coordinatrice générale de l’Association nationale des métiers de l’accompagnement musical qui est partenaire de l’événement.
Comment la nécessité d’organiser un congrès sur l’accompagnement musical vous est apparue ?
Il s’agit bien d’une nécessité : celle de proposer un focus sur cette profession, de participer à une prise de conscience de l’existence de ces métiers, de l’exigence qu’ils requièrent. La volonté du Conservatoire est de contribuer à ce qu’ils soient mieux connus et perçus. Notre conviction est que les personnes qui pratiquent l’accompagnement sont des musicien·nes accompli·es qui, à certains endroits de leur vie, décident de s’y consacrer ; mais qu’au-delà de ces fonctions définies par le métier, la musique elle-même met en scène, lorsqu’on est plusieurs, une forme d’accompagnement réciproque. Ce congrès veut présenter une grande variété de ces pratiques, sachant que nous ne parviendrons pas à tout évoquer, tant les formes sont nombreuses et différentes. Il s’agira aussi de montrer comment acquérir les compétences pour exercer ces métiers via des études dédiées.
Comment s’organise la formation à l’accompagnement en France ?
La formation à ces métiers extrêmement exigeants et demandeurs est déjà globalement bien développée sur le territoire français. Au sein de nombreux établissements, écoles nationales de musique, conservatoires à rayonnement départemental, conservatoires à rayonnement régional et pôles supérieurs, on pourra trouver de multiples classes ou formations qui initient à cette pratique et à son esprit – tel qu’on l’entend en France, car notre vision du métier a ses propres spécificités par rapport à d’autres pays. Les deux CNSM proposent des cursus supérieurs complets et professionnalisants pour l’ensemble des disciplines concernées par l’accompagnement. Le CNSMDL propose une classe unique pour la licence et le master ; dirigée aujourd’hui par Florian Caroubi, elle fait appel aux compétences d’une large équipe d’assistant·es et de professeur·es associé·es enseignant chacun·e un aspect spécifique du métier, et propose aux étudiant·es une approche et un riche approfondissement de toutes les facettes de l’accompagnement instrumental, vocal et chorégraphique. La formation la plus ancienne en France est celle du CNSMDP ; elle s’est beaucoup développée depuis la fondation de l’établissement. Il existe aujourd’hui deux cursus de licence : une classe pour l’accompagnement instrumental, avec Géraldine Dutroncy, Reiko Hozu, Ariane Jacob, Jean-Frédéric Neuburger et Sébastien Vichard, et une pour l’accompagnement chorégraphique, avec Franck Prévost et Maxime Hoarau. Ces deux cursus de haute volée permettent aux étudiant·es d’acquérir une formation généraliste des deux pratiques. Il existe également trois cursus spécialisés de master : la classe de direction de chant forme les chef·fes de chant au répertoire lyrique, sous la direction d’Erika Guiomar et de Nathalie Dang ; la classe d’accompagnement au piano, dirigée par Jean-Frédéric Neuburger et Yumi Otsu, présente notamment des passerelles vers la pratique du répertoire d’aujourd’hui sous toutes ses formes et de la création ; enfin, la classe d’accompagnement vocal, dirigée par Anne Le Bozec et Emmanuel Olivier, forme les pianistes et les chanteur·ses à la pratique de l’oratorio et du lied.
Y a-t-il une compétence particulière à mettre en avant dans ce métier ?
Que l’on soit dans l’enseignement initial ou dans l’enseignement supérieur, on peut être pianiste dans une classe d’instruments à vent, d’instruments à cordes, dans une classe de chant ou de danse, ou encore dans une classe de percussions. Le ou la pianiste forme, dans ces classes, des petit·es, des adolescent·es, des jeunes adultes qui vont travailler 400 ou 500 ans de répertoire, tout au long de leur formation, de l’initiation au master. Il faut donc maîtriser énormément d’œuvres très vite. Souvent, les pianistes n’ont pas le temps matériel de les apprendre et c’est pour cela que nous sommes formés à ce qu’on appelle la lecture à vue ou le déchiffrage. Cette compétence fait que l’on est capable d’intégrer une partition extrêmement rapidement, de la jouer et de faire travailler les élèves, via une préparation très ciblée, si la situation l’exige.
Les métiers de l’accompagnement sont-ils encore à mettre mieux en lumière ?
Prenons l’exemple d’une production lyrique. À l’opéra, le public voit un spectacle achevé avec des chanteur·ses sur scène, une mise en scène terminée, un orchestre qui joue sous la direction d’un·e chef·fe. Ce que l’on sait rarement, c’est que la préparation de cet opéra s’est effectuée, pour une grande partie de la production, sans l’orchestre, avec un ou plusieurs pianistes qui ont géré l’ensemble de la partie musicale ; ce sont les chef·fes de chant. Ils jouent un rôle clé sans lequel aucune production lyrique ne pourrait exister : ils sont omniprésents jusqu’à ce qu’on appelle la « générale piano », une répétition où l’opéra est joué dans son entièreté avec la mise en scène et les costumes, mais par le ou la pianiste seul·e, avant l’arrivée de l’orchestre en fosse. Jusqu’à cette générale piano, le ou la pianiste remplace donc, à lui ou elle seul·e, l’orchestre, fait travailler les chanteur·ses, et joue sous la direction du ou de la chef·fe d’orchestre entre 3 et 5 heures d’opéra avec ses dix doigts. C’est un tour de force et un véritable acte musical parfaitement abouti. Il suffirait qu’une maison d’opéra décide d’ouvrir une générale piano au public (comme le sont maintenant la plupart des générales avec orchestre) pour que, en très peu de temps, les salles soient pleines et que ce métier soit mieux connu. Tout est donc une question de l’endroit où l’on décide d’orienter les projecteurs…
Pour mettre en avant les merveilles, mais aussi les difficultés de ce métier, nous avons entrepris de tourner un documentaire. Réalisé par Claudia Imbert, au sein du service audiovisuel du Conservatoire, il proposera un regard sur ces métiers en suivant des musicien·nes accompagnateur·rices dans leurs (folles) journées. Grâce au Conservatoire, ce sera la première fois qu’un documentaire sortira sur ce très vaste et incontournable sujet.
L’accompagnement n’est-il l’affaire que des pianistes ?
Pas du tout, bien sûr ! Les percussionnistes accompagnent les cours de danse, les clavecinistes-organistes et tous les instrumentistes du continuo (les violistes, les violoncellistes, les bassonistes, les luthistes, les théorbistes…) ont un rôle crucial dans la musique ancienne. Dans le jazz, la frontière entre soliste et accompagnateur·rice est très ténue tant chacun·e prend le lead ou se déplace au long des improvisations. On pourrait dire aussi que l’orchestre, d’une certaine façon, accompagne le soliste du concerto… Dans la musique de chambre, chacun·e devient accompagnateur·rice de l’autre par un jeu de chaises musicales qu’organise le discours musical. Bien d’autres situations pourraient être décrites ici, car l’accompagnement est véritablement l’affaire de tous·tes les musicien·nes.
S’agit-il du premier congrès sur cette question ?
Il y a déjà eu beaucoup de manifestations autour de l’accompagnement, notamment par l’ANMAM, l’Association nationale des métiers de l’accompagnement musical. Il y a aussi des conservatoires qui ont des équipes pédagogiques très conscientes du phénomène et qui ont pris l’initiative d’organiser des fêtes ou des journées de l’accompagnement. Mais disons que c’est la première fois que l’événement aura une telle ampleur, parce qu’un établissement supérieur le porte, qu’un film est tourné sur le sujet, parce que trois jours complets lui seront dévolus. Notre souhait est que ce congrès soit un endroit où n’importe quel·le musicien·ne ou mélomane en France puisse se reconnaître et avoir envie de venir. On parlera du métier de manière générale, de la musique, des gens.
Vous souhaitez inviter des sociologues à ce congrès. Pourquoi ?
Notre volonté est de proposer de réfléchir à la place de l’accompagnement musical dans la cité, en tant que phénomène de société. L’accompagnement est omniprésent dans notre monde : dans les domaines de l’enseignement, du soin, au sein des entreprises, dans les milieux carcéraux, et tout simplement dans la vie quotidienne de la majorité de la population auprès d’un proche en difficulté. La crise du Covid a montré avec acuité combien ce type de travail, de disposition et aussi d’attitude personnelle, était aussi essentiel que peu reconnu. Toutes ces professions, y compris celles de l’accompagnement musical, présentent des risques d’usure, de surmenage physique et psychique. Ces risques commencent à être répertoriés et à faire l’objet de discussions, mais le fait est qu’il existe aujourd’hui beaucoup de mal-être là où nombre de choses extrêmement belles se réalisent. Dans les conservatoires, les accompagnateur·rices sont des acteurs essentiels dans la transmission du jeu d’ensemble, jouant un rôle de formation dans tous les cycles d’apprentissages, de l’initiation à la professionnalisation. Cette place doit être toujours mieux reconnue et les conditions de travail interrogées et améliorées.
Le terme « accompagnement » ne convient pas à tous·tes et est fortement interrogé à divers endroits de notre métier. Le débat autour d’un autre nom reste ouvert… Mais quel que soit ce nom, il s’agira toujours d’une posture noble, en action et en écoute, qui vise à ce que la personne ne devienne non pas dépendante de l’accompagnateur·rice, mais que, via le travail d’accompagnement, elle prenne conscience d’elle-même, se développe de façon à pouvoir marcher mieux après – et, à son tour… accompagner ? Cette dimension est importante : celle de décider de cheminer, à un moment, ensemble. Dans la musique, cela peut continuer toute une vie.
Propos recueillis par Linda Souakria
L’accompagnement, l’autre voix
Du 28 au 30 novembre 2024
Conservatoire de Paris
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