
Noémie Langevin
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Diplôme de 1er cycle danse contemporaineDanse contemporaine
Voir si les couleurs d’origine peuvent revenir
Ce projet de composition naît d’une fascination et d’un intérêt particulier porté au sujet de la ruine. Il s’agissait de mettre en œuvre par des moyens corporels l’état de mélancolie, d’effondrement, d’effritement dont j’étais inspirée. Cela s’est traduit dans mon processus de composition par des improvisations axées autour de différents thèmes précis : le temps, l’éboulement, l’empreinte, la déconstruction et la reconstruction, la fragilité. Au fil des différents schémas de danse qui en ont émergé, une esthétique s’est petit à petit dessinée. Le corps s’effondre, se déconstruit, dessine des angles, se fragilise, se décompose. L’état qui en naît est las, mélancolique. Le corps lui-même est constamment attiré vers la chute, complètement soumis à la gravité, balayé par le passage du temps. Il devient vieille pierre, monument, poussière. Cette composition est une décomposition du corps, lente, douce, temporelle.
EMPREINTE ET MATIÈRES
Un des axes principaux de composition de mon projet a été l’empreinte. Autant dans la création que dans l’interprétation, je me suis intéressée à la matière donnée à mon corps et à mon espace périphérique. Parmi les images sur lesquelles je me suis appuyée pour créer, deux me sont restées principalement : la pierre qui s’effondre en soulevant des nuages de poussière, et le corps qui laisse des empreintes dans le sable. Pierre et sable ont été mes deux matières de prédilection pour composer. Vacillant entre consistance et fluidité, j’ai travaillé autour de ces deux matériaux, et l’empreinte que peut donner ou recevoir l’un et l’autre. Comment donner du mouvement à la pierre et de la consistance au sable ? L’enjeu a été de donner corporalité à ces deux éléments, au travers d’un travail d’improvisation et de recherche de corps et d’esthétique. Il a fallu pour cela créer un imaginaire qui s’est construit petit à petit. Se mettre à la place d’un monument. Trouver l’effondrement en soi avant de l’extérioriser. Ce sujet de l’empreinte est intimement lié au rapport au temps. Lorsque mon corps se dépose, il ne le fait pas uniquement de manière spatiale, il s’agit également d’une dilatation du temps, de la matière. J’ai travaillé pour cela autour d’une alternance entre détente et rigidité, afin de donner forme à l’espace autour de moi. Lorsque je m’appuie sur l’air, je m’appuie réellement sur une matière qui se forme et se déforme au fil de la danse.
Cette matière qui se forme et déforme se confond peu à peu avec le corps lui-même. Il devient tour à tour pierre qui s’effondre, sable qui se modèle, rigide, souple, lourd, mobile ou postural. Cet aspect de la composition oscille entre abstraction et concret, imaginaire et matière palpable.
EN RUINES
« Les idées que les ruines réveillent en moi sont grandes. Tout s’anéantit, tout périt, tout passe. Il n’y a que le monde qui reste. Il n’y a que le temps qui passe. »
Il y a un an de cela, j’avais recopié cette citation de Diderot. Il me semble que la ruine a toujours été source de fascination et d’inspiration pour moi. Il s’agit d’un élément très ancré dans mon imaginaire, de manière picturale et sensible. La volonté de créer un objet chorégraphique et corporel à ce propos s’est affirmée après un voyage à Rome en juillet 2019. Il m’en reste des souvenirs très sensitifs, dont il m’est apparu tout de suite, de manière évidente, qu’il fallait les transposer dans un univers chorégraphique. J’avais l’envie d’un objet visuel, pictural, mêlant les images statiques que j’avais gardées dans mon imaginaire, et le mouvement.
Ce projet ne s’est pas seulement articulé autour d’une abstraction. J’ai voulu également faire le lien avec le physique, le vivant, l’actuel.
Cette composition s’étant développée durant la période de confinement, il m’a semblé indispensable de faire le lien avec la situation. Quel est le monde que nous allons retrouver en sortant de cette crise, quel monde de l’art nous attend ? Il nous faudra composer, en tant que danseurs, avec de nouveaux corps, des corps en ruines, dans lesquels il faudra retrouver la trace de ce qu’était notre quotidien avant cette période. Il nous faudra vivre avec de nouvelles préoccupations d’espace, de contact (ou non-contact), de nouvelles manières de danser ensemble. Le même monde, mais différent. En ruines, mais reconnaissable, exploitable, à reconstruire.
PROJET VIDÉO
Pour ce projet il nous a été donné l’opportunité de sortir nos compositions du cadre scénique, et d’en créer un objet chorégraphique et audiovisuel.
J’ai choisi de filmer ma composition dans ma ville natale à Bordeaux, devant les ruines d’un amphithéâtre (le Palais Gallien). Le choix du lieu fait partie intégrante de mon projet. En effet, filmer dans la ville où j’ai grandi a été important pour moi, après quatre ans sans y avoir dansé. Ce projet a fait écho non seulement de manière extérieure à moi, mais également de manière plus personnelle, en trouvant dans ma danse ce qui était en ruines et ce qui ne l’était pas encore.
Compte tenu du nombre d’éléments donnés par le lieu, j’ai choisi de ne montrer que du corps et du mouvement dans la vidéo. J’ai pu également jouer avec différents effets d’image, de couleurs, de vitesses, etc. J’ai beaucoup apprécié le fait de pouvoir se détacher d’une seule performance physique, éphémère, pour pouvoir construire un objet vidéo concret et presque matériel.
En ce qui concerne la musique, j’ai choisi une chanson de Leonard Cohen, Leaving the table. J’ai été influencée dans ce choix par l’atmosphère doucement mélancolique qu’il inspire, ainsi que par la symbolique du texte.
I'm leaving the table
I'm out of the game
I don't know the people
In your picture frame
If I ever loved you or no, no
It's a crying shame if I ever loved you
If I knew your name
« Quitter le jeu. » La notion de chose passée, de la nostalgie, du fait de quitter quelque chose m’a beaucoup inspirée pour composer.
Cette composition est une forme douce, nostalgique, du regret. Comment retrouver quelque chose d’oublié. Le souvenir, la mémoire, le temps. La mélancolie et la quiétude. L’abandon dans ce qu’on a tenté de conserver. Même lorsque tout est détruit, qu’est-ce qu’il en reste ? Que signifie une ruine ?
« Quand tout est détruit, tu sauves l’essentiel n’est-ce pas ? »
Wajdi Mouawad
INSPIRATIONS
Tatiana Julien, Ruines : http://www.cinterscribo.com/ruines/
Sylvère Lamotte, Ruines : http://www.cie-lamento.fr/portfolio/ruines/
Monuments de la ville de Rome : Colisée, Panthéon, Stade de Domitien, Mur d’Aurélien
Citation extraite de Fauves, et l’ensemble de la bibliographie de Wajdi Mouawad
Citation extraite de Salon de 1765, de Diderot
Leonard Cohen, Leaving the table
Dessin de source inconnue :
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RÉPONSES AUX QUESTIONS
Qu’est-ce qui vous tient particulièrement à cœur dans votre engagement de danseur ?
Au fil de mes quatre années de formation au Conservatoire, j’ai développé un goût personnel pour certaines esthétiques mais également pour certaines manières de s’engager dans la danse. Il m’est apparu, de plus en plus, que je ne souhaitais pas être une interprète déconnectée de l’actualité du monde, et que je ne voulais pas évoluer et travailler dans un univers apolitique. Sans vouloir être à tout prix revendicative dans l’ensemble des créations dont je ferai partie, il me semble très important d’être consciente des sujets que je veux défendre, des personnes avec qui je souhaite travailler, et des valeurs dans lesquelles je ne me reconnais pas. J’ai de plus en plus l’envie de faire partie d’un domaine de l’art qui a des considérations éthiques, écologiques, égalitaires, paritaires, etc. Il me semble que la danse peut faire partie intégrante des luttes sociales actuelles, et ne doit pas s’écarter des problèmes sociaux et environnementaux sous prétexte d’être un art qui se veut parfois abstrait et élitiste.
Pour parler d’un seul sujet spécifiquement, je porte depuis longtemps une attention particulière aux discriminations de genre dans le monde de la danse. Étant dans ma vie personnelle profondément engagée dans les valeurs féministes, j’aimerais pouvoir retrouver celles-ci dans la danse. J’ai de plus en plus envie de travailler avec des femmes engagées, et de voir des voix de femmes s’élever, avoir la visibilité et la reconnaissance qu’elles méritent. Je souhaite dans ma carrière d’interprète pouvoir avoir l’opportunité de faire partie de créations engagées, qui donnent leur place aux femmes. Je souhaite me sentir légitime par rapport à mes collègues masculins et, à terme, ne pas devoir me battre pour obtenir la reconnaissance que ceux-ci obtiennent des années avant n’importe quelle danseuse. Pour cela, cependant, il me semble qu’un réel combat est à mener, en créant par exemple des collectifs féminins de non-mixité (pour évidemment arriver à des endroits de mixité totale sans discriminations), pour donner une réelle force de parole à des artistes féminines, sans devoir subir des pressions patriarcales et sexistes d’une omniprésence du regard masculin au sein du monde de la création. Il me semble que les progrès à faire dans ce domaine ne pourront se faire qu’en donnant la parole aux femmes, directement. Il existe un réel paradoxe entre la prétendue féminité de la danse, et la sous-évaluation de celles-ci dans le champ chorégraphique. La danse n’est ni l’affaire des hommes, ni des femmes, elle est l’affaire des corps. La déconstruction du genre dans le monde de manière générale, et plus spécifiquement dans la danse, est pour moi un réel idéal à atteindre. En passant par des pratiques corporelles telles que celle de la contact improvisation, où la question du genre n’est pas prise en compte, il est selon moi possible de réellement éveiller des consciences de danseur.euses, professionnel.les ou amateur.es, voire de personnes qui n’ont jamais dansé. La danse est pour moi un réel vecteur de messages politiques sur le sujet du féminisme.
Cet engagement me tient réellement à cœur, car il est source infini de progrès, de propositions. Des choses sont à faire, sur tous les sujets : que ce soit d’un point de vue historique (histoire du féminisme, émancipation des femmes, droit de vote), d’un point de vue actuel, d’un point de vue esthétique, d’un point de vue politique (désexualisation du corps nu féminin), d’un point de vue paritaire, tous les combats sont encore à mener, toutes les causes du féminisme sont à défendre, et je veux travailler dans un monde de la danse qui fait partie de ces combats.
Comment vous situez vous dans le champ chorégraphique actuel ?
En finissant mon cursus de premier cycle au CNSMDP, j’essaye au mieux de me projeter dans le monde professionnel, que ce soit en tant qu’interprète ou éventuellement chorégraphe. Il me semble cependant qu’aujourd’hui, dissocier l’un et l’autre n’est pas pertinent. Ce que je retiens fondamentalement de mes quatre années au Conservatoire, c’est qu’un.e bon.ne interprète est en mesure de répondre à un.e chorégraphe de manière participative, de développer une gestuelle propre à lui.elle, tout en restant évidemment adaptable aux propositions, et de savoir créer, imaginer et composer. Réciproquement un.e chorégraphe doit savoir se mettre à la place de ses interprètes.
Je n’ai pour l’instant pas le désir de chorégraphier pour d’autres corps que le mien, étant plus attirée par une carrière d’interprète. Cependant, la possibilité d’avoir pu expérimenter la chorégraphie et la composition dans mon cursus a été pour moi une des manières les plus enrichissante d’évoluer dans la danse. Au fur et à mesure de mon parcours, j’ai de moins en moins dissocié l’interprétation de la composition. Mon désir de danser étant majoritairement motivé par mon attirance pour telle ou telle manière de chorégraphier, il me semble que la relation interprète/chorégraphe est fondamentale dans la création. De ce fait, je ressens l’envie de me positionner de manière active dans un statut d’interprète.
Une expérience en particulier m’a donné le désir de mêler composition et interprétation. En juillet 2019, j’ai participé au stage d’été avec le chorégraphe Emanuel Gat. Pendant une semaine, il nous a fait découvrir son processus de travail, au travers d’improvisations donnant lieu plus tard à des formats courts de compositions, qui ont enfin abouti à un objet chorégraphique d’une vingtaine de minutes. Cette manière de chorégraphier était totalement inédite pour moi, et m’a réellement passionnée. De là est né le désir d’être impliquée de manière créative dans les créations dont je fais partie et de dépasser le stade de simple interprète.
La manière dont je me situe dans le champ chorégraphique actuel reste dans une approche essentiellement contemporaine, autant dans les processus de création que dans les différentes esthétiques auxquelles je serai confrontée. J’ai envie de faire partie du paysage chorégraphique contemporain d’aujourd’hui et de demain, et de toucher à différentes formes de créations, autant en institution, en compagnie, que dans des collectifs d’improvisation, de créations indépendantes ou de recherche personnelle.
Quel est votre projet professionnel à court, moyen et long terme ?
Beaucoup de choses m’attirent pour le moment lorsque j’imagine mon avenir professionnel. Il me semble que, pour le moment, je souhaite expérimenter le plus de choses possible, découvrir le monde professionnel au travers de plusieurs créations, et de travailler avec des chorégraphes et des danseur.ses de différents parcours. Je souhaite continuer à créer, improviser, mais mon désir le plus fort est de monter sur scène, autant que possible.
Sans savoir dans quelle chronologie je souhaite faire ces expériences, je sais que je veux aussi bien expérimenter le travail en compagnie que la recherche et la création avec d’autres interprètes. Sans en avoir le désir actuellement, je laisse également la porte ouverte au travail de médiation, de recherche théorique, etc.
Concernant le futur proche je souhaite développer et m’investir dans les projets dans lesquels je suis déjà engagée, et qui sont en cours de professionnalisation. Je souhaite également profiter de cette année de plus au Conservatoire pour faire le plus de rencontres possible, et découvrir de nouveaux répertoires, de nouveaux processus de travail, ainsi que de nouveaux.elles interprètes avec qui travailler. J’imagine mon insertion professionnelle par le biais d’un stage en compagnie, comme prévu dans le cadre du Conservatoire, ce qui, je pense, sera une excellente manière de me familiariser avec le travail en compagnie et le monde professionnel. Des projets indépendants se dessinent déjà pour les deux prochaines années (interprète pour une ancienne élève du conservatoire, création avec un ami danseur, participation à un collectif d’improvisation générative) qui, je l’espère, me permettront d’évoluer dans le champ chorégraphique et m’ouvriront d’autres portes par la suite. Je me laisse ainsi une ou deux années afin d’expérimenter les projets qui me tiennent à cœur, tout en continuant d’auditionner pour des compagnies en France et en Europe, et en faisant le plus de rencontres que je peux, afin de réellement être consciente des personnes avec qui je souhaite travailler.