Nicolas Dross
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Master 2020Piano
Lors de ses études de piano à Montpellier, Nicolas Dross s’initie en autodidacte à la composition, puis suit des cours d’écriture et d’accompagnement. En 2013, il est lauréat du Concours interrégional de piano Alain Marinaro de Pennautier et des Saisons de la voix à Gordes, en duo avec la soprano Lalaïna Garreta. Sa rencontre avec Denis Pascal lui fait prendre conscience de la richesse de la littérature pour piano, ainsi que l’exigence de l’interprétation d’un langage musical. Il entre en 2015 au CNSMDP, où il poursuit son parcours en piano, écriture et pédagogie.
François Couperin,
Pièces de Clavecin, Vingt-cinquième Ordre
« La visionnaire »
« La misterieuse »
« La Monflanbert »
« La muse victorieuse »
« Les ombres errantes »
Franz Liszt,
Études d’exécution transcendante, S.139
n° 6 : « Vision »
n° 11 : « Harmonies du soir »
Alexandre Scriabine,
Sonate n° 5, op. 53
Béla Bartók,
Szabadban, Sz 81, 2e partie
« Az éjszaka zenéje » (Musiques nocturnes)
« Hajsza » (La chasse)
Abend ist’s, die Sonne ist verschwunden,
Und der Mond strahlt Silberglanz;
So entfliehn des Lebens schönste Stunden,
Fliehn vorüber wie im Tanz.
C’est le soir, le soleil est disparu,
et la lune brille de son éclat d’argent ;
ainsi s’évadent les plus belles heures de notre vie,
s’échappent devant nous comme dans une danse.
Johachim Heinrich Campe, Abendempfindung
Traduction : Yannis Haralambous
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Comme dans ce fameux lied de Mozart (Abendempfindung, « sensation du soir »), la nuit et l’obscurité sont souvent associés au deuil et à la mort.
C’est ainsi que François Couperin (1668-1733), gravement affaibli par sa maladie, publie en 1730 son quatrième et dernier livre de pièces de clavecin. Il y réunit des œuvres très personnelles aux noms féminins, parfois en hommage aux femmes de son entourage. Concluant le Vingt-cinquième ordre, Les ombres errantes peint une scène de la mythologie grecque, dans laquelle les âmes damnées se lamentent sur les rives du Styx.
Cent ans plus tard, Franz Liszt (1811-1886), alors adolescent, compose Vision sur le thème grégorien du Dies Irae. Le titre de cette étude a été ajouté en 1852 lors de la troisième édition des Études d’exécution transcendante. Il fait référence à une ode de Victor Hugo, dans laquelle Dieu juge une âme et la condamne pour avoir renié sa foi en faveur des sciences. Ainsi, cette étude spectaculaire illustre à la fois la voix de Dieu par un choral majestueux, et la chute de l’âme avec un épisode dramatique d’arpèges descendants à la fin du morceau. On peut voir dans ces références la passion religieuse et les tourments mystiques qui ont animé Liszt toute sa vie, jusqu’à recevoir les ordres mineurs en 1865.
Alexandre Scriabine (1871-1915) est un autre compositeur caractérisé par son mysticisme : entre 1905 et 1908, alors qu’il réinvente son style musical, Scriabine compose Le Poème de l’Extase, un poème symphonique qu’il accompagne d’une longue note de programme. Ce texte poétique, haletant, scandé, décrit la naissance d’un esprit ailé dans un monde magique, ses désirs intenses, ses tourments, dans une euphorie mystique quasi hallucinatoire mêlée d’érotisme. Il cite quatre lignes de ce poème dans sa cinquième sonate, composée en 1907, pleine d’exaltation et de sensualité :
« Je vous appelle à la vie, ô forces mystérieuses !
Noyées dans les obscures profondeurs
De l’esprit créateur, craintives
Ébauches de vie, à vous j’apporte l’audace ! »
Le programme se termine par un retour à la nature, avec Béla Bartók (1881-1945). Bartók compose Szabadban (En plein air) en 1926, inspiré par la musique pour piano de Stravinsky, et par l’usage percussif qu’il en fait. La quatrième de ces pièces, Az éjszaka zenéje (Musiques nocturnes) décrit avec précision une nuit d’été hongroise, avec chants d’oiseaux, de cigales, et des crapauds sonneurs à ventre de feu. Ces bruits, décrits par différents effets pianistiques, sont interrompus par des mélodies inspirées de la musique folklorique d’Europe de l’Est chère à Bartók : un choral mélancolique, et un air de flûte plus enjoué.