Antonin Le Faure
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Master 2020Alto
Altiste et violiste d’amour, Antonin Le Faure se forme au CNSMDP dans la classe de Pierre-Henri Xuereb et reçoit les conseils de Garth Knox, Samuel Rhodes et Nobuko Imai. Désireux d’explorer de nouveaux univers liant la musique à d’autres arts, il improvise au sein de plusieurs collectifs, forme un duo avec l’accordéoniste Vincent Gailly et défend ses deux instruments en particulier dans le répertoire contemporain avec l’ensemble Alternance ou à l’Académie du Festival de Lucerne de Pierre Boulez et travaille sous la direction de compositeurs comme Kaija Saariaho, Olga Neuwirth, Klaus Huber, Philippe Hersant.
ALTOPORTRAIT
« Je n’ai pas envie de parler de moi, mais d’épier les pas du siècle, le bruit et la germination du temps... »
Ossip Mandelstam
Benjamin Britten,
Portrait n° 2 « E.B.B » pour alto et cordes
Alfred Schnittke,
Monologue pour alto et cordes
Morton Feldmann,
Viola in my life II pour six instruments et alto
Johannes Brahms,
Zwei Gesänge, op.91, pour voix d’alto, alto et piano
« Gestillte Sehnsucht » (sur un poème de Rückert)
« Geistliches Wiegenlied » (d’après Lope de Vega)
Bruno Mantovani,
Quelques Effervescences pour alto et piano
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ALTOPORTRAIT rend hommage à des compositeurs étrangers à tout dogmatisme, qui ont fait de l’alto l’instrument d’une pensée réflexive.
Faisant fi des clichés qui cantonnent l’alto à une voix purement mélancolique et pensive, c’est à un paradoxe inspiré, un choix iconoclaste que nous convie Bruno Mantovani dans Quelques effervescences (2006) : il s’y saisit de l’alto et du piano pour traduire le pétillement des bulles sous la forme d’un florilège œnologique expert. « Véritables transcriptions musicales de sensations éprouvées lors de séances de dégustation (…) Chaque paramètre gustatif (intensité du pétillement, structure aromatique, ‘vinosité’) correspond à un paramètre musical (densité de la texture, choix des registres, espace et résonances) ».
Les sons ténus de l’alto sont comme des appels venus du lointain, Morton Feldman, maître de l’ellipse et de la suggestion, semble maintenir le temps en suspension. L’un des plus beaux cycles pour alto au titre si introspectif pour l’interprète The Viola in My Life a débuté en juillet 1970 à Honolulu, composé pour Karen Phillips, il regroupe diverses combinaisons instrumentales avec l’alto. La musique de Feldman est si douce et uniforme qu’elle suggère l’idée d’une surface. Dans The Viola in my Life II pour alto et cinq instruments, nous ne savons jamais très bien d’où viennent les sons. Le temps, articulé dans la plupart des musiques par le rythme, est perçu comme étant statique. Chaque son flotte dans l’espace totalement indépendamment de ce qui s’est passé et de ce qui reste à venir.
Le deuxième Portrait, intitulé n° 2 « E.B.B. » est un autoportrait de Benjamin Britten (Edward Benjamin Britten) en altiste. La partie d’alto fut conçue de sorte que Britten en soit le soliste. La pièce est écrite en septembre 1930 et publiée seulement en 1997 ; l’histoire retient que Franck Bridge, maître de Britten, compositeur et altiste, offrit son alto à l’élève sur le point de partir pour l’Amérique en 1939. À l’origine appelés Sketches (« croquis ») par l’auteur, mais exprimant un aspect inachevé de l’esquisse, les titres furent changés par les éditeurs après la mort du compositeur en Portraits. Le premier était celui d’un ami de faculté, David Layton. Les deux pièces étaient destinées à l’origine à être une représentation musicale d’un personnage, leur nouveau titre Portrait était donc plus approprié. Britten voulait-il donner du reflet à la recommandation du professeur Bridge : « Retrouves-toi et sois fidèle à ce que tu as trouvé » ?
Que cherche Johannes Brahms, si ce n’est le sublime, lorsqu’il compose les Zwei Gesänge, op. 91 pour voix de contralto, alto et piano ? Unir le timbre langoureux de l’alto à celui non moins délectable de la voix grave de femme ne relève plus de la composition, mais de l’alchimie. L’histoire d’une composition qui raconte aussi celle d’une fusion, entre deux êtres : le célèbre violoniste-altiste virtuose Joachim et son épouse Amalie, contralto. Le lied « Geistliches Wiegenlied » (1884) fut composé à l’occasion de leur mariage. Insatisfait de son propre travail, Brahms le révisa et le leur renvoya un an plus tard à l’occasion du baptême de leur fils, prénommé Johannes !
Dans ce Monologue pour alto et cordes (1989) du « polystylistique » Alfred Schnittke, l’alto prend immédiatement la parole sur les glissandi des cordes. La déclamation se fait de plus en plus puissante, se charge de tensions. L’orchestre s’affirme, il porte la mélodie. L’alto esquisse les pas d’une danse qui devient de plus en plus pulsée. Rythmes brisés, contrastes extrêmes, cadences violemment expressives… telle la représentation des étapes d’une vie. C’est le langage d’un alto moderne qui est convoqué dans cette page magnifique qui se referme dans un silence effrayant. Comme dans beaucoup d’œuvres de la musique slave, l’alto est l’instrument privilégié de la confidence, il exprime souvent le cœur du message musical. Si proche de la voix humaine, l’alto incite l’interprète à une ultime confession.