Il existe dans les langues inuites plusieurs dizaines de mots pour décrire le blanc. Cette donnée ethnolinguistique a quelque chose de troublant : comment d’autres peuples peuvent-ils voir tout un nuancier de couleurs où nous n’en voyons qu’une ? Issue à l’origine du champ de la peinture, la notion de nuance s’est par la suite étendue jusqu’à devenir une composante essentielle de l’expérience artistique. Dans une salle de spectacle, nous parcourons la totalité du spectre des émotions, nous traversons tous les affects, nous éprouvons la complexité et la contradiction, nous nous confrontons à cette palette de nuances qui fait la beauté et la richesse de l’âme humaine.
 
Au fond, la nuance est politique : il s’agit de ne pas voir le monde en noir et blanc mais comme un dégradé d’une finesse infinie, de percevoir sa pluralité, de reconnaître sa diversité. À travers les crises sanitaire, écologique, économique et migratoire que nous traversons, ce monde ne cesse de nous rappeler que nous sommes interconnectés, que nous avons un criant besoin de solidarité globale. Pourtant, notre société semble toujours plus divisée, clivée, polarisée : entre les bons et les méchants, entre les pro- et anti-, entre les Anciens et les Modernes, on nous somme de choisir notre camp. On se plaît à opposer les pensées, à mettre en scène leur affrontement sur le ring médiatique, quitte à perdre de vue leurs enjeux. On simplifie, on caricature, on appauvrit le débat d’idées, au risque de rendre le monde manichéen, de le vider de sa substance par la polémique permanente.
 
Face à cette destruction programmée, l’art résiste : les œuvres que nous créons, les œuvres que nous transmettons, les œuvres que nous apprécions nous procurent du plaisir et de la joie, elles nous invitent à la réflexion, elles nous aident à vivre. Mais dans le même temps, elles nous demeurent complexes, mystérieuses et insaisissables : elles ne se laissent jamais totalement réduire à notre interprétation, elles ne se laissent jamais totalement traverser par notre regard ni notre écoute, de sorte qu’elles n’en ont jamais fini de nous livrer leurs secrets. Elles nous incitent à accepter l’inachèvement, l’imperfection, la fragilité, à continuer à chercher dans un monde en pleine recomposition. J'ai la conviction que c’est dans cette ouverture, dans cette capacité à accueillir d’autres points de vue, à faire coexister en nous des idées contrastées et parfois contradictoires, que réside la part la plus profonde de notre humanité.

 

Cultiver cette ouverture passe, bien sûr, par la formation mais aussi par les liens que nous tissons au quotidien, au sein du Conservatoire : liens entre nos étudiant.es, nos enseignant.es et nos équipes dont je salue l’engagement, liens entre le Conservatoire et le monde professionnel. Notre nouvelle saison, entièrement gratuite et ouverte à tout.e.s, est portée par une énergie qui doit beaucoup à la joie de vous retrouver. Outre les concerts symphoniques, les concerts de musique de chambre, les opéras, les spectacles chorégraphiques, les jam sessions, les conférences, les épreuves publiques, les cours du soir, les cartes blanches et les live streamings, nous multiplions les événements hors-les-murs et collaborations avec de nombreux partenaires, au premier rang desquels la Philharmonie de Paris, la Grande Halle de la Villette, le CND, le Bal Blomet, la Gare, Chaillot - Théâtre National de la danse, Montpellier Danse, Holland Dance Festival, le Palais de la Porte dorée que je tiens à remercier chaleureusement de leur soutien.

 

Emilie DELORME,
Directrice