
Nathanaël Plantier
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Diplôme de 1er cycle danse classique 2020Danse classique
Chaleurs
Le toucher du soleil, la ténacité de sa chaleur, son emprise, lorsqu'elle s'immisce lentement, généreusement, dans un corps.
Tout part du chaud, tout corps tend vers la chaleur. C'est une source de mouvement, de vie, de circulation qui lie corps et peaux. Traiter la chaleur, c'était pour moi revenir à la primarité du corps et à sa motricité. Du ventre de la mère à la proximité de deux êtres l'un contre l'autre, la chaleur s'immisce constamment entre nos corps, notre peau, des plus grandes surfaces aux parties les plus intimes.
D'ou vient cette chaleur? Comment la crée-t-on?
Il m’a suffi d'observer les géométries du soleil sur mon mur à la Edward Hopper pour être frappé par l’imposante lumière de ce mois de mars. Le soleil et ses rayons transperçaient ma chambre le matin, faisant entrer une chaleur particulière, quelque chose d'authentique, un retour aux sources simple et purement humain. Seul, dans ma chambre en plein confinement, j'ai pu saisir l'importance de cette chaleur, sa force, qui véhicule rêves et envies, sensations inédites. Tout change lorsque l’on baigne dans la chaleur. C'est cette dimension essentielle qui me fascine, c'est voir à quel point le corps cherche constamment la chaleur, le solaire et le (ré)confort.

À partir de ce sentiment, j’ai exploré les façons de créer de la chaleur, aussi bien dans ma danse que dans mon comportement avec les autres. Tout d’abord, chercher une chaleur revient bien souvent à établir un contact physique entre deux matières ou deux corps : poser sa main sur son visage, se frotter les avant-bras, sentir le grain de sa peau. Toute partie d'un corps est en effet susceptible d'apporter ou de véhiculer de la chaleur, mais on parle aussi souvent de chaleur humaine : elle est alors ce qui établit un lien presque maternel entre deux corps, un état de confort, un sentiment agréable qui survient rarement. Mais c’est aussi oser aller chercher cette chaleur, et tenter d’atteindre un point chaud, un instant généreux, d’autant plus bienfaisant en ce confinement, empli de froid, de peur, de rejet de tout contact. Je me trouvais confronté à mon propre besoin de chaleur, chaleur que je recevais habituellement de mes camarades, de leurs corps, de ma famille, du contact humain.
Comment le corps réagit-il à la chaleur?
Outre la dimension maternelle et bienfaisante que je viens d'évoquer, j'ai cherché à identifier d'autres effets de la chaleur sur un corps. Je me suis donc remis à ma fenêtre, là où le soleil régnait, et j'ai attendu. Les premières secondes, puis les minutes défilaient, et le soleil restait toujours présent. J'avais l'impression que plus le temps passait, plus j'étais susceptible de fondre, de laisser ma peau dégouliner d'elle-même. Sans entrer dans des considérations scientifiques, j'ai compris que la fonte serait un point important de ma recherche. Dégouliner, ramollir, perdre, se déformer, se liquéfier : ces mots me semblaient être des clés pour mieux comprendre le phénomène de fonte. Comment, avec mon corps, son poids et ses appuis, allais-je pouvoir reproduire un état de fonte? J'ai trouvé ma réponse dans le changement de niveau, de tension musculaire, de perte d'appuis. J'imaginais être une matière corporelle proche de la cire, qui s'affaissait, perdait de sa consistance, et j'ai surtout cherché à perdre ma forme initiale, à m'abandonner à cette fonte.
J'ai aussi pu trouver réponse dans un passage de Bonjour Tristesse de Françoise Sagan, qui personnifie comme un être ayant un contact avec le personnage :
« Le soleil était doux et chaud, il me semblait qu’il faisait affleurer mes os
sous ma peau, qu'il prenait un soin spécial à me réchauffer. »
Françoise Sagan, Bonjour Tristesse, chap. VIII

Chercher cette chaleur vrombissante à l'intérieur de moi fluidifiait et alourdissait ma prise d'élan et mes mouvements.
Ma recherche artistique et iconographique s’est poursuivie avec les œuvres de Paul Gauguin. Je ne pouvais composer sur la chaleur sans aborder les tableaux si solaires du peintre français. Je n’ai pas cherché à recréer ou reproduire une de ses peintures, mais ai tenté d'observer les positions prises par ses modèles sous l’effet de la chaleur assommante de Polynésie française. C'est cette chaleur épuisante, rude et tenace qui me fascinait. Transposer l’assèchement en danse, chercher à vivre l’aridité, voire presque le craquèlement d’une peau, d'un corps, d’une terre ; rétrécir, couper, raidir, frapper : tels furent les idées motrices de mon travail.
Pourquoi « Chaleurs » ?
Chaleurs : le pluriel m’a semblé évident. Comment traiter l'assèchement comme la rondeur et la bienfaisance du soleil sur ma peau ? Comment donc n’évoquer qu’une seule forme de chaleur ? Je ne voulais en aucun cas dissocier les différents types de chaleur ; au contraire, il s’agissait pour moi d’une étude, d’un parcours à travers la chaleur sous toutes ses formes, et qui la représente à mes yeux de manière plus exhaustive.
Chaleur dansée, chaleur vécue ?
Cet intérêt pour la chaleur reflète en partie mon rapport à l’interprète et à la danse en général. Je pense que tout danseur possède un élan de chaleur, transmissible aussi bien pour les danseurs qui l’entourent que pour un public. C'est ce qui me plaît dans la danse et c’est ce qui est à l'origine des goûts de chacun. J’apprécie un danseur parce qu’il est solaire, qu’il rayonne et qu’il nous propose une générosité, un partage. Je cherche moi-même, en tant que jeune danseur, à constamment transmettre et échanger. Composer, improviser, créer du contact m’autorise à partager toute forme de chaleur par le toucher, le regard, la proximité et c'est, je pense, un caractère fondamental de mon art. Je tente constamment de cultiver ce flux, car c’est ce qui me touche et ce qui touche autrui. Or, cette période difficile, qui a supprimé toute once de chaleur entre les individus, m’en a fait ressentir un besoin insoutenable.
Sources

Françoise Sagan, Bonjour Tristesse
Edward Hopper,
Office In A Small City, 1953
Summer In The City, 1950
Morning Sun, 1952
Paul Gauguin,
Femmes de Tahiti, 1891
Nafea faa ipoipo?, 1892
Suite de peintures réalisées en Polynésie Française
Van Gogh ébloui, France Culture, 2019
Musique : Maurice Ravel, Daphnis et Chloé, I. Lever du Jour (1909-1912)
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Que représente pour vous la danse classique en 2020 ?
Je trouve qu’il est nécessaire pour nous, jeunes danseurs sur le point d’entrer dans le monde professionnel, de se questionner sur la danse, ses enjeux et son importance dans le monde qui l’entoure.
Ce qui m’inspire constamment dans la danse classique, c’est la dimension de transmission. Transmission du maître de danse au professeur, du professeur à l’élève, de l’élève aux autres élèves. C’est un art qui vit par/pour son histoire, et qui donne beaucoup d’importance à son répertoire et à la mémoire. Comment autant de ballets, et tant de détails nous sont-ils parvenus si longtemps après leur création ? Je pense qu’il y a cette responsabilité pour un danseur de vouloir faire perdurer la danse classique et de transmettre à son tour son savoir. C’est grâce au travail commun de tous les danseurs que notre art vit encore aujourd’hui.
Naturellement, étant donné que la danse classique perdure depuis des siècles, il est dur de s’identifier avec certains principes, ou certaines valeurs qui ne sont plus d’actualité. Durant mes études, j’ai toujours eu des difficultés à d’un côté jouer par exemple, un prince aux allures « viriles » et sexistes pour être totalement l’inverse dans la vraie vie. Ma volonté n’est pas de généraliser la danse masculine et de la dénigrer mais plutôt de partager ma vision et mon expérience face à cette « étiquette » du protagoniste masculin des ballets classiques.
C’est aussi je pense le combat de beaucoup de dans.eurs.euses. En effet, ces dix dernières années, le monde assiste de plus en plus à cette volonté de déconstruire toutes les injustices, et inégalités du système occidental (sexisme, racisme, homophobie, transphobie, écologie). Et c’est justement ce paradoxe qui me frustre : lorsque je défends une cause à l’extérieur, je dois me replonger dans un monde qui prône l’inverse en danse.
C’est pour cela que le contemporain s’immisce de plus en plus dans les compagnies classiques. Je pense que les danseurs (formés en classique) ont une envie grandissante de s’exprimer et de ne plus uniquement divertir. Parce que c’est tout de même ça la fonction première de la danse classique : Divertir. En me rappelant cela, je ne peux m’imaginer seulement « divertir » , je pense avoir besoin de plus à un moment dans ma carrière, parler de ce qui blesse, débattre sur des problèmes contemporains, avoir cette liberté d’interpréter sans avoir à respecter un style, un moule bien précis. C’est pour cette raison que je valorise beaucoup le contemporain.
Nous avons eu l’opportunité d’avoir une master class dansée avec Hugo Marchand, étoile de l’Opéra de Paris. Lors d’une question portant sur son « ratio » entre classique et contemporain à l’Opéra, il nous a avoué qu’il cherchait à faire de moins en moins de différences entre classique et contemporain. C’est pour moi une approche intéressante ; je ne prône pas le mélange des deux styles, qui je pense dévaloriserait les deux, mais je vois plus cela comme le début d’un nouveau classique. Utiliser le langage classique et sa technique pour peindre une société, des failles, des troubles pour enfin s’adapter à l’actualité. Cela pourrait s’approcher du néo-classique mais je pense que l’on pourrait encore re-penser le classique, pour y incorporer des sujets qui ne sont plus là que pour simplement divertir mais qui mettrait le danseur dans une position plus politique, dans laquelle il réfléchirait, se poserait des questions… De plus en plus de chorégraphes cherchent à changer progressivement ce monde classique notamment Justin Peck, Benjamin Millepied, et beaucoup d’autres...
Qu’est-ce qui vous tient à cœur dans votre engagement de danseur?
Je dirais que la chose qui me motive constamment à persévérer en danse, est le partage, l’échange entre l’interprète et le public. Beaucoup auront une réponse similaire à la mienne, mais je crois que c’est ce qui nous pousse tous. C’est avoir un retour d’une audience, une parole, une réaction, et voir à quel point notre mouvement a du poids sur quelqu’un d’autre. Je vois la danse comme un langage, une parole que l’on prend avec un mouvement, et c’est ce qui me tient à cœur.
On transmet un message, une histoire, un propos que l’on véhicule grâce au corps et c’est dans ça que se trouve la beauté de la danse pour moi.
J’ai entendu à plusieurs reprises que le travail menait à la liberté du danseur, et que plus il travaillait en détail, plus il serait capable de s’exprimer pleinement. Je commence à ressentir une infime partie de cette liberté, bien que j’en doutais au début. En fait, je crois que ce qui m’attire le plus en danse, c’est d’être capable de contrôler et de connaître son corps à tel point que tout est faisable, tout est exprimable, et qu’il n’y a plus rien que l’on ne puisse pas traiter ni comprendre. Savoir tout bouger, de ses doigts au dos, à la voûte plantaire en passant par le ventre ; savoir tout sentir, tout toucher. C’est vraiment prendre pleinement conscience du corps que l’on a, de son humanité, de ses défauts/qualités et construire ce que l’on veut avec. Je vois ça aussi en quelque sorte comme cultiver sa chaleur, cultiver son énergie que l’on transmet au public.
C’est ce dont je parlais dans mon explication sur ce projet de Chaleurs : c’est la recherche constante de chaleur venant d’une chorégraphie, d’une danse ou d’une scène particulière.
J’aime énormément l’importance accordée au groupe et à la symbiose en danse. C’est quelque chose qui me fait sourire, qui m’apporte beaucoup de danser à plusieurs, en duo... Je suis fasciné par la danse des autres, le mouvement que chacun possède, son style, ses formes, ses prises de choix. Ce que j’aime, c’est ce contact humain qui prend une forme artistique, et qui lie tout un groupe ensemble. Respirer ensemble, bouger ensemble, parler ensemble, tomber ensemble. Et même en dehors de la danse, je me suis rendu compte très vite que le groupe était nécessaire à notre « fonctionnement » , que l’ensemble faisait vivre la danse, et la nourrissait.
Quel est votre projet professionnel à court, moyen et long terme ?
Étant en dernière année au conservatoire, mon souhait principal actuel est d’obtenir un contrat avec une compagnie qui puisse m’ouvrir les portes du monde professionnel, de ses défis, ses enjeux et qui me forme dans plusieurs styles, avec plusieurs chorégraphes. Je cherche généralement des compagnies qui proposent à la fois des pièces classiques comme des pièces contemporaines et néo-classiques, afin d’explorer la danse sous différents aspects. En effet, je ne compte pas faire uniquement du classique, ni même uniquement de la danse.
A moyen terme, si la chance et mon travail me le permettent, j’essaierai de monter le plus haut possible dans les échelons de la compagnie dans laquelle je me trouverai. J’aimerai également travailler dans plusieurs compagnies, et ne pas rester dans une seule. Je sais que cette réponse est ambitieuse et très affirmée, mais je pense que nous avons besoin en tant que danseurs, devons nous munir de cette confiance (sans être hautain ou irrespectueux) pour danser là où nous voulons danser.
Je pense que la chorégraphie pourrait aussi beaucoup m’intéresser, travailler avec différents ensembles, différentes compagnies, dans des lieux variés, mais je souhaite vraiment expérimenter la vie de danseur avant d’essayer la chorégraphie.
Je pense que dès lors que la danse ne pourra plus me satisfaire, j’essaierai de changer de domaine, de m’ouvrir à beaucoup d’autres choses. Le graphisme, l’illustration et l’architecture m’intéressent beaucoup. J’aimerai vraiment pouvoir « toucher à tout » , et essayer pleins de formes d’art, de professions. Le travail du costume, de la scénographie, de la réalisation m’intéresse aussi énormément dans le cas où je souhaiterai rester proche de la danse. Je pense ne pas vouloir me mettre trop de barrières ni me restreindre pour plus tard, car beaucoup de choses m’intéressent en parallèle et je pense qu’il est primordial de satisfaire ses envies aussi en dehors de la danse. En tout cas, je compte rester dans le monde de l’art, un monde riche qui prône la passion, l’inventivité et la qualité du travail.