
Marie Deneuville
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Diplôme de 1er cycle danse contemporaine 2020Danse contemporaine
Dualité
O Clemens – Antonio Vivaldi
J’ai d’abord eu envie de créer quelque chose qui me ressemble, me parle et parle de moi. Le sujet étant vaste et très flou, je me suis demandé par quels procédés je pouvais donner plus de précision à ma création. Une réponse : la musique.
L’idée de m’inspirer de la musique et de travailler à partir d’elle s’est imposée de façon naturelle.
Choisir cette musique afin de composer ma variation personnelle du certificat m’est apparu comme une évidence. Je me suis aperçue que cette musique résonnait en moi et faisait naître bon nombre d’images dans ma tête.
J’ai pensé qu’il fallait que j’utilise la musique, que je me serve d’elle pour mettre en avant ma danse, ma gestuelle et ce que j’aime faire :
- J’aime beaucoup travailler autour des mains. Je trouve qu’elles sont la partie la plus sensuelle d’un corps. Nous faisons tout, et pouvons exprimer beaucoup de choses avec les mains. Je trouve que nos mains en disent beaucoup sur notre personnalité.
- J’aime également travailler sur le rapport terre/ciel, cette attraction qu’exerce le sol et nous attire vers le bas, en opposition avec ce sentiment de liberté lorsqu’on se sent porté par l’air. Ce sont deux choses contradictoires, mais qui, selon moi, vont de pair.
J’apprécie tous ces rapports d’opposition, et j’aime à jouer avec le contraste.
- J’aime travailler sur la recherche des sensations internes.
J’ai donc eu envie de mélanger tout cela avec le rapport à la musique.
C’est ainsi qu’apparaît le premier grand axe de ma composition : la relation musique/danse. Comment une telle musique peut faire exister ma danse, et à l’inverse, comment ma danse pourra donner une autre couleur à la musique ? Bien que la musique puisse changer ma danse et lui donner une toute autre valeur, l’inverse est-il envisageable ?
En effet, une musique enregistrée est telle quelle, et ne changera pas. Cependant, cela veut-il dire qu’elle est figée et que ce que l’on voit (la gestuelle) ne peut pas changer ce qu’on entend (la musique) ?
Comment deux sensations totalement différentes peuvent mutuellement se mettre en valeur ?
Quel imaginaire je vois à travers cette musique ?
Je vois une couleur très claire, qui se rapproche le plus possible du blanc.
Je vois quelque chose de très « majestueux », comme une musique de bal de l’époque baroque.
Je vois une sorte de célébration solennelle, imposante et grave.
Pour commencer à composer, j’ai élargi mon champ d’inspiration.
J’ai donc recherché des peintures qui refléteraient pour moi la couleur de la musique.
Le Christ quittant le prétoire, Gustave Doré
1867-1872 – Huile sur toile
Peinture religieuse représentant Jésus à sa sortie de tribune.
Contraste entre la foule curieuse, hostile et gesticulante, et le Christ, vêtu de blanc, placé au milieu du tableau, qui semble irradier toute la scène d’une douce lumière surnaturelle.
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Entrée en matière
Idée d’une première règle du jeu :
→ Sur l’instrumental, être dans une danse liée à l’ordre de l’intime. Chercher à intérioriser le ressenti de la musique.
→ Sur la voix, aller dans une danse beaucoup plus spatiale, chercher à « dessiner » la voix dans l’espace.
Ces règles du jeu m’ont permis une première approche dans la matière, mais je ne vais pas les retenir…
Je décide de complexifier un peu plus mes règles, de créer une sorte de partition, en m’appuyant sur le plan de la musique que j’ai élaboré :
A – 8 (temps)
A bis – 8
B – 2
C – 8 (4+4)
D – 6
E – 7 (4+3)
C – 6 (3+3)
D – 7 (4+3)
C – 6 (4+2)
A – 6
B – 5
Transition – 2
E – 8 (4+4)
Conclusion – 3
Comment élargir mes horizons pour complexifier ma partition ?
Me vient alors à l’esprit un mot… Dualité.

= coexistence de deux éléments de nature différente (s’oppose à l’unité)
Avec tous les bagages que j’ai réunis, j’envisage une éventuelle première proposition de partition.
A = inspiration du tableau
B = spontanéité, dynamisme
C = « plus vécue que pensée »
D = suivre la ligne mélodique de la voix
E = jeux entre les pieds et les mains
Je commence donc à composer, et à filmer un premier essai.
Je me questionne alors sur la musicalité : il faudrait envisager d’intérioriser la matière en silence pour ensuite l’extérioriser en musique.
Ne surtout pas figer la matière.
Serait-il intéressant d’inclure une sorte d’introduction et/ou conclusion dans le silence ?
Je réalise également que chaque changement de règle dans ma chorégraphie correspond à chaque changement de partie musicale crée une sorte de monotonie, il n’y a plus de surprise.
Je décide alors de chercher à changer de règle et les plans de caméra en plein milieu d’une phrase/partie musicale.
Viens alors petit à petit l’abandon de la partition initiale… tout en ayant conscience que c’est cette partition qui a amené toute ma matière.
ANNEXE
– https://journals.openedition.org/ethnomusicologie/99
– https://www.musees.strasbourg.eu/-uvre-mamcs/-/entity/id/219906
– https://fr.wikipedia.org/wiki/Antonio_Vivaldi
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Qu’est-ce qui vous tient particulièrement à cœur dans votre engagement de danseur ?
Il me semble que la pratique de la danse est intéressante lorsqu’un interprète a l’occasion de se dévoiler, et de montrer sa propre identité. C’est le travail d’un danseur. Danser signifie être capable de ressentir les sensations plus précédemment que ne le font les autres, et de les extérioriser ensuite. Danser, c’est permettre aux spectateurs de voir ce que parfois ils ne peuvent pas ressentir.
En tant que danseuse, j’aimerais m’engager dans des projets qui me permettront de travailler dans la recherche des sensations profondes, et propres à moi-même.
Quels enjeux de la danse contemporaine aujourd’hui vous interpellent ?
L’écologie au cœur de la réflexion de la danse contemporaine est un enjeu qui m’interpelle.
À l’heure d’aujourd’hui, et surtout après le confinement que nous avons vécu, je pense qu’il serait plus que nécessaire de se pencher sur des méthodes beaucoup plus écologiques pour créer et jouer des pièces.
C’est ce que Jérôme Bel cherche déjà à développer en choisissant de ne plus voyager par les airs pour ses créations par exemple.
Que retirez-vous de ces quatre années au CNSMDP ?
Durant ma scolarité, je sens que j’ai gagné en maturité en ce qui concerne le rapport aux autres.
J’ai appris à voir les autres comme étant des corps, et à les toucher avec soin et respect.
J’ai également su développer ma zone de créativité et l’aspect esthétique qui peut s’en dégager, le lâcher prise, le fait de faire des choix, mon aisance à aller vers des individus, des corps que je ne connais pas,
Durant ces quatre années, j’ai traversé d’innombrables recherches de sensations, notamment durant les cours de composition/improvisation, ou encore de contact improvisation.
Je sors de ce cursus avec le goût et l’envie d’aller toujours plus loin dans cette recherche de sensations.