Cunningham x 100
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- 30nov2019
- Horaires 17h00
- Catégorie Concert
- Adresse
Centenaire Merce Cunningham Merce Cunningham a fait exploser définitivement les cadres et les codes de la danse pour la transformer en art majeur du XXe siècle. Le premier Event, a été crée en 1964, au Museum d’Art moderne de Vienne, faute d’espace convenable pour danser.
Il a développé ensuite ce concept de spectacle « portatif » avec parties amovibles et tirées au sort. Cédric Andrieux, nouveau directeur de la danse au Conservatoire, et ancien danseur de la Merce Cunningham Dance Company, a décidé de rassembler les cent vingt élèves en danse et les élèves de la classe de percussion du Conservatoire pour cet Event géant. Une occasion unique de rendre hommage au maître de la modernité chorégraphique, et de montrer l’importance de la technique Cunningham pour la danse d’aujourd’hui, dans le cadre du Portrait Merce Cunningham proposé par le Festival d'Automne à Paris.
Programme / Distribution
John Cage
Second Construction
Third Construction
Élèves de la direction des études chorégraphiques
Élèves de la classe de percussion de Gilles Durot
Merce Cunningham, chorégraphie
Cheryl Therrien, répétitrice
« Musique nouvelle, danse nouvelle » selon Cage et Cunningham
Parmi les nombreux points communs entre John Cage et Merce Cunningham, c'est surtout leur capacité à faire exploser les codes qui les a rapprochés. Deux révolutionnaires, deux innovateurs : il y a eu clairement un avant et un après Cage et Cunningham. Si, avant leur rencontre en 1937, le danseur n'envisageait pas encore la musique comme la matière principale pouvant influencer sa vision chorégraphique, Cage connaissait déjà bien le domaine de la danse.
La rencontre décisive
Auteur de nombreux texte parus dans le magazine Dance Observer entre 1939 et 1957, Cage baigne très tôt dans le monde chorégraphique. Il gagne ainsi sa vie en accompagnant des cours de danse et en composant à l'occasion pour des représentations. Il se souvient de cette époque dans son livre Silence. Discours et Écrits (Denoël, 2004) qui regroupe de nombreux textes :
« En 1937, j'étais à la Cornish School de Seattle et je travaillais avec Bonnie Bird qui avait dansé avec Martha Graham. Merce Cunningham était l'un de ses élèves et si remarquable qu'il quitta bientôt Seattle pour New York où il devint soliste de la Compagnie Martha Graham. Quatre ou cinq ans plus tard je suis allé à New York et j'ai encouragé Cunningham à présenter des programmes de ses propres danses. Nous travaillons ensemble depuis 1943. »
Pour Cunningham, la rencontre avec Cage fut décisive. Le danseur est rapidement intrigué par cette idée d'imprévu, développée par le musicien, et par la liberté parfois aléatoire de ses compositions. En effet, Cage était persuadé que
« l’ indépendance de la musique et de la danse produit un rythme qui n'est pas celui de sabots de cheval ou autres battements réguliers, mais qui nous rappelle une multitude d'événements dans le temps et dans l'espace – les étoiles, par exemple, dans le ciel, ou les activités terrestres vues du ciel ».
Le compositeur de 4'33 (morceau qui met en valeur le silence) souhaite ainsi la collaboration étroite entre la danse et la musique, même si Merce Cunningham développe par la suite son idée « que la danse ne repose pas sur la musique, mais sur le danseur lui-même, c'est-à-dire sur ses deux jambes et à l'occasion sur une seule ».
L'anarchiste-compositeur ou la libération de la musique du joug romantique
Si la relation entre la danse et la musique fut très importante, ce n'est pas n'importe quelle musique qui pouvait nourrir la collaboration entre les deux artistes. Reconnu comme le percussionniste le plus actif aux États-Unis par le Time magazine en mars 1943, Cage explore cet instrument qu'il considère comme une transition pour arriver à la musique du futur. Avec son ensemble de percussions, il lutte ainsi pour l'émancipation du son et du rythme, « longtemps soumis aux restrictions de la musique du XIXe siècle ». En proposant une « saine anarchie », Cage propose de poursuivre une expérience « en tapant sur n'importe quoi – casseroles, bols à riz, tuyaux de fer – , tout ce qui tombe sous la main. Non seulement en tapant, mais en frottant, martelant, produisant des sons de toutes les manières possibles. En bref, il faut explorer les matériaux de la musique ». C'est dans cette volonté de libération que s'inscrivent les trois Constructions pour percussions, composées entre 1939 et 1941.
Second Construction pour quatuor de percussions (Seattle, 1940)
À l'époque de la composition de la Second Construction, Cage décide d'abandonner les procédures mécaniques de la First Construction, même si leurs instrumentations se ressemblent, notamment par l'utilisation des instruments métalliques. En effet, les deux œuvres sont unifiées par le « piano à cordes » qui engage le jeu direct sur les cordes ou sur le corps de l'instrument. Cette expérimentation va par ailleurs aboutir à la mise au point de la technique du piano préparé (quoique Cage a attribué les origines du piano préparé à sa pièce Bacchanale de 1940, écrite sept mois après la Second Construction). La Second Construction est beaucoup plus fluide que la première. En construisant la pièce en plusieurs sections de seize mesures, Cage adopte la proportion mathématique 4:3:4:5. Malgré ce contrôle, deux couches de structures – une micro et une macrostructure – laissent percevoir une faille dans le système, car elles ne suivent pas parfaitement la proportion indiquée. Cage utilise aussi une écriture de fugue rythmique avec des entrées des motifs initiaux qui se rapprochent de plus en plus.
Third Construction pour pour quatuor de percussions (San Francisco, 1941)
L'intérêt de Cage pour les instruments à hauteur indéterminée culmine avec la Third Construction. Si son instrumentarium est encore plus fourni grâce aux différents instruments traditionnels et exotiques comme le teponaztli (issu des cultures aztèque et maya) ou le quijada (du Pérou et de la Cordillère des Andes), le compositeur ajoute à l'instrumentation quelques objets « recyclés », comme les conques et les vieilles boîtes de conserve. Néanmoins, ces objets ne servent pas uniquement comme des instruments à percussion mais aussi comme un bruit intrusif. Comme dans la Second Construction, Cage soumet la microstructure à une proportion mathématique (2:8:2:4:5:3). En revanche, elle est tout de même permutée d'une manière cyclique dans chacune des quatre parties. Pour le compositeur les règles structurelles servent donc comme un fondement qui permet le déséquilibre des éléments. Malgré la modernité de ses idées, Cage n'abandonne pas tout à fait son héritage classique. Il utilise ainsi des « cadences rythmiques » qui terminent chaque unité de 24 mesures avec des relations « consonantes » comme l'unisson rythmique.
L'importance d'un processus rythmique soumis au contrôle ou, à l'inverse, au déséquilibre, devient ainsi pour Cage et Cunningham une idée de départ pour création d'un nouveau concept : « musique nouvelle, danse nouvelle ». En élargissant les principes fondamentaux de la danse et de la musique, la collaboration entre Cage et Cunningham fut à l'origine d'un mouvement libérateur pour ces deux arts dont les répercussions se font toujours sentir.
Gabriele Slizyte (élève de la classe des Métiers de la culture musicale, professeur : Lucie Kayas)
festival-automne.com
lavillette.com
Coproduction Festival d’Automne à Paris, Parc et Grande Halle de la Villette, Conservatoire de Paris