Danse et Parkinson : l’expérience du mouvement dansé
Mis à jour le 12 janvier 2024
À quelques jours du colloque « Handicap, en scène ! » qui se déroulera du 16 au 20 janvier prochain au sein de quatre structures d’enseignement supérieur artistique, Muriel Maffre, directrice des études chorégraphiques du Conservatoire de Paris, revient sur son engagement auprès des personnes atteintes de la maladie de Parkinson.
Vous êtes depuis quelques années, engagée auprès des personnes vivant avec la maladie de Parkinson. Comment cette activité est-elle entrée dans votre vie d’artiste et d’enseignante ?
J’ai rencontré la communauté Danse-Parkinson aux Etats-Unis au travers du programme Dance for PD® du Mark Morris Dance Group. Mark Morris est venu pendant une dizaine d’années au ballet de San Francisco faire des créations avec nous. J’ai ainsi été introduite à son univers esthétique et très tôt, j’ai pris connaissance du programme qu’il avait mis en place et qui est maintenant très installé dans les pays anglo-saxons… Et puis il y a eu mon expérience du travail avec les publics dans l’espace muséal pendant une dizaine d’années. Dans ce cadre, j’ai développé une recherche sur « le musée et le corps ». Ce premier travail que j’ai fait auprès du grand public comprenait des ateliers dansés, parfois avec des personnes en situation de handicap. J’ai trouvé un grand intérêt à décliner mon travail de danseuse et à le rendre accessible aux non danseurˑses, en partant de ce qu’ils connaissent pour les emmener vers une expérience artistique.
En tant que fondatrice de Dance Parkinson France®, comment avez-vous conçu et développé ce projet ? Et pouvez-vous nous décrire la manière dont se déroulent les ateliers ?
Ce à quoi nous attachons une très grande importance, c’est d’installer un lieu qui est dédié aux personnes vivant avec la maladie de Parkinson ou des troubles apparentés. C’est essentiel qu’ils se sentent accueillis, qu’ils arrivent en toute confiance, qu’ils sachent qu’on sait ce qu’ils vivent et qu’on connait leurs besoins. On crée un espace bienveillant et joyeux pour les accueillir sans qu’ils aient à se soucier du regard de l’autre.
Pendant une heure et quart, on travaille ensemble sur les dimensions artistiques du corps. Ce n’est pas de la danse thérapie, on est dans une approche artistique singulière proposée par des professionnelˑles de la danse qui amènent les participantˑes à s’approprier un travail artistique sur le corps, sur le geste dansé, sur le rythme, sur les ressentis, sur la gestion de l’espace, la gestion de l’autre…
Les valeurs sur lesquelles on s’appuie, c’est la bienveillance et c’est un accompagnement de très haute qualité avec des intervenantˑes forméˑes. On est trois dans le studio : l’enseignantˑe principalˑe, unˑe assistantˑe d’enseignement pour accompagner au mieux les participantˑes quand il y a des besoins spécifiques et un musicien. Chaque enseignantˑe s’appuie sur le répertoire qu’il ou elle connait ou sur sa façon d’enseigner, qui sont déclinés et adaptés d'une manière que l'on souhaite ludique, enchanteresse et musicale.
Les danseurˑses et les personnes vivant avec la maladie de Parkinson ont un point commun : chaque matin, ils se posent la question « Comment est-ce que je vais "bien bouger" aujourd’hui ? ». Bien sûr cette question se pose depuis des points de vue différents. Dans le projet que j’ai mis en place, il y a une dimension assez importante de normalisation de ce travail, cet accueil, cette hospitalité. Il y a aussi tout ce que les participantˑes apportent et qui peut nous aider à construire. Il faut garder l’humilité d’apprendre de l’autre.
En tant que directrice des études chorégraphiques depuis août 2023, quels sont les enjeux pour la formation des étudiantˑes en danse ?
Tout d’abord c’est l’enjeu de la prise de conscience qu’il s’agit de généraliser à l’échelle de la société. Et à partir de là, de changer de regard, c’est à dire ne pas se contenter de considérer qu’il y aurait une partie de la société dans les marges et du coup plusieurs sociétés séparées. On est « une » société. Je réfléchis à la manière de sensibiliser les étudiantˑes pour qu’ils ou elles puissent participer à cette prise de conscience. Cette nécessaire prise de conscience collective n’impose évidemment pas que chacunˑe individuellement s’y engage. C’est selon les sensibilités, certainˑes pourront se dire « oui je vais aller vers ça parce que je sens que je peux apporter quelque chose » ou bien « non, je sens que ce n’est pas ma place ».
Il y a un autre vecteur de changement. Le travail que l’on fait actuellement sur l’égalité des chances dans l’accès à l’enseignement supérieur. Il est essentiel que toutes les personnes qui en ont l’envie et le talent puissent voir ce droit respecté et que les espaces et les pédagogies soient adaptés. À travers mes échanges avec Lila Derridj, je vois se dessiner un cheminement à faire sur la manière d’envisager les situations et de les nommer. Ma réflexion se porte actuellement sur l’idée d’un laboratoire au sein de la direction des études chorégraphiques où pourraient être mises en commun les idées et leviers pour une plus grande inclusion des danseurˑses qui échappent à la norme dominante.
Propos recueillis par Sylvie Pébrier, enseignante au département musicologie et analyse
Photo : ZhenMa© pour Danse Parkinson France®
Colloque « Handicap, en scène ! »Du 16 au 20 janvier 2024 Partenariat Conservatoire National Supérieur d'Art Dramatique - PSL, Conservatoire de Paris, Pôle Sup' 93, PSPBB - Pôle supérieur d'enseignement artistique Paris Boulogne-Billancourt, CRR de Paris et Sorbonne Université. |