Esteban Appesseche
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Diplôme de 1er cycle danse contemporaine 2020Danse contemporaine
« One hundred and fifty-one Tap’s »
Dans un vacarme silencieux
Le geste d’amour fait ressortir le ton de cette couleur sur l’épiderme
D’une surface meurtrie par la douceur de la folie.
Choisir le chemin qui semblera le moins évident élèvera la voix,
Abolissant l’inertie des corps ne pouvant pas se prononcer
Car trop ancré dans cette société.
La femme, ou « comment être une femme ? ». L’Homme, ou « comment être un homme ? » Autant le dire, la capacité d’un être à être d’une manière qui correspondrait à ce qu’il est. La question qui va se poser est : comment être un individu acceptant de se déconstruire soi-même par l’emprunt d’un chemin que la société ne nous a pas incité à prendre ?
Si je vous parle de féminisme, le sujet sera trop vague pour vous en démontrer toute son architecture complexe, comme le sexisme qui est construit depuis des siècles sur des bases solides. Alors je devrais simplement vous parler d’un pan de ce féminisme. Un fait. Une réalité très simple… 151 réalités. 151 vies perdues (en 2019). Vies qui ont été prises au nom d’Amour. Amour obsessionnel qui a tourné au massacre. Massacre causé par ceux qui se proclament maître d’une vie ou d’un corps. Alors, parlons féminicides, parlons Emprise et dansons Lutte. En tant qu’homme, cis, homosexuel, jeune danseur et féministe, parler féminicide peut paraître déplacé. Voyons-le comme une prise de conscience sur la société patriarcale implanté insidieusement dans nos esprits et déconstruisons nos identités pour mieux les rebâtir.
Nos identités sont les lignes directrices de nos vies et esprit. Elles sont construites avec difficultés et détruites aisément par autrui ou par nous-même. Ainsi les femmes victimes sont détruites par la culpabilité, la jalousie et la domination corporelle. Tout ça passe par les idées inculquées dès le début : la sexualisation de la poitrine, la fragilité de la femme, la supériorité du mâle et d’autres…. Les hommes ne savent pas le nombre de privilèges qu’ils possèdent, moi le premier, et j’en découvre et découvrirai tous les jours jusqu’à ma mort. Alors, questionner ma condition d’homme féministe paraît approprier pour changer les mentalités, car tout commence par nous.
Dans la recherche chorégraphique, le fait de s’aider de supports aide à étendre sa pensée à plus que ce qu’on peut se limiter en temps normal. Au lieu de se limiter à s’inspirer de chorégraphies, on s’inspire de ce qu’on lit, de ce qu’on voit, ce à quoi on joue (les jeux aident plus que n’importe quel support). Cela nous laisse une marge d’imagination à laquelle on peut toucher et par laquelle on peut construire une base sérieuse d’une idée de corps.
Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir. Un écrit qui fascine par la complexité de son élaboration à l’époque où elle le fait publier. Où tout est à faire. Faisant partie des premières à parler de viol. Du mot. J’ai pu ainsi lier cela à une forme, un paysage, une atmosphère, des odeurs et des mots. C’est comme une sensation de naissance où créer un univers entier paraît facile. Un champ où l’herbe est libre et sauvage, balayé par un vent fort, et en son centre un arbre immense qui s’étend jour après jour se renforçant par les violences des intempéries. Par ces cadres, le travail d’improvisation possède des consignes par l’image mentale.
Ainsi avec supports et imagination, le focus s’est porté sur le haut du corps et sur sa globalité et sa chair. La Chair devient ainsi matière pour traduire le mot. Le corps étant quelque chose de sacré, que ce soit celui de la femme, celui de l’homme ou celui de n’importe qui. Dans la sensation du corps, le fait de repenser aux événements donne le vertige. Ainsi au lieu de le penser dans la tête je préfère l’associer au ventre, la respiration abdominale. La construction d’un langage uniquement par le haut et la respiration, le tenu du souffle.
Pour m’aider, je suis appuyé sur une musique Hold your own de Kate Tempest qui donne une texture au mouvement. Mais le plus intéressant était la signification des mots et du texte et du mot « hold » dans sa définition même de « tenir ».
Les claquettes sont pour moi un exutoire à la pression et sont comme un jeu. Leur rôle ici tient de l’envie personnelle et de l’intérêt que je leur porte. Les détourner de la vision que je leur donne en tant que « jeu », pour les utiliser comme outil de réflexion. Le jeu ici est de donner une autre rythmique, qui diffère du haut du corps et donne un aspect brut par le contact fer/bois. Le travail s’est fait sur la tentative de produire un son et être tenu par le haut qui a une volonté propre de fuir et la progression du son qui s’ajoute à ceux produits précédemment. La construction finale se fait par l’ajout de deux entités différentes, bâties dans des temps différents mais qui sont liées dans la pensée pour obtenir un schéma cohérent.
Par cela, c’est se demander si, en tant qu’homme, j’ai le droit de parler ? de danser ? de porter cela ? d’être légitime ? d’être curieux de ce que je ne suis pas ? d’être féministe ?
Je dirais que oui.
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Que retirez-vous des 4 années au CNSMDP ?
En quatre ans il se passe beaucoup de choses. Qu’importe que l’on soit dans une structure ou pas. C’est surtout la période à laquelle j’ai pu intégrer le conservatoire qui a son importance.
Quatre ans, cela laisse le temps de voir des choses, de découvrir un monde, de s’ouvrir à des perspectives plus grandes que celles sur lesquelles on était appuyé. De 0 à 4 ans un bébé devient un enfant et cela va très vite ! Ce n’est pas pour autant que 4 années ne peuvent pas paraître une éternité. Alors, de 8 à 12 ans, cela peut paraître plus long, car le corps ne change pas plus et les esprits sont conditionnés par l’apprentissage en milieu scolaire. Seule l’éducation amène l’enfant à grandir en tant que personne. Cela dépend alors aussi de causes externes. De 17 à 21 ans, la construction de l’identité se fait plus clair et plus forte, cela comprend des schémas sociétaux qui ne nous parvenaient pas avant et se fait par nos propres moyens. On apprend à savoir qui nous voulons être et ce que nous voulons faire, on prend la décision de se politiser ou non sans savoir qu’en ne prenant aucun parti nous choisissons de prendre parti. Cela dépend entièrement de nous cette fois. On fait des choix, et ces choix détermineront ce qui arrivera par la suite. C’est un période où on devient adulte sans être considéré comme tel et sans l’être vraiment non plus. On a 18 et 19 ans, on a la majorité et nous sommes censés être « adulte », et quand on veut l’être, on ne l’est pas assez, et quand on ne veut pas l’être, on nous le reproche. 20 ans et 21 arrivent et nous avons plus de considération par les autres, par qui nous sommes encore beaucoup influencés. Mais, tout le travail d’identité se fait encore par soi-même maintenant.
Dans ces quatre années au CNSMDP, j’ai pu développer une personnalité, assumer des traits de ma personne. J’ai pu m’engager dans des luttes, certaines qui me tiennent à cœur depuis plus longtemps que je ne le pensais. J’ai appris à relativiser et à être rationnel. Et ça… ce sont des choses que m’ont peut-être apporté mes 4 années au CNSMDP. Le cadre du Conservatoire a pu me donner une certaine ouverture d’esprit que je n’aurais pas eu si j’étais resté chez moi. C’est surtout le fait de m’immerger dans le monde qu’est l’art qui m’a apporté. Comprendre ce qui nous entoure avec plus de perspicacité, plus d’analyse et de sensibilité. C’est comme ça que je me suis sentit en arrivant et pendant ces 4 années.
Je me dis que ces années m’ont permis de choisir la personne que je voulais être par la suite. Ou du moins ont permis d’avoir un socle plus ou moins stable (rien n’est stable en temps que danseur) pour pouvoir aborder le reste. Mes années au CNSMDP m’ont permis d’évoluer par moi-même en temps que personne, et ma personne me permet d’enrichir ma vie en tant que danseur. Ce sont ainsi deux entités qui se nourrissent en permanence du vécu de l’autre. Elles sont intrinsèquement liées l’une à l’autre en étant différentes.
Quels enjeux de la danse contemporaine / la danse classique aujourd’hui vous interpellent ? Vous donnent envie de vous engager ?
La danse contemporaine et la danse classique servent toutes deux l’engagement. La danse contemporaine possède une certaine liberté à pouvoir exprimer ce en quoi nous croyons, et ce qui nous anime. Chacun à ses préoccupations et ses intérêts c’est ce qui fait de la danse contemporaine un terrain de jeux pour ce qui est de la revendication de nos croyances. L’intérêt est de voir en la danse une manière de pouvoir instruire par l’esthétique, tout en y impliquant du plaisir. Une pièce contemporaine devra trouver son but dans la visée de son œuvre en « éduquant » et distrayant à la fois, car il faut parfois se rappeler que la danse est avant tout quelque chose de beau et c’est pour cela qu’on l’a choisi.
La danse classique n’échappe pas à la règle. Cependant, pour moi, elle a une autre visée. Si on regarde le répertoire classique on peut le catégoriser de « passé », de conformiste et de non-raccord avec les valeurs que nous sommes censés représenter en tant qu’artistes conscients. Cependant, la danse classique représente le côté somptueux de la danse et est « facile » à comprendre pour la plupart du monde. Apprécié par la beauté que représente un geste ou un pas de deux ! Et c’est justement le passé qui est palpable dans la danse et le répertoire classique. On peut la prendre comme témoin des histoires de nos ancêtres qui avaient certaines valeurs (peu appréciables certes). Voir la danse classique avec nos yeux nouveaux en tant que danseur et public qui peuvent comprendre que ce que l’on représente n’est pas ce que l’on pense dans ce cas, mais plus une illustration de nos combats pour ne pas revenir aux anciens schémas. Les deux ont les mêmes enjeux finalement. Élever les consciences pour le bien commun, mais par deux chemins différents.
C’est là où tous les univers ont quelque chose à raconter ! Sur le passé, le présent ou le futur ! Le choix se fait en fonction de ce qui nous parle le plus et qui nous fait vibrer. Pour ma part ; le contemporain m’a attiré au début par l’ignorance que j’avais à son égard. La danse contemporaine peut toucher l’esprit pour celui qui se laisse avoir par les signaux qui sont envoyés par ses interprètes. Voilà où est l’enjeu ! Il faut voir l’intérêt pour un chose avant de s’engager dedans. Si on ne voit pas, alors il est difficile de faire un pas. C’est le même principe que réfléchir avant d’agir. (L’instinct a cependant du bon, parfois.) Si on trouve la vibration, on peut la transmettre à plus de personnes dans et hors de l’art chorégraphique et ainsi créer des liens qui peuvent s’étendre.
Qu’est-ce qui vous tient particulièrement à cœur dans votre engagement de danseur ?
En tant que personne, je suis engagé à faire respecter les droits humains, à toujours apporter une aide, ou à aider à comprendre. En tant que danseur mon travail est le même. Si je ne cherche pas à progresser en tant que personne je ne peux progresser en tant que danseur. Il est venu une sorte d’objectif qui ne sera jamais atteint de mon vivant, venant de ces quatre années et de l’impact de la danse contemporaine et classique.
Sur le même plan que mon sujet, le sexisme touche aussi la danse de manière beaucoup plus sournoise que dans certains lieux. « Pourtant, la danse c’est un monde de fille… » Mais comme dans tout milieu, une fois qu’on passe un certain niveau où les cases sont bien ordonnées et où on peut nous y ranger, on touche à l’élite qui est un rang spécifique aux hommes qui se l’approprient. Voilà où je devrai placer mon engagement et ma force de danseur privilégié. En cherchant à libérer la parole sans avoir peur des représailles. Si ma voix ne suffit pas, je pourrai en danser et si danser ne suffit pas, je pourrai toujours parler pour m’exprimer, car on n’aura pas su me comprendre. Le fait de défendre des valeurs par la pratique de la danse ne dispense pas de de faire entendre sa voix bien sûr. Ce serait une erreur de ne pas parler d’égalité pour danseurs et danseuses.
Si en tant que danseur et chorégraphe, nous maintenons une sorte de pied d’égalité de rapport entre nous deux, le travail n’en sera que bonifié. En tant que danseur, c’est dans mon métier que je veux faire changer les choses, mais j’aimerais changer aussi le regard extérieur sur la danse.
Les « autres » ont encore beaucoup de préjugés sur ce qu’est la danse. Que ce soit la danse classique ou contemporaine ou jazz, et en tant que danseur on peut montrer que ça ne se résume pas à avoir un tutu ou à se rouler par terre. On peut montrer que c’est beaucoup plus sensible et plus qu’une simple distraction esthétique.
C’est un peu utopique de penser à ça comme quelque chose de facile à faire mais si on ne rêve pas alors on se perd dans trop de négativité. Les gens ont besoin de rêver de changement, en essayant aussi de faire changer les choses pour que cela devienne réel ! Par la volonté ! La volonté d’un danseur à vouloir aller plus loin que ce qui ne le limite. C’est ça aussi être danseur engagé.
Cunningham x100 – 1er Décembre 2019
Annexe
Livres
Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir
Une culture du viol à la française de Valérie Rey Robert
Le Sexisme, une affaire d’homme de Valérie Rey Robert
The Tales of Beedle the Bard de J. K. Rowling
Films
L’Emprise de Claude-Michel Rome
Jeux
Héroïne, le jeu de société par Anne et Gaëlle