L’opéra dans les couloirs est de retour !
Fort du succès des Noces de Figaro l’an dernier, le projet d’opéra itinérant porté par les étudiant·es du Conservatoire revient cette année avec Ô mon bel inconnu, une comédie musicale de Sacha Guitry et Reynaldo Hahn. Sous la direction musicale de Victor Rouanet, cette œuvre des années 1930, aussi drôle qu’élégante, prendra vie dans deux espaces du CNSMDP le lundi 16 juin : d’abord à 13h dans le Hall Joséphine Baker, puis à 17h sur l’esplanade extérieure.
Interprétée par une troupe de jeunes chanteur·ses et un orchestre réduit, cette production, née de l’initiative d’un collectif d’étudiant·es issus du CNSMDP et d’autres écoles artistiques parisiennes, donnera souffle et humour aux couloirs du Conservatoire.
Pour en savoir plus sur cette aventure collective, nous avons rencontré trois des membres du projet : la metteuse en scène Alice de la Bouillerie, la chanteuse Sara Brunel, et le directeur musical Victor Rouanet.
Pouvez-vous nous présenter brièvement ce projet et les artistes impliqués ?
Il s’agit d’un projet porté par un collectif constitué d’étudiant·es du CNSMDP et d’autres écoles d’arts parisiennes réuni·es dans le but de donner une représentation d’un opéra dans les espaces communs du Conservatoire, à destination d’un public interne : agent·es, étudiant·es et enseignant·es.
Pourquoi avoir fait le choix de cette œuvre ?
Sara : Nous hésitions entre Così fan tutte ou Ô mon bel inconnu. Finalement notre choix s’est porté sur ce dernier, déjà car la production de l’année était déjà un Mozart (que nous avions donné en 2023 dans le même cadre), et que nous avions envie de plus d’accessibilité : présenter un opéra en français pour que chacun·e puisse comprendre et suivre l’histoire nous tenait à cœur.
Victor : J’ai découvert ce titre et plus généralement la musique de Reynaldo Hahn lorsque nous l’avons abordée en cours au Conservatoire. J’ai tout de suite été séduit par son style compositionnel, à la fois léger et sensuel, riche en couleurs et dont le génie mélodique est indéniable. Nous souhaitions monter une œuvre en français, à la fois pour la rendre plus abordable pour le public mais aussi dans l’idée de la programmer ailleurs par la suite, dans des festivals ou d’autres lieux. Cela serait également l’occasion de réaliser une nouvelle orchestration pour petit ensemble, car si Reynaldo Hahn était excellent pianiste, je devine qu’il pensait déjà les timbres de l’orchestre, peut-être sans savoir lui-même orchestrer avec précision ou sans en avoir le temps. Les typologies des personnages correspondaient bien aux chanteur·ses de la troupe, et nous nous sommes lancés !
Alice : Victor avait le souhait de monter cette œuvre dont il appréciait tout particulièrement la musique. Pour ma part, je ne la connaissais pas, et j’ai d’abord été décontenancée face au livret de Sacha Guitry, dont l’humour, parfois daté, porte les marques d’une époque et d’un auteur notoirement misogyne. Mais ce qui m’a frappée en le lisant de plus près, c’est que, malgré les clichés, les hommes y apparaissent plus ridicules encore que les femmes : aucun personnage n’est réellement épargné. Le livret regorge de quiproquos, de situations absurdes, et de dialogues à la mécanique comique extrêmement efficace et intemporelle.
J’ai trouvé stimulant de m’emparer de cette matière et de parfois chercher l’humour ailleurs que là où il avait été pensé par l’auteur. Plutôt que de rire en complicité avec Prosper et ses discours misogynes, il faut rire de lui et de leur caractère ridicule. Plutôt que de faire de Félicie une bonne aux mœurs légères, il faut y voir une femme extrêmement déterminée, libre et entreprenante.
Dans ce magasin de chapeau, Prosper, homme autoritaire et capricieux, croit dominer la situation et faire la leçon aux femmes de son entourage, alors qu’il est finalement celui qui se voit renvoyé à ses propres contradictions.
Ce projet réunit de jeunes artistes sans encadrement pédagogique : comment s’est construite cette collaboration et dans quel objectif ?
Alice : Le CNSMDP a été notre lieu de répétition principal. Sara s’est chargée de toute la logistique de réservation des salles et de résidence à la Maison du Berger. Puis avec Victor, nous nous sommes répartis les temps de répétitions entre les musicales et les scéniques. Dans la mesure du possible, nous avons suivi nos travaux respectifs pour avoir une idée cohérente des situations et de l’interprétation que nous avions des personnages. La spécificité de Ô mon bel inconnu est qu’il y a beaucoup plus de texte que de musique. Nous avons effectué beaucoup de coupes mais il fallait consacrer une grande part des répétitions au travail théâtral. Pour tous·tes, il me semble que c’était l’occasion d’apprendre en faisant. Il n’y a aucune formation à la mise en scène d’opéra en France, pourtant travailler avec des chanteur·ses est très différent du travail avec des comédien·nes.
Sara : Cette collaboration est partie d’une idée folle en 2022 où je dis à Victor que je souhaite travailler le rôle de Susanna dans Les Noces de Figaro de Mozart en entier, car c’est un des plus longs rôles du répertoire pour soprano, et j’avais envie de me challenger en le découvrant. C’est là qu’il m’a dit qu’il était partant pour monter l’opéra en entier. Nous avons donc commencé à réfléchir ensemble à un·e metteur·se en scène et à des chanteur·ses pouvant incarner chaque rôle. Finalement, nous avons donné Les Noces de Figaro dans quatre espaces du CNSM en juin 2023 et nous avions envie de retenter l’expérience cette année, tant elle nous avait apporté. Même processus, nous avons réfléchi avec Victor à des chanteur·ses et cherché un·e metteur·se en scène plus spécialisée dans le théâtre pour pouvoir nous accompagner sur les scènes parlées (il y en a beaucoup dans Ô mon bel inconnu). Les objectifs de ce projet sont nombreux. Déjà, apprendre et aborder des rôles entiers est une opportunité rare pour nous chanteur·ses avant nos premières productions professionnelles car cela demande toute une organisation et du budget. Au Conservatoire, il y a la production annuelle mais tous·tes les chanteur·ses ne peuvent pas participer. Ensuite, monter un projet en troupe est une expérience extrêmement riche qui nous apprend beaucoup sur notre rapport aux autres et à nous-mêmes dans le travail. Puis nous faisons des rencontres tant amicales que professionnelles aussi, tout le monde ne se connaissait pas au début du projet, ces rencontres sont très riches humainement et essentielles dans nos métiers. Enfin, nous aimerions par la suite pouvoir faire tourner ce spectacle à l’extérieur.
Victor : La seule manière d’apprendre une œuvre (ou un rôle), c’est d’en faire une production ; comme tout autre métier, le nôtre s’apprend en faisant. L’objectif premier était de progresser et de s’amuser ensemble. J’avais également à cœur d’habiter par la musique et le théâtre certains espaces du Conservatoire, dont le bâtiment offre pour cela un grand potentiel, mais qui restaient souvent inusités. Je crois beaucoup au fait de faire entrer des spectacles, de l’art, dans des lieux ou des moments du quotidien. Ça permet un autre lien avec le public, plus inattendu et libéré des rituels du concert, et le cadre permet un jeu avec l’espace ou la situation. C’était aussi l’occasion de partager un moment musical et festif avec toutes celles et ceux qui font partie de la communauté du Conservatoire.
En quoi cette expérience a-t-elle nourri votre parcours personnel et votre vision du travail collectif ?
Sara : Personnellement, je me suis découvert des qualités de chargée de production ! C’est toute une organisation de monter un opéra, j’ai découvert plein d’aspects techniques que j’ignorais et qui me permettent aujourd’hui d’être plus au fait des différents métiers qui nous entourent, nous, artistes. Ensuite, travailler tout un rôle demande aussi une organisation très en amont du travail collectif. Pour Marie-Anne, j’ai commencé à travailler en septembre afin d’arriver aux répétitions la plus prête possible. C’est quelque chose dont on ne se rend pas compte avant de l’avoir expérimenté (pour Susanna il y a 2 ans, j’avais commencé à apprendre le rôle 5 mois avant, je me suis rendu compte que ce n’était pas suffisant !). Enfin quand on travaille en collectif, on se rend compte que tout ne peut jamais se passer comme prévu, puisqu’il y a autant de possibilités que de personnes présentes. J’ai donc énormément appris à m’adapter, à être flexible, à me laisser surprendre par des choses auxquelles je ne m’attendais pas et qui très souvent s’avèrent finalement bénéfiques.
Alice : Il s’agit du premier projet que je mets en scène intégralement, j’ai donc énormément appris sur le métier. J’ai notamment compris qu’une des clés pour avancer est de s’entourer. Faire appel à Lucile Miège (costumière en formation de chapellerie) était donc une étape essentielle. Son regard esthétique sur les personnages est venu compléter le mien, et a enrichi le projet d’une sensibilité visuelle propre, en dialogue avec ma lecture dramaturgique.
La collaboration avec les chanteur·ses a aussi représenté une vraie découverte. Le rythme de travail et les habitudes diffèrent beaucoup de ceux du théâtre où l’on passe plus de temps à chercher. À l’opéra, il faut être vigilant à l’effort que sollicite le chant, être très précis dans les indications de jeu et les penser en lien avec la musique. L’équilibre entre l’excès d’actions et le statisme m’a semblé parfois difficile à trouver, mais cela se précisait souvent en échangeant avec les chanteur·ses et leurs intuitions.
Cette expérience m’a profondément ancrée dans une vision collective du travail : j’ai compris que la mise en scène, loin d’être une position de contrôle vertical, consiste souvent à faire circuler les propositions, à arbitrer entre ce que l’on imagine, ce que la musique impose, et ce que les interprètes révèlent.
Victor : On découvre beaucoup l’artiste que l’on est en travaillant avec les autres, surtout quand on est jeune j’imagine. Et puis c’est un formidable laboratoire, où l’on peut essayer des choses, se tromper, réessayer, sans appréhension ou peur du jugement. Toutes les maladresses qu’on fait dans un projet comme celui-ci nous servent d’expérience pour les productions dans un cadre plus « sérieux » !
À titre personnel, j’ai beaucoup appris sur ma manière de préparer l’œuvre en amont, ce dont j’avais besoin ou, au contraire, ce qui est intéressant à savoir mais qui en fait n’a pas d’application pratique dans le geste de direction.
Chaque groupe est une constellation unique, et j’essaye de m’adapter au mieux pour apporter aux chanteur·ses et aux musicien·nes ce dont ils et elles ont besoin sur le moment. Cela varie beaucoup en fonction des gens et d’où on en est dans le travail, ce qui me permet de visiter plusieurs endroits de direction différents : parfois c’est le texte qu’il faut aider, parfois la mise en place, parfois la phrase… Plus on avance, plus les choses tiennent d’elles-mêmes, surtout en présence de collègues talentueux·ses, complices et bien formé·es comme c’est le cas ici, mais certains moments clefs nécessitent toujours une présence.
Distribution
Félicie — Céleste Ingrand
Marie-Anne — Sara Brunel
Antoinette — Manon Sekfali-Bonnier
Prosper — Félix Merle
Jean-Paul — Yann Salaün
Claude — Jean Marques
Le garçon / M. Victor — Kevin Arboleda Oquendo
Lallumette — Jordan Mouaïssia
Mise en scène — Alice de la Bouillerie
Costume — Lucile Miege
Cheffe de chant — Manon Minvielle-Debat
Orchestre d’étudiant.es du CNSMDP
Direction musicale — Victor Rouanet
Assistant musical — Célestin Grimaud
Orchestrations — Célestin Grimaud & Victor Rouanet
Rendez-vous lundi 16 juin prochain pour découvrir cette comédie musicale en deux parties : la première à 13h (Hall Joséphine Baker), puis en fin de journée à 17h (esplanade extérieure).
« Ô MON BEL INCONNU »
Texte : Sacha GUITRY
Musique : Reynaldo HAHN
© Ed. Salabert