
Mathilde Plateau
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Diplôme de 1er cycle danse contemporaine 2020Danse contemporaine
Encadrement : Sylvie Berthomé et Edmond Russo.
Submergée

« L’eau monte ! L’eau monte. Est-ce l’eau de nos larmes accumulées ? L’eau monte noyant d’abord la Terre, les plantations, les cultures, puis nos orteils. Nos orteils d’habitude caressés par les embruns marins. Nos orteils en espérance de plage, d’eau méditerranéenne mais ça n’est pas cette eau là. L’eau monte. Est-ce l’eau des océans plastiqués qui vient se réfugier sous nos terres rassurantes ? Est-ce l’eau des rivières polluées ? Est-ce l’eau, l’eau parmi lesquelles les saumons se frayent un chemin avant de terminer, dans nos frigos, dans nos assiettes, sous nos fourchettes en plastiques et nos dents cariées ? L’eau monte ! Ah monte monte l’eau monte monte monte l’eau. Est-ce l’eau qu’on met dans du Ricard pour noyer nos chagrins ? Est-ce l’eau dont nous sommes constitués, nous qui sommes 90% d’eau, de 10% de je ne sais quoi, des os peut-être, des os O - S, comme les ouvriers spécialisés de nos propres vies.
L’eau monte ! L’eau arrive déjà au nombril là où tout se joue, le centre de nous-même, et signé par Léonardo De Vinci, la Joconde du ventre, lointain les épaules. On retient une dernière fois son souffle, la bouche aaaaahhhhh… Et c’est la plongée, la plongée ! Enfant dauphin, va ! Tel Oum et Galak sur le chocolat blanc de nos enfances. Va nager, va frétiller, de la queue ! L’eau monte ! Allez les noyés en avant ! Tous dans la Calypso, Gusto vous attend ! »
Edouard Baer, podcast Radio Nova en 2018
Pluie fine et bruine
Veux-tu un verre d’eau ? Une glace ? Du thé ? Veux-tu faire un sauna ? Aller à la piscine ? Tu transpires ! Une douche écossaise, c’est bon pour la peau. Un bain plutôt ? Laisse couler l’eau, elle va chauffer tout doucement. L’eau est ma propriété, j’en fais ce que je veux.
Attends, il y a une ombre au tableau… Comment se l’approprier ? Lance ton filet et tu passeras à travers les gouttes. Ou… Non, c’est plutôt l’opposé, les gouttes passeront à travers les mailles du filet. Je peux l’attraper, peut-être pas dans sa globalité mais au moins une petite quantité. Laisse-moi essayer s’il-te-plaît.
Quelle insouciance de tourner le robinet alors que certains endurent la sécheresse sur des terres arides.
Précipitation verglaçante
Possession. L’Homme a soif. Soif de pouvoir, de pouvoir contrôler les éléments, acquérir toujours plus, diriger sa condition de vie, son environnement et les contraintes qui s’y posent. L’eau nous est précieuse.
Comment stopper la pluie ? Comment la faire disparaître ou la dévier, l’attraper. Ce n’est pas à l’averse de pleurer aux envies de l’Homme, mais c’est à l’Homme de se soumettre aux conditions climatiques qui lui sont offertes. C’est en voulant tout orchestrer, avec puissance, que l’Homme abime ses ressources. La nature reprend toujours ses droits. Faune et flore en subissent les conséquences. Pollution, vents violents, averses, tempêtes, coulées de boue, montées des eaux, fontes de glace, ouragans, tsunamis… Des catastrophes naturelles pour avertir et remettre à sa place l’humain, qui devrait sans aucun doute se permettre plus d’humilité. La Terre nous a choisis, et non l’inverse.
Il ne suffit que de quelques infimes secondes de silence avant que le vent ne s’engouffre encore dans les branches et les fasse danser dans le noir. L’orage. Le tonnerre qui gronde au loin, la pluie de plus en plus forte. D’abord quelques gouttes qui tambourinent sur ma fenêtre et puis l’averse, violente.
Inondé. Immergé. Noyé. Hydrocuté. Choc thermique. Hypothermie.
Neige, grêle et cristal de glace
Et tes cheveux, une fois mouillés, s’enracinent sur ta peau. C’est froid. Par cette trace tu te sens traversé d’un écoulement constant de la tête aux orteils. Elle est là, la mémoire d’eau.
« C’est près de l’eau que j’ai le mieux compris que la rêverie est un univers en émanation, un souffle odorant qui sort des choses par l’intermédiaire d’un rêveur. Si je veux étudier la vie des images de l’eau, il me faut donc rendre leur rôle dominant à la rivière et aux sources de mon pays. »
Gaston Bachelard
Annexe : Sources et Supports
Tableau Le Pêcheur d’averses de Maïlo
Podcast d’Édouard Baer, à Radio Nova en 2018
Extrait de l’essai L’Eau et les Rêves de Gaston Bachelard, début XXe siècle
Outils sonores : vent, pluie, orage et tonnerre enregistrés.
2Cellos - Thunderstruck (instrumentale)
Montage audio
→États de corps/ Verbes d’actions :

Gazeux / Evaporation /Vaporisation / Liquide à gazeux Flotter / Léger / S’élever / Tourbillonner / Décrescendo / Espacer / S’espacer / Chauffer / Articuler / Liberté articulaire / Lenteur / Bribes / Isolations / Intérioriser / Résonnances / Vaporiser Liquéfaction / Liquide : S’associer / Se lier / Flotter / Flux / Se déplacer / Pousser / Venter / Densifier / Refroidir / Fluidifier / Tourbillonner / Amplifier / Globalité
Solidification Densifier / Trembler / Glacer / Geler / Tituber / Déséquilibrer / Ralentir / Rassembler / Isoler / Agripper
Fusion Fondre / Chuter / Couler / Déferler / Fluidifier / Agripper / Tourbillonner / Tituber / Déséquilibrer / Vague / Amplifier
→Mémoire d’eau de Christophe Béranger
→Procédé de composition : créer une phrase à partir des états de l’eau, pour ensuite la déstructurer (la transposer, changer de couleur, les rythmiques, les sensations, les espaces, les amplitudes…). Partir de la phrase déstructurée pour arriver à la phrase finale.
→Phrase déstructurée : utilisation du hasard
Attribuer un état à chaque mouvement/enchaînement (solide liquide ou gazeux) :
Jeter le dé 17 fois pour établir un ordre d’enchaînement.
Dé de 6 :
(1,2) Solide → (1 à 6) : quel solide ?
(3,4) Liquide → (1 à 6) : quel liquide ?
(5,6) Gazeux → (1 à 6) : quel gazeux ?
Pour chaque situation obtenue :
→(Paire) : Partir de la situation initiale
→(Impair) : Partir de la situation précédente
→(Paire) : temps plutôt rapide
→(Impair) : Temps plutôt lent.
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Que représente pour vous la danse contemporaine en 2020 ?
Une liberté d’expression qui fait de la différence de chacun une source commune. C’est pour moi un monde vaste qui traite de tout, qui peut s’apparenter à une écriture philosophique dans le sens où de la réflexion émane une matière première. Je veux dire par-là que de notre pensée, de nos idées découle une thématique, un sujet ou même un simple mot que nous pouvons explorer corporellement. Nous pouvons ainsi créer une matière dansée à partir de cette réflexion. À l’inverse, la danse peut être spontanée, en laissant encore plus de surprise aux sensations. Autrement dit, ce serait en quelque sorte un abandon, un « laisser faire » du corps. Et de cette spontanéité peut émaner une réflexion ou pensée.
Toute personne possède en elle une âme qui l’amène à danser. Dans la danse contemporaine, certains corps sont bruts alors que d’autres sont plus travaillés. En d’autres termes, certains danseurs travaillent davantage leur ligne de corps, leur proprioception, alors que d’autres engagent en priorité leurs sensations internes pour danser. Dans ces deux cas, tous ressentent leur danse, mais avec un bagage différent. La danse contemporaine est à mon sens quelque chose d’à la fois abstrait, et dénué de sens, et d’à la fois réfléchi ou non. Le chorégraphe peut en effet s’éloigner du réel et du concret en composant une matière subtile. Il n’est pas nécessaire au spectateur de forcément comprendre une œuvre, tant qu’il la savoure. Les corps sont incarnés même si la danse est abstraite, non figurative. Un sujet, un thème, un procédé, une composition, une improvisation, une technique, un apprentissage, une liberté, plus de technique… C’est une danse du temps présent, qui évolue au fil des années au sein de notre société.
Quels enjeux de la danse contemporaine aujourd’hui vous interpellent ?
Plusieurs enjeux m’interpellent dans la danse contemporaine d’aujourd’hui. Ces derniers contribuent à l’évolution du monde chorégraphique :
Les barrières entre les diverses esthétiques tendent à se rompre. Casser les frontières, les murs qui séparent les différentes techniques pour n’en faire qu’une. Le travail sur le processus de création évolue et peut donc lier plusieurs arts. Je parle certes ici du monde chorégraphique (les esthétiques très éclectiques qui vont de l’art populaire à l’art savant, comme la danse classique, la danse jazz, la danse contemporaine, le hip hop, les danses de salon et j’en passe), mais pas seulement. Au-delà de la danse, les expressions artistiques se développent depuis plusieurs siècles, et particulièrement depuis une cinquantaine d’années à mon sens. Je pense notamment à quelques figures de la danse contemporaine qui ont amené un nouveau regard sur l’art. De nombreux chorégraphes unissent ainsi les formes artistiques (Merce Cunningham, Mathilde Monnier, Mourad Merzouki pour n’en citer qu’une infime partie). Que ce soit de la danse, du théâtre, du mime, du cirque, du cinéma, de la musique, de l’art plastique, de l’architecture, de la sculpture, des arts visuels incluant peinture, dessin et photo, de la littérature ou encore des arts médiatiques, l’être humain manifeste de plus en plus un désir d’unir les supports pour créer, et ainsi associer plusieurs arts pour n’en faire qu’un.
Contribuer à développer la liberté d’expression. Il a fallu du temps et il en faut encore pour défendre ses libertés et les développer. Ces dernières ont bien évolué ces dernières décennies au sein de la danse contemporaine :
Les messages à faire passer, la moralité des pièces et les libertés prises en allant contre les convenances du monde du spectacle. Le chorégraphe peut amener le spectateur à prendre conscience d’un enjeu, qu’il soit politique, écologique ou bien encore culturel.
Notamment la nudité par exemple, déjà mise en avant au temps d’Anna Halprin, ou plus récemment par Boris Charmatz ou encore Jérôme Bel. Comment dévoiler son corps sans qu’il soit forcément considéré comme source de désir, en enlevant le paramètre de la sexualité, mais voir le corps plutôt comme une matière, juste un corps. Nous sommes d’abord des individus. Il est encore difficile pour le spectateur d’accepter la nudité sur scène, mais cette prise de liberté change petit à petit quelques préjugés.
Le rapport à l’espace et aux volumes : l’école du Bauhaus a eu un rôle majeur dans les changements de perception dès le début du XXe siècle. Aujourd’hui encore le chorégraphe contemporain recherche de nouvelles relations à l’espace (global ou environnemental), sur scène ou au contraire dans la rue. Qu’est-ce qu’une scène au fond ? Tout lieu est propice à la danse, et les danseurs se l’approprient. Trisha Brown réalise des performances en plein air dans les années 60 ; Akram Khan conçoit une performance avec 700 danseurs amateurs sur le parvis de l’Hôtel de Ville de Paris en 2018. La palette s’élargit, les volumes diffèrent également au niveau kinesphérique du danseur. Je pense ici aux costumes par exemple qui ont un impact visuel et perceptif. Les danseurs le prennent en considération : comment danser avec parfois un costume contraignant ? Impossible de faire un grand battement avec une jupe collante ? Il faut alors trouver un moyen de faire peau avec sa tenue, voire aussi de sa coiffure, des chaussures. Certains chorégraphes se servent même du costume pour créer comme Philippe Decouflé, qui considère le costume comme un outil. François Chaignaud marque l’importance du vêtement dans son processus créatif : sur talons aiguilles, sur pointes, sur des échasses, nu, avec plumes ou perruques, il joue avec le costume dans ses créations. Il suffit d’un seul petit changement pour que le spectateur ressente différemment une pièce.
Que retirez-vous des quatre années au CNSMDP ?
J’ai beaucoup appris humainement et sur la danse. Au-delà des diverses techniques que tout élève danseur du conservatoire assimile, la part créative a une place aussi importante dans ce cursus.
Elle nous permet ainsi de développer notre sens artistique avec rigueur et connaissances, et de nourrir sa liberté de penser.
J’ai appris à me faire mon propre avis d’une situation, à construire ma pensée, à choisir des directions artistiques. Les cours théoriques et séminaires m’ont aidée à aiguiser mon esprit critique. Nous avons assimilé maints outils techniques, de composition et d’improvisation, de contact et de connaissances.
Par ailleurs la danse contact était pour moi quelque chose de nouveau en entrant au conservatoire. Au bout de ces quatre années la gêne qui pouvait surgir a disparu. Aborder l’autre avec attention est un jeu plein de sensations, de goût, que j’apprécie beaucoup.
Le fond pour la forme. » comme le disent certains de nos professeurs. C’est l’une des choses les plus marquantes de mon parcours au CNSMDP. Les sensations internes peuvent toujours s’amplifier, se renouveler. C’est un flux constamment vivant, qui nous remplit. J’ai besoin de me nourrir de tous ces goûts pour sentir et ressentir mon engagement corporel. En arrivant dans l’établissement, j’avais déjà soif d’apprendre, soif de comprendre et d’explorer. Tous ces outils me permettent de ressentir plus profondément, de donner une densité et un goût au mouvement qui se renouvelle sans cesse. Par des images, des états, des verbes d’action, des couleurs, des densités…
Nous avons eu beaucoup d’outils pour ressentir notre danse. Je me sens plus mature maintenant.