La Schola cantorum parisienne dans la tourmente de la Grande Guerre à travers une lecture de ses « Tablettes »
Actes du colloque international « Les institutions musicales à Paris et à Manchester pendant la Première Guerre mondiale »
Pendant ce dernier trimestre [1918], la vie à Paris a été particulièrement agitée, du fait des visites fréquentes des “Gothas”, des “Berthas”, “Fridas”, et autres agréables produits de la Kultur. À la Schola, nous mettons notre fierté à le constater, rien n’a été changé : tous les cours ont continué à fonctionner, et tous les examens de fin d’année ont eu lieu comme d’habitude [1].
Le 28 septembre 1914, quasiment deux mois après la déclaration de guerre, Vincent d’Indy (1851-1931) s’exprimait ainsi dans une lettre à René de Castéra (1873-1955), montrant combien le conflit mondial réactivait en lui – comme chez beaucoup de Français de sa génération – ce désir de revanche contre les forces prussiennes devant lesquelles la France s’était agenouillée lors de la bataille de Sedan du 1er septembre 1870 :
« Combien vous perdez en étant loin de Paris dans ces moments où Paris se montre si beau ! Enfin débarrassé de la clique politique et froussarde aux superbes uniformes galonnés (Caillaux a 5 galons !), Paris est redevenu comme en 1870, j’ai retrouvé les mêmes impressions de calme et de dignité dans le peuple qui, en 70, a souffert sans se plaindre 4 mois de siège. Et puis, le temps est si beau, les nuits sont admirables, on se promènerait toute la nuit dans les rues dénuées de tout éclairage, et avec ça, comme il n’y a plus de théâtres ouverts, les aviateurs allemands ont l’obligeance de nous donner des petites représentations qui font le bonheur des concierges et des midinettes, d’autant que ces représentations sont gratuites… J’ai essayé de m’engager, j’avais d’excellentes recommandations (il en faut même pour ça !), mais le colonel de recrutement m’a trouvé trop vieux [d’Indy avait alors 63 ans]… Il ne me l’a pas mâché, ce qui m’a profondément humilié – j’aurais aimé avoir fait les 2 guerres… En sorte que moi qui désirais ardemment un uniforme, je ne peux pas y arriver, tandis que des Caillaux, des Reinach, des Dalimier sont couverts de galons de capitaines et de colonels ! C’est enrageant ! Il est vrai que ces beaux uniformes qui paradent à Bordeaux ont pu sentir quelque chose alors que ces messieurs tremblaient à Paris, attendant avec anxiété l’ordre de foutre le camp, mais à coup sûr, ils ne sentiront jamais la poudre [2] ! »
Si les opinions patriotiques et tranchées de d’Indy sont souvent citées et analysées dans les études portant sur la musique pendant la Première Guerre mondiale, bien peu de travaux se sont en revanche portés sur l’institution musicale qu’il dirigeait depuis 1904, la Schola cantorum, sur son fonctionnement et sur son devenir tout au long de ces quatre années et demi de conflit. Tout à la fois centre d’enseignement, de création et de diffusion musicales, à Paris, en province mais aussi à l’étranger, le bastion d’indyste, créé en 1894 sous la houlette du triumvirat formé par Charles Bordes, Alexandre Guilmant et Vincent d’Indy et inauguré le 15 octobre 1896, se trouvait dans une situation florissante à la veille du déclenchement du conflit mondial, ainsi que le résume le compositeur Guy de Lioncourt (1885-1961), qui a longtemps fréquenté l’école comme étudiant puis comme enseignant :
« En 1914, la maison était en pleine prospérité. Le nombre des élèves n’avait cessé de s’accroître. Le maître Louis Vierne avait remplacé Guilmant à la classe d’orgue supérieur ; M. Louis de Serres depuis longtemps avait succédé à Bordes à la tête des cours de déclamation lyrique. De nouveaux cours avaient été créés dans toutes les branches. Non seulement l’École avait pu monter les Passions de Bach, la Messe en si mineur, et de nombreuses cantates, ainsi que la fine fleur des anciens opéras français ; mais elle s’était attaquée à des œuvres plus modernes et nécessitant l’orchestre complet : Euryanthe, Freischütz, la Messe en ré de Beethoven, dont la première audition conduite par M. d’Indy le 19 mars 1910 fut un événement ; la Neuvième Symphonie ; les Béatitudes, le Chant de la Cloche. Les élèves, dont certains étaient à leur tour devenus des maîtres et des propagandistes, multipliaient de tous côtés les centres musicaux, au double point de vue de l’enseignement et de l’exécution.
Des sociétés de concerts comme la Société Bach, la Société Haendel et tant d’autres, provenaient de l’initiative de scholistes. Dans tous les pays du monde, la renommée de la Schola grandissait. De partout, des musiciens y venaient s’instruire, et, le temps d’études fini, retournaient dans leur province ou leur lointain pays porter la forte manne scholiste et faire leurs semailles pour des moissons nouvelles [3]. »
Contre toute attente, le « conservatoire d’indyste [4] » a fait le choix de rester ouvert, assurant sa rentrée scolaire 1914-1915 dès le 3 novembre 1914, tout juste trois mois après l’annonce de la mobilisation générale, poursuivant la plupart de ses activités pédagogiques et musicales pendant quasiment toute la durée de la guerre :
« Dès la fin d’octobre, le Directeur de la Schola Cantorum estimant que, malgré la dispersion de nos cadres et malgré les trous creusés par la mobilisation dans les rangs de notre personnel, le moment était venu de redonner la vie à l’École, adressa un appel aux professeurs. Tous ceux qui n’étaient pas sous les armes se trouvèrent prêts à reprendre leur tâche éducatrice. En dépit des circonstances, le nombre de recrues subit à peine un léger fléchissement, et l’École ouvrit ses portes à 68 nouveaux élèves parmi lesquels domine naturellement l’élément féminin. On verra par le résultat des examens trimestriels que les quatre premiers mois d’études n’ont pas été inféconds. La promotion de la guerre ne le cèdera à ses devancières ni par la quantité, ni par la qualité [5]. »
Cependant, la conjoncture a nécessairement conduit à de nombreux changements, adaptations et réorganisations touchant tout aussi bien à son journal, Les Tablettes de la Schola, à son équipe administrative et à son fonctionnement pédagogique qu’à ses activités musicales proprement dites. Concernant ces dernières, je tiens à préciser que je ne dirai que quelques mots à propos de certains concerts donnés au front et à l’arrière-front : la contribution de Gilles Saint-Arroman dans le présent colloque porte précisément sur le répertoire interprété dans la sphère de la Schola cantorum entre 1914 et 1918, proposant un focus sur les concerts et complétant donc ma propre étude.
Les Tablettes de la Schola : résistance et adaptation aux contingences du conflit
Incertitude et irrégularité de parution
C’est principalement à travers le dépouillement et l’analyse des Tablettes de la Schola cantorum, l’organe de diffusion se faisant le reflet des activités de ladite institution, que j’ai pu mener cette étude sur la Schola cantorum pendant la Grande Guerre. Guy de Lioncourt rappelle à propos de ce journal : « Aux nouvelles pouvant intéresser les élèves et les amis, s’adjoignaient des articles sur tous les sujets intéressant la musique, et des notices explicatives sur toutes les œuvres exécutées dans les concerts. Les “Tablettes” ne sont pas éditées par le Bureau d’édition, mais dépendent de l’École elle-même [6]. » Créé en février 1902 (1re année, no 1), ce bi-mensuel paraissant le 1er et le 15 de chaque mois devient mensuel à partir de juin 1904 (4e année, no 12 [7]), paraissant généralement d’octobre – ou novembre – à juin de chaque année [8].
Le déclenchement du conflit mondial ayant lieu au beau milieu des vacances du chaud été 1914, c’est donc en toute logique que Les Tablettes de la Schola interrompent leur parution pour la rentrée scolaire 1914-1915 (quatorzième année) : aucun numéro ne voit ainsi le jour ni en octobre, ni en novembre. Pourtant, loin d’être définitivement enterrée, dans une sorte de salutaire et réconfortant élan vital, la revue renaît de ses cendres en avril 1915, après un long et pesant silence de neuf mois (entre juillet 1914 et mars 1915), avec un « no 1 spécial » qui prend ainsi acte de la gravité de la situation. En août 1915 lui succédera un unique et dernier « no 2 spécial », laissant entrevoir les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre d’une telle entreprise éditoriale :
« Encore un numéro hors série de nos Tablettes ! Nos lecteurs voudront bien ne pas nous garder rancune pour un pareil retard dans la publication. Le nombre de nos rédacteurs s’est trouvé bien réduit par la guerre, et le personnel de l’Imprimerie de même ! Prenons rendez-vous au seuil de l’année 1915-1916 qui, nous l’espérons, verra se lever, avec le soleil de la victoire, un brillant renouveau de notre Bulletin scholiste [9] ! »
Hélas, ce n’est pas en 1915-1916 que se lèvera ce « soleil de la victoire », loin s’en faut… Pour cette année scolaire, il faut là encore attendre le mois de mars 1916 avant de pouvoir relire les actualités de la Schola dans les colonnes de ses Tablettes. Deux numéros seulement verront le jour, en mars et juillet 1916. Mais la numérotation des bulletins disparaît soudain, les références étant désormais données par les seules dates, laissant ainsi comprendre au lecteur la prise en considération de cette inévitable irrégularité de parution, l’impossibilité d’envisager raisonnablement un quelconque retour à la normale qui s’accompagnerait tout logiquement d’une stabilisation de l’activité éditoriale. Pour 1916-1917, le premier bulletin – toujours sans indication de numéro – est daté de janvier 1917, le deuxième de mars et le troisième de juin : trois numéros au total pour cette année scolaire. Contre toute attente, l’année 1917-1918 réintroduit la numérotation de ses parutions dès le no 1 qui renoue avec les habitudes d’avant-guerre en paraissant dès l’automne, en novembre 1917. Suivront un no 2 en janvier 1918, un no 3 en mars et un no 4 en juin, pour un total annuel de quatre numéros. L’année 1918-1919 publie elle aussi quatre numéros : no 1 en novembre 1918, no 2 en janvier 1919, no 3 en avril et no 4 en juillet. Enfin, l’année 1919-1920 fait paraître six numéros, renouant quasiment avec son rythme mensuel d’avant-guerre, excepté deux numéros doubles : no 1 en octobre-novembre 1919, no 2 en décembre, no 3 en janvier 1920, no 4 (février-mars), no 5 (avril), et no 6 (juin).
Des « Nouvelles de l’École » aux « Nouvelles du front » : continuité et adaptation
Contrairement au rythme irrégulier de parution, une remarquable continuité transparaît dans le maintien en l’état des rubriques traditionnelles auxquelles était habitué le lectorat des Tablettes, de leur ordonnancement et de leur traitement. Les notes musicologiques accompagnant le programme des concerts importants de l’école dans la grande salle de la Schola ou à la Salle Gaveau côtoient les rubriques « Nouvelles de l’École », « Examens du premier trimestre », « de fin d’année », « Concerts à Paris », « Concerts en Province et à l’Étranger » qui rythmaient déjà la revue avant la guerre et qui apparaissent, en pleine tourmente, comme les repères d’une stabilité rassurante et réconfortante.
De nouvelles rubriques sont cependant créées, portant en elles les stigmates de la nécessaire adaptation au contexte belliqueux. Dès le no 1 spécial d’avril 1915, la rubrique « Nouvelles de l’École » adapte son contenu aux événements tragiques en donnant des nouvelles des membres scholistes mobilisés et envoyés sur le front, s’inscrivant, d’une certaine manière, dans le vaste mouvement patriotique de l’Union sacrée décrétée par le Président de la République Raymond Poincaré dans son message aux Assemblées du 4 août 1914 :
« Les amis de la Schola voudront bien excuser l’éclipse momentanée de ces Tablettes dont la publication interrompue par la guerre, créera un lien de plus entre les membres de la famille scholastique appelés sur le front, maîtres, pères ou frères de nos jeunes musiciens, et les bons artisans du travail national à l’intérieur. […] Nos lecteurs seront heureux de trouver ici une liste du personnel de la Schola, des maîtres et élèves qui ont répondu à l’appel de la patrie et servent aujourd’hui la France soit dans les tranchées, sur la ligne de feu, soit en qualité de brancardiers, infirmiers ou dans des formations diverses. Nous donnerons aussi exactement que possible les affectations militaires que nous avons pu recueillir [10]. »
Dès lors, l’organe de la Schola n’est pas sans faire écho à l’action menée par les sœurs Boulanger, dans le cercle du Conservatoire, avec leur entreprise née en 1915 de la Gazette des classes de composition du Conservatoire [11]. Sur le même modèle, les Tablettes projettent de publier des lettres de soldats sur le front : « La chronique des Tablettes s’enrichira bientôt d’une correspondance militaire écrite au bruit des marmites et des lance-bombes. Car bien que nos “poilus” soient généralement sobres de détails, et que leur modestie égale leur courage, presque tous sont allés aux tranchées, c’est-à-dire à l’assaut, c’est-à-dire à la gloire [12]. » Mais, sans que l’on sache au juste pourquoi, ce projet n’aboutira finalement pas.
Dans sa lettre à René de Castéra en date du 28 septembre 1914, un peu moins de deux mois après la déclaration de guerre, d’Indy se souciait déjà d’avoir des nouvelles des différents membres éparpillés de la famille scholiste et d’en donner à son ami :
« Avez-vous des nouvelles des camarades ? Moi, voici ce que je sais : sont présents à Paris Bréville, de Serres (qui fait de l’ambulance, de Serres a été refusé à son examen !!), Roussel qui est inspecteur (officiel) des ambulances de l’est, les Van Rysselberghe qui hébergent Capenu (22e section) et Ghéon (médecin militaire), ça s’appelle : la Communauté. Jeanne Lefèvre et Marguerite Gauthier-Villars sont employées de 6h du matin à 7h du soir à des ambulances où elles assistent à des coupages de bras et de jambes […]. Quant à ceux qui ne sont pas à Paris, voilà ce que je sais : Pierlot [13] est caporal à Verdun… Il doit trinquer dans ce moment-ci ! Henry [14] et Bardau gardent des ponts dans l’Oise et dans la Seine-et-Marne, Merlis, réformé, est brancardier, Sérieyx est en Suisse, le malheureux Labey enrage (ou du moins enrageait il y a 10 jours) d’être encore à G[u]ingamp au dépôt de son régiment, employé à l’instruction de la classe 1914, Lejeune, de la Haulle [15], m’ont écrit en partant, je n’ai plus de leurs nouvelles, Alquier ambulancier à La Rochelle avec Vierne, Pineau est territorial au Mans, et puis, je crois que c’est tout […]. Je suis inquiet de Coindreau, qui est resté à St-Quentin, en plein dans la bataille… Avec sa nervosité, il est capable d’avoir répondu : “M…” à un officier prussien : cas de fusillade [16]. »
Dans sa missive à d’Indy, au début de l’hiver 1915, René de Castéra raconte avec force détails son quotidien sur le front. Ses propos apportent un témoignage sur le brassage social et, surtout, un éclairage significatif sur le sort privilégié du soldat dès lors qu’il est identifié comme musicien :
« J’ai été changé d’escouade mais après une première contrariété, je ne le regrette plus. Les officiers sont charmants pour moi. Deux sous-officiers m’ont reconnu pour m’avoir vu dans des concerts à Paris. L’un étant mélomane fréquente assidûment la Schola Cantorum, l’autre luthier et artiste me connaissait comme compositeur et ceux-ci sont aux petites attentions pour moi. Je dois dire que les soldats que j’ai trouvé[s] ici, Parisiens pour la plupart, sont aussi gentils que possible : étant resté trois jours sans tabac, ils se le sont dit et c’était à celui qui viendrait porter une cigarette à son petit gars ou son vieux frère [17]. »
La rubrique « Nouvelles du front » voit le jour dès le no 1 spécial d’avril 1915 et annonce en préambule : « Le moment n’est pas encore venu de dresser les listes glorieuses qui constitueront plus tard le Livre d’or de la Schola. Nous devons cependant saluer ceux de nos camarades qui sont tombés au champ d’honneur, sacrifiant héroïquement leur vie à la défense de la patrie et de la civilisation françaises [18]. » Suit alors une liste des plus émouvantes – qui gagnera d’ailleurs en précision au fur et à mesure de la parution des numéros – de noms et de prénoms de disparus, assortis de renseignements concernant les classes qu’ils suivaient à la Schola, leur statut et leurs activités de musicien avant leur départ pour le front, le lieu, la date, les circonstances du décès ainsi que, de temps à autre, l’âge du défunt. Quand l’issue n’est pas aussi tragique, sont alors livrées des informations sur les blessés, le lieu et l’évolution de leur convalescence, les prisonniers dans les camps en Allemagne, les portés disparus pour lesquels on ne peut se prononcer sur le sort définitif, mais aussi les citations à l’ordre du jour des musiciens-soldats les plus vaillants et les plus méritants (Croix de guerre, citations à l’ordre du régiment et/ou de la division, etc.). Il est d’ailleurs assez saisissant de constater combien nombre de musiciens de la Schola cantorum ont été directement envoyés au front, se sont battus en première ligne, combien ils ont donné de leur personne et ont été en tout point exemplaires dans leur devoir patriotique. Certains comptes rendus ne sont parfois pas avares de détails. Ainsi peut-on lire, par exemple, à propos du chef d’orchestre et compositeur scholiste Marcel Labey (1875-1968) :
« Notre ami Marcel Labey, blessé le 26 avril [1915] à une attaque de la tranchée de Calonne, a eu l’os iliaque brisé par une balle qui a touché le péritoine, après avoir creusé dans les chairs un trou de 0 m 10 à 0 m 12 de diamètre et autant de profondeur. Grâce aux bons soins qui lui ont été prodigués, notre ami retrouvera l’usage de ses jambes, sans le secours d’une canne, nous osons l’espérer. À la suite du brillant fait d’armes de sa Compagnie, Marcel Labey a été nommé Capitaine. Félicitations et vœux de prompte guérison [19]. »
On a aussi des nouvelles de femmes parties comme infirmières ou au chevet d’un de leurs proches :
« Mlle Delacroix-Marsy dont les dix années d’enseignement pianistique laisseront des traces durables dans les annales de l’École, a renoncé à diriger son cours pour se consacrer entièrement aux fonctions d’infirmière qu’elle avait inaugurées pendant six mois de séjour au Maroc, dans des conditions très méritoires. Mlle J. Lefèvre a été appelée à poursuivre l’éducation de ce petit groupe d’artistes en herbe [20]. »
Ou encore :
« Madame Jumel, notre éminente grégorienne et propagandiste, va avoir la joie de s’installer pour les vacances au chevet de son fils, aspirant officier, blessé à l’attaque de Notre-Dame de Lorette et dont la convalescence suit heureusement un cours normal [21]. »
L’annonce de la disparition d’un membre de la Schola particulièrement impliqué dans l’institution – qu’il soit élève, professeur ou administratif – s’accompagne le plus souvent d’un article nécrologique développé dans lequel maintes informations, tant personnelles que professionnelles, sont portées à la connaissance du lecteur, sorte d’hommage patriotique rendu aux victimes scholistes de la nation. Celui se rapportant, par exemple, à Guy de Cholet (1868-1915), s’avère tout particulièrement développé et mérite d’être cité en grande partie. Élève en composition de Charles Bordes, il effectue plusieurs séjours au Tonkin, avant d’intégrer la Schola à la fin de 1902, suite à son retour en France où il devient l’élève de Guilmant et suit aussi les cours de chant grégorien et de contrepoint, simultanément avec le cours de composition. Il est l’auteur de plusieurs opus entre 1903 et 1914. Son entrée en guerre – accompagnant l’ébauche d’un quatuor à cordes qui ne verra hélas jamais le jour –, sa blessure puis la balle qui l’atteint en pleine poitrine le 26 septembre 1915 sont ainsi relatés avec beaucoup de vie et d’émotion :
« L’idée d’un quatuor à cordes, cette composition difficile entre toutes, le poursuivait depuis quelque temps ; il en commença une ébauche ; c’est son dernier manuscrit, qui n’a que deux pages et demie. Il l’intitule : Divertissement pour quatuor à cordes, Noirmoutiers-Paris. Au milieu de la troisième page, il a écrit : “La guerre”. Suivent encore une vingtaine de mesures, puis tout s’interrompt, et plus bas, la date : “12 août 1914”. Sa vie d’artiste était finie.
Après avoir attendu avec impatience et en vain l’appel de sa classe, il s’engagea : l’inaction et ce qu’il estimait son inutilité lui pesaient trop. Envoyé à Bordeaux dès la fin d’août, et de là au camp de Souges, il fut bientôt nommé adjudant : “On m’a donné des galons, écrivait-il le 6 janvier 1915, je suis un peu honteux de les avoir gagnés à si bon compte”, et on lui confia l’instruction des recrues avec lesquelles il devait partir pour le front. “J’avoue sans honte (15 mars) être content qu’on m’ait, malgré mes cheveux blancs, reconnu capable de faire partie d’une telle troupe. J’espère, dans la mesure de mes faibles moyens, pouvoir leur faire honneur.” Cette troupe était le 418e Régiment d’Infanterie, régiment de marche.
Il arriva en Belgique, sur l’Yser, le 1er mai, et y fut blessé le 16 mai à la nuque et à la main droite par des éclats d’obus. La monotonie de la vie des tranchées lui avait été particulièrement pénible. Après un congé de deux mois, il fut nommé sous-lieutenant, et retourna à son dépôt au commencement d’août. Le 418e n’y était plus ; et lorsqu’il apprit qu’une grande offensive se préparait, il demanda et obtint l’autorisation de le rejoindre, ne pouvant supporter de rester loin de ses hommes au moment du combat.
Alors commença cette sorte de poursuite, de course fatale qui devait le conduire à la mort. Chaque fois qu’il arrivait à l’endroit qui lui était indiqué, ou le régiment était parti un peu avant, ou nul ne savait ce qu’il était devenu. “Il semble qu’on joue à la balle avec moi…” Enfin après huit jours de recherches, il réussit à obtenir une indication précise : le 418e doit passer telle nuit, sur telle route. Il y va, et attend. Plusieurs heures s’écoulèrent ; le régiment apparut enfin, défila ; et lui, mettant sa cantine sur une des voitures, suivit le sort qui l’entraînait. C’était le 20 septembre.
Quelques jours plus tard, à Beauséjour, le 26 septembre au matin, en chargeant à la tête de sa section, il reçut en pleine poitrine une balle qui le tua net.
Nul plus que lui n’avait un physique en rapport avec sa tenue morale : robuste, un visage volontaire, un regard très doux. Malgré toute l’indépendance de son esprit et la simplicité de ses manières, il était resté tel que l’avaient formé les traditions de sa famille, de vieille race française [22]. »
Seul le numéro de mars 1917 des Tablettes ne donne pas de « Nouvelles du front [23] ». À partir de juin 1917, cette rubrique garde toujours sa légitimité, mais son titre disparaît au profit de « La Schola et la Guerre ». On y apprend par exemple que Marc de Ranse, longtemps captif en Allemagne, est désormais interné en Suisse. Il est à la tête d’un orchestre qui donne de brillantes manifestations musicales. Albert Gébelin est brancardier au 116e bataillon de chasseurs à pied. Paul Le Flem, adjudant-interprète au 1er régiment spécial russe, s’est particulièrement distingué dans la dernière attaque de la région de Brimont, et a reçu la Croix de guerre. Eugène Borrel, après avoir fait la campagne des Dardanelles, a été rapatrié pour cause de maladie. Désormais guéri, il est reparti pour l’armée d’Orient depuis de longs mois déjà, se trouvant actuellement sur le front de la Serbie reconquise, en qualité d’officier attaché à l’État-Major. Georges Ibos, prisonnier de guerre au camp de Merseburg, y remplit les fonctions de vaguemestre et peut même donner des leçons de musique à ses camarades, etc [24].
À l’issue du conflit, l’ouvrage collectif La Schola cantorum en 1925 par Vincent d’Indy et quelques-uns de ses collaborateurs se fera un devoir de publier, dans une partie tout spécialement consacrée à « La Schola et la Guerre », une « Liste des Élèves de la Schola morts pour la France » (p. 188-189), une des « Décorations et Citations » (p. 189-191) et une autre enfin intitulée « Parmi les blessés, citons encore » (p. 191) [25].
Mutations administratives et pédagogiques
Administration
Au-delà du nombre réduit des rédacteurs des Tablettes et du personnel de l’imprimerie, c’est l’administration de la Schola qui se voit remaniée. Le comptable Paul Pierlot et le secrétaire Jacques de Merlis étant tous deux mobilisés, tous les services sont provisoirement rattachés au secrétariat général. Finalement réformé, Pierlot peut reprendre le secrétariat dont le poste était occupé par de Merlis, tombé au champ d’honneur le 29 septembre 1915, au cours de la bataille de Champagne. Mais il est lui-même emporté pendant l’été 1916 par une maladie qu’il avait contractée dans les tranchées. Edmond de Becdelièvre prend donc sa succession en octobre 1916. Les fonctions de secrétaire général sont quant à elles officiellement confiées à Guy de Lioncourt, qui était associé à ce poste depuis quatre ans déjà.
Corps professoral et élèves
Bien que leur nombre total ait significativement diminué, 68 nouveaux élèves sont admis dès la première année scolaire de guerre 1914-1915. Les Tablettes publient régulièrement les noms des professeurs qui sont appelés à rejoindre leur affectation militaire ainsi que les noms de ceux qui viennent les remplacer dans leurs activités pédagogiques, dans une constante dynamique de solidarité. On apprend par exemple, en avril 1915 :
« L’organisation des nombreux “intérims” occasionnés par la guerre a pu être élaborée sans trop de difficultés, grâce à la bonne volonté et au dévouement des professeurs non mobilisés. Le cours de M. Motte-Lacroix, mobilisé [26e Régiment d’Infanterie coloniale], a été confié à M. Paul Braud, titulaire du cours supérieur de piano, qui a bien voulu accepter ce surcroît de travail. M. Parent s’est chargé jusqu’au mois de mars de l’intérim de la classe de violon intermédiaire de M. Claveau [13e Artillerie]. M. E. Borrel a assumé l’intérim des classes de violon de M. Le Feuve [brancardier au 46e d’Infanterie] et d’alto de M. de la Haulle [1er régiment du Génie]. Mobilisé à son tour, M. Borrel [106e Infanterie] a été remplacé par M. H. Piccoli pour la première, et, pour la seconde, par Mlle Cécile Blottière. Mme Vaillant-Couturier qui avait eu la douleur de perdre son mari au mois d’octobre dernier ne reprendra son cours qu’au mois d’avril. Mme Seyrés a été chargée jusqu’à cette époque de diriger ses élèves. Enfin, M. V. d’Indy remplira les fonctions de professeur d’accompagnement et d’improvisation, jusqu’à la fin de la guerre, en l’absence de M. Lejealle, mobilisé [294e d’Infanterie] [26]. »
Aussi incroyable que cela puisse paraître en pleine guerre, de nouvelles classes sont créées (de piano 1er degré ou encore de harpe), ce qui vient confirmer le succès que connaît l’institution et l’affluence régulière de nouveaux élèves. À la rentrée d’octobre 1917, on décide de créer deux nouveaux « cours intermédiaires » de piano pour les élèves féminines. De plus en plus nombreuses à décrocher leur diplôme de 1er degré, les femmes ne pouvaient plus poursuivre normalement leurs études instrumentales. L’importance de cette présence féminine se confirme entre 1915 et 1925 environ puisque les femmes prennent une part toujours plus grande dans les diplômés, notamment dans les classes de contrepoint, d’orgue, de musique de chambre et de chant grégorien. Elles renforcent également leur suprématie en violon, en déclamation lyrique, en harpe ou encore en alto.
Examens, règlement intérieur et cadre des études
Malgré toutes ces mutations, le rythme des examens reste quant à lui inchangé, avec une session autour du début du mois de mars et la session des « Examens de fin d’année », plus étalée dans le temps, en mai ou juin. La liste des diplômés de juin 1915 ou des admis à l’examen d’entrée d’octobre 1917 laisse encore une fois et logiquement apparaître une féminisation croissante des lauréats.
Forte de son succès, la Schola cantorum voit, dès la rentrée 1915-1916, une affluence des demandes d’admission. Ne pouvant toutes être satisfaites en raison des classes complètement saturées – malgré le mérite et la valeur de certains candidats –, après avoir pris l’avis de la Commission des études, le Conseil d’Administration se voit dans l’obligation de prendre des mesures drastiques pour évincer les élèves déjà inscrits qui ne seraient pas doués ou ne travailleraient pas suffisamment, écho au « contrat moral » dont parle David Mastin :
« Il serait, en effet, souverainement injuste que des élèves incapables de progresser, soit parce qu’ils ne sont pas doués pour la musique (et, dans ce cas, c’est un service à leur rendre que de les détourner de cette étude), soit simplement parce qu’ils ne travaillent pas, continuâssent à occuper des places qui seraient plus dignement tenues par d’autres [27]. »
Ainsi les élèves de première année doivent-ils obtenir des notes minimales aux examens de fin d’année fixées selon les degrés (cours du 1er degré, cours intermédiaire, cours du 2e degré), le coefficient pour l’obtention des mentions se voit rehaussé, l’admission dans les « Cours supérieurs » devient elle aussi plus exigeante et il est bien plus difficile de prendre un congé à la légère : « Il ne sera désormais accordé aux élèves aucun Congé suspensif de leurs études. Ceux d’entr’eux qui seraient forcés d’interrompre ces études devront se représenter à l’examen d’admission et seront réintégrés dans leurs cours s’il reste des places disponibles [28]. » Pour l’année scolaire 1916-1917, les mesures continuent à se durcir :
« Dorénavant, et sauf le cas de maladie régulièrement constatée, l’obtention d’un congé ne donnera plus droit à une prolongation équivalente du temps d’études.
Les élèves n’ayant pas obtenu la mention Bien et qui n’auront pas depuis l’examen de Juin 1915 avancé de 4 points au minimum pour le 1er degré et de 5 points pour le 2e degré, sont rayés des cours dans lesquels ils n’ont pas progressé [29]. »
Chaque nouvelle année scolaire resserrera la vis avec des mesures toujours plus strictes. Pour 1918-1919, de nouvelles décisions sont prises en faveur d’une reconsidération et d’un renforcement des études de solfège pour l’obtention d’un diplôme quelconque du second degré, l’admission dans un cours intermédiaire ainsi que pour tous les élèves en classe de chant :
« Le Conseil supérieur des Études, considérant l’importance capitale, pour tout musicien, des études de Solfège, et constatant les lacunes irréparables que cause une trop grande négligence à ce sujet, vient de prendre les dispositions suivantes, qui seront appliquées à partir de l’exercice 1918-1919.
1° Le diplôme de Solfège sera absolument exigé pour l’obtention d’un diplôme quelconque du 2d degré.
2° Les Élèves ne seront admis dans un cours intermédiaire qu’après avoir obtenu au moins la mention Bien dans un cours de Solfège.
3° Tous les Élèves de Chant seront obligés de suivre un cours de Solfège ; et ils seront rayés du cours de Chant, s’ils n’ont pas obtenu au moins la mention Assez-Bien au bout d’une année d’études de Solfège [30]. »
Création du Prix Armand Parent
C’est en mars 1917 que les Tablettes annoncent officiellement le projet du violoniste liégeois Armand Parent (1863-1934) – très impliqué à la Schola en y donnant régulièrement des séances de quatuor à cordes et en y enseignant par périodes, notamment pendant la guerre – de fonder un prix pour les élèves diplômés en violon de l’école. C’est dire si, en pleine tourmente, la Schola cantorum a à cœur d’honorer la vigueur de ses activités pédagogiques et musicales, sans jamais renoncer, et en faisant preuve au contraire d’une vitalité créative des plus stimulantes, tout en poursuivant son haut niveau d’exigence afin de ne rien sacrifier à une quelconque médiocrité qui viendrait signifier, aux yeux de l’ennemi, une faille en lui dévoilant une certaine forme de découragement et de laisser-aller. Ouverte aux diplômés du « second degré » et du « cours supérieur », la toute première session est prévue pour le mois de juin 1918, avec une récompense de deux cents francs à la clé, accompagnée d’un « diplôme spécial ». On retrouve cette préoccupation de la direction des études de la Schola de former, outre de très bons instrumentistes, des musiciens complets et cultivés puisque l’un des alinéas du règlement précise que « ne pourra prendre part au Concours le Candidat qui n’aura pas suivi très régulièrement pendant au moins un an la classe d’harmonie et la classe de Musique de chambre [31]. » Un peu plus loin, on apprend aussi que les candidats devront encore se soumettre à un examen d’Histoire de la musique. Pour ce qui est de la partie violonistique proprement dite, le programme est d’ores et déjà fixé dans ses moindres détails :
« Trois mois avant la date du Concours, le Directeur de la Schola, d’accord avec M. Parent, indiquera l’œuvre qui sera imposée à tous les concurrents.
De plus, le candidat devra exécuter de mémoire plusieurs œuvres du répertoire suivant : Concerto en fa de Lalo, Concerto en si de Saint-Sëns, Concerto de Brahms, Poème de Chausson, Symphonie espagnole de Lalo, sans l’Intermezzo, Rondo Capriccioso de Saint-Saëns, deux romances de Beethoven, Préludium et Allegro de Pugnani, l’une des six sonates pour violon seul de Bach (édition Parent) au choix du Candidat, trois caprices de Paganini au choix du Candidat.
Les œuvres suivantes peuvent ne pas être exécutées de mémoire :
Sonates pour piano et violon de César Franck, Vincent d’Indy, A. Magnard, les deux sonates de Schumann, la 7e (ut min.) et 9e sonate (dédiée à Kreutzer) de Beethoven.
Le Choix des œuvres à exécuter sera décidé le jour du Concours. […]
Si le jury ne voit pas la possibilité de décerner le prix, la somme de deux cents francs sera reportée au prix du Concours suivant.
Dans ce cas la somme allouée au premier nommé sera de quatre cents francs et pourra aussi, mais dans ce cas seulement, être partagée si deux Candidats obtiennent le même nombre de points [32]. »
C’est finalement la date du dimanche 30 juin, à 2 heures, qui est retenue pour l’organisation de la première édition de ce concours, dans l’enceinte même de la Schola, le morceau imposé étant le Concerto de Beethoven [33]. Mais les derniers réajustements reportent une nouvelle fois le premier concours à l’année suivante, les 13 et 15 juin 1919, la lauréate étant Edmée Lehéricy. Deux ans plus tard, les 15 et 16 juin 1921, la seconde et dernière édition du concours couronnera Marcel Vernet [34].
Cultiver l’art en temps de guerre à la Schola cantorum
Recherche musicologique, composition et activités éditoriales
D’Indy poursuit ses activités de recherche et ses reconstitutions musicologiques de corpus anciens. En mars 1916, il tente par exemple de replacer sa dernière exhumation de La Guerre de Renty de Janequin – écrite plus de 45 ans après l’illustre Bataille de Marignan – et La Sortie des Gendarmes de Claude Le Jeune dans le contexte conflictuel actuel en la rattachant à des visées nationalistes, mettant notamment en valeur les « attaches latines de notre race » qui émergent de la partition :
« Grâce à quelques exemplaires du Verger de Musique, publié par Adrian Le Roy et Ballard, en 1559, (exemplaires fort rares et marqués au fer de Diane de Poitiers), nous sommes parvenus à reconstituer l’œuvre chorale si pittoresque que Jannequin [sic] écrivit en commémoration de la bataille de Renty.
On verra que cette chanson polyphonique diffère essentiellement de son aînée, la Bataille de Marignan, à laquelle elle est fort supérieure au point de vue musical.
Écrite plus de quarante-cinq ans après l’illustre Bataille, la Guerre de Renty porte la marque de la maturité d’un artiste qui consacra une grande partie de sa carrière à composer des tableaux musicaux, véritables ancêtres de nos modernes poèmes symphoniques.
Celui-ci est solidement construit en trois parties bien distinctes : L’appel aux armes, la Bataille et l’Action de grâces après la victoire. L’expression musicale y est aussi poussée que le permettent les ressources du chœur à quatre voix.
Nous y avons adjoint une charmante fantaisie de Claudin Le Jeune, intitulée Sortie de gendarmes, dans le recueil d’Adrian Le Roy.
Nous espérons que la fidèle reconstitution de ces deux petits monuments de notre art français pourra intéresser ceux de nos auditeurs qui n’ont point répudié les attaches latines de notre race [35]. »
Bien que tournant au ralenti, les publications de la Schola et leurs partenaires ne mettent pour autant pas la clé sous la porte. Les éditions Benjamin Roudanez, au 9 rue de Médicis, annoncent dans Les Tablettes de mars 1916 la mise sous presse du Miracle de Saint-Nicolas, légende en deux parties et dix-sept tableaux de Joseph-Guy Ropartz. En janvier 1917 est lancée une publicité pour la parution du chant-piano, aux côtés des Chansons de France pour les enfants, harmonisées par Ropartz et annotées par Blanche Selva. En juin paraît le premier cahier des Exercices journaliers pour le violon d’Armand Parent. Malheureusement, la disparition du dynamique éditeur, au cours de l’été 1917, est elle aussi directement liée à la guerre, survenue
« à la suite d’une maladie, que son dévouement a certainement contribué à aggraver. M. Roudanez, en effet, cumulait depuis la guerre la charge de sa maison d’édition de la rue de Médicis avec les fonctions d’infirmier dans une ambulance de Neuilly, sans jamais reculer devant des fatigues et un surmenage au-dessus de ses forces. Tous ceux qui l’ont connu étaient unanimes à apprécier l’intelligence, l’initiative, le sincère amour de l’art qui l’ont toujours guidé dans les questions musicales [36]. »
La maison d’édition poursuit malgré tout ses activités, Les Tablettes de mars 1918 portant à la connaissance de leur lectorat que « le bureau d’édition de la Schola vient de publier la Messe pour voix égales de C. Pierre-Gauthiez, qui a été chantée plusieurs fois à Saint-Eustache, et beaucoup remarquée. Sa facilité d’exécution et sa musicalité la rendent précieuse pour les maîtres de chapelle [37]. » Le même numéro annonce encore la gravure du chant-piano de La Belle au bois dormant de Guy de Lioncourt.
Concerts au front et à l’arrière-front
Les Tablettes font régulièrement part de nouvelles de musiciens de la Schola – élèves et professeurs, anciens et actuels – qui, bien qu’envoyés au front ou à l’arrière-front, tentent de revenir, dès qu’ils le peuvent, à leur chère musique. Certains témoignages s’avèrent particulièrement significatifs et émouvants, tel celui-ci, de 1915 : « Un de nos anciens camarades, M. Darcieux, n’attend pas la fin de la guerre pour améliorer le répertoire de la musique militaire. Au 56e territorial, face aux tranchées Boches, il fait l’éducation de ses instrumentistes en montant “Hymne à la Nuit” de Rameau (quatuor vocal) avec accompagnement suivant les voix [38]. » Ou cet autre, en 1916 :
« Notre ami Gébelin, brancardier au [6]e Bataillon de chasseurs alpins, qui vient d’échapper miraculeusement à la mort sous les éclats d’un 105 dans le poste de secours où il était de service, ne s’ingénie pas moins, jusque sous le feu de l’ennemi, à stimuler l’ardeur du groupe scholiste qu’il a réussi à former. De temps à autre, dans les périodes de repos, il organise de petites manifestations musicales. Un de ses programmes comporte un “concert spirituel” à l’église de Blamont avec salut en grégorien. L’orgue était tenu “par le sergent Berr et le caporal Duchoup”. Un autre, daté de Hagenbach (Haute-Alsace), assigne la première place au grégorien dans un service funèbre pour le repos des âmes des chasseurs. On y entendit aussi “O Vulnera doloris”, de Carissimi. Sur un autre, profane celui-là, figurent “Le Clairon”, de Déroulède, et “Josué”, air par le chr Gébelin, sans parler des tours de force du chr Bienvenu “équilibriste jongleur”, de “l’Idylle gourdiflette”, chansonnette comique par le chr Delfornais, et “le Kamarad”, monologue du chr Recordier [39] ! »
On pouvait encore lire, dans le numéro de mars 1918 :
« Jusque dans les tranchées, nos camarades mobilisés se souviennent qu’ils sont des apôtres de la musique, et font, pour peu que cela soit possible, de bonne propagande. C’est ainsi que notre ami Desabres a pu organiser, dans un secteur tranquille de Haute-Alsace, un orchestre symphonique, composé d’éléments évidemment incomplets et un peu disparates, mais pleins de bonne volonté, et leur faire jouer un certain nombre d’œuvres intéressantes. Au 149e d’infanterie, ce sont des chœurs que M. R. di Roma, avec la pleine approbation de ses chefs, a pu constituer, en groupant ses camarades, et en leur apprenant les premiers éléments du solfège et du chant [40]. »
Les prisonniers de guerre ne sont pas oubliés non plus. Ainsi par exemple, dans le numéro de janvier 1918 :
« Nous avons reçu de bonnes nouvelles de notre camarade Raoul Philip, prisonnier de guerre au camp de Giessen. Il peut faire beaucoup de musique. Il faisait partie, l’hiver dernier, d’un orchestre de 50 musiciens, qui jouait des œuvres de Beethoven, Mozart, Weber, Mendelssohn, sans oublier, bien entendu, les auteurs français, quand cela était possible. Il avait aussi constitué un quatuor. Cette année, l’orchestre est plus réduit, mais peut cependant continuer à fonctionner [41]. »
Concerts à l’arrière et œuvres caritatives
Même pour les combattants blessés rapatriés à l’arrière pour y être soignés, la musique apparaît comme une source de réconfort et une raison d’être pour continuer à aller de l’avant :
« Notre ami Raugel, grièvement blessé dans les tranchées de première ligne par une explosion de grenades, et décoré de la Croix de guerre, vient à son grand regret, d’être mis en réforme pour ses blessures.
Il met à profit ses loisirs forcés à l’hôpital 10 de Montpellier pour organiser un concert spirituel au profit des blessés militaires, sous la présidence de S. E le cardinal de Cabrières et du général Ferré, commandant de région. Chœur et orchestre de la Société Bordes. Ce 21 mars, le vaillant chasseur à pied quittera donc Rosalie, pour le bâton de chef d’orchestre !
Au programme : De Profundis, de Bach, O vos omnes, de Vittoria, Laboravi, de Rameau, des pièces d’orgue, de C. Franck, interprétées par M. A. Philip, etc., etc., et, au salut, (Église Notre-Dame des Tables), des litanies, de Raugel, Psaume CXVI, de A. Philip, Tantum ergo, de Palestrina [42]. »
À Paris comme en province, on ne compte plus les concerts de bienfaisance et de charité donnés au profit d’organismes les plus divers : l’œuvre des militaires convalescents, des victimes, des Morts, des blessés, des Éclopés de la guerre, des Réformés tuberculeux, des soldats aveugles de la maison de la rue de Reuilly, des blessés convalescents français et alliés, des prisonniers de guerre, l’œuvre des « soldats permissionnaires des pays envahis », du Foyer Franco-Belge, des Enfants des Flandres, des Veuves et Orphelins de la guerre, de l’« Entr-aide artistique française » pour les Réfugiés, etc. Le numéro des Tablettes d’août 1915 souligne en effet :
« Nos professeurs ne se sont pas contentés d’alimenter par leur enseignement le vivant foyer d’art de la rue St-Jacques. Ils se sont encore associés de toutes façons aux œuvres d’assistance que la charité a fait éclore sur l’étendue de notre territoire.
Plusieurs ont tenu aussi à porter aux blessés, dans les salles des hôpitaux temporaires, le réconfort de la Musique. Expérience à la fois patriotique et artistique dont le résultat fut toujours favorable au grand art. La seule énumération de ces séances en dit plus long que toutes les gloses [43]. »
Mais c’est certainement le concert du Vendredi-Saint 29 mars 1918 qui restera gravé dans les mémoires de la Schola. Alors qu’un concert spirituel était sur le point de commencer dans l’église Saint-Gervais – paroisse particulièrement chère aux scholistes puisque Charles Bordes y avait fondé son groupe choral « Les Chanteurs de Saint-Gervais » –, un obus en crève la voûte, lancé depuis l’un des trois canons géants situés dans la forêt de Saint-Gobain, à environ 140 km au nord de la capitale, lors de la dernière offensive allemande. Le tragique bilan s’élève à 91 morts (dont 52 femmes) et 68 blessés. Beaucoup de professeurs, élèves et amis de la Schola étaient alors présents, tant parmi les exécutants que dans l’assistance, et de nombreuses victimes durent être déplorées : Marthe Julliand, élève des Cours de Déclamation lyrique, de Chant Grégorien et de Solfège fut tuée, ainsi que la mère de Gilberte Barral, la belle-fille du comte de Courville, l’administrateur de la Schola, la sœur de Thérèse de Lauriston, choriste. Geneviève Loiseau, élève des cours de Chant et de Piano, eut le crâne fracturé, et dut subir une trépanation.
« Le Vendredi-Saint 29 Mars – cela restera éternellement à la honte de nos ennemis – un obus venait s’abattre sur une église parisienne, qui nous est spécialement chère, et faisait de nombreuses victimes. Le sang versé en de telles conditions, et en un tel jour, retombera en malédictions sur les barbares sacrilèges qui l’ont fait couler. […]
À la cérémonie funèbre, célébrée le 4 Avril à Notre-Dame, MM. de Lioncourt et de Becdelièvre, auxquels s’étaient joints les élèves restés à Paris pendant les vacances de Pâques, étaient venus représenter l’École. Le 19 Avril, un service fut organisé par nos soins à Saint-Jacques du Haut-Pas. Divers motets et le Libera en grégorien y furent chantés, sous la direction de M. V. d’Indy, par nos chœurs, au rang desquels, la veille encore de sa mort, Mlle Julliand mettait toute son ardeur et toute sa foi pour l’exécution de la Messe en ré [44]. »
Propagation du chant grégorien et création de sociétés scholistes
Telles les ouvrières d’une ruche d’abeilles, les femmes s’affairent tous azimuts, notamment pour étendre l’influence du chant grégorien :
« Le mouvement grégorien gagne tous les jours du terrain. À relater les conférences grégoriennes que notre ancienne élève Mlle Duchamp avait organisées cet hiver au Foyer en les alternant avec des cours de pansements et de physiologie pratique à l’usage des dames de la Croix Rouge. Signalons encore le précieux concours donné par Mme Jumel à l’œuvre de rééducation des militaires aveugles de la maison de convalescence de la rue de Reuilly, où l’on pourra bientôt recruter des chantres parfaitement dressés à l’interprétation du grégorien et au chant des offices, la propagande entreprise au Cercle catholique du Luxembourg par le groupe grégorien de la Schola Cantorum (classe de Mme Jumel) qui y a donné un office modèle le jour de l’Ascension – les efforts que ce même groupe a réalisés depuis le mois de novembre 1915 à Notre Dame du Travail (Plaisance) où tous les troisièmes Dimanches du mois il vient renforcer une chorale d’ouvrières pour chanter le propre en grégorien, alternant avec la maîtrise que dirige notre ami Morand [45]. »
Poursuivant le mouvement initié avant le déclenchement du conflit, un peu partout en province se créent des écoles de musique – le plus souvent de musique religieuse – sur le modèle de la Schola ou s’inspirant de ses principes : fondation d’une école d’orgue et de musique religieuse à Caen (1916 [46]), d’« un important groupement féminin, ayant pour but l’étude et la propagande de la musique religieuse selon les instructions du “Motu proprio” [celui que le pape Pie X publie le 22 novembre 1903], et tout spécialement du chant grégorien [47] » à Roanne (1917), d’« une Schola de dames (une quarantaine de voix), qui chantent les offices des grandes fêtes » dans un « répertoire, à base de grégorien et de chant polyphonique entièrement conforme aux prescriptions du “Motu Proprio”, et exécuté avec pureté et sobriété [48] » à Auxerre (1918), ou encore de la « Schola grégorienne de Notre-Dame de la vie » à Chambéry (1918 [49]).
On apprend aussi, en juillet 1916, que « d’anciens camarades scholistes, devenus les promoteurs du mouvement artistique en Argentine, ont fondé une Société Natle de Musique [50] » à Buenos Aires et, en juin 1917, qu’un « intelligent professeur, fixé en ces lointains climats [Madagascar], voudrait y propager les méthodes d’enseignement de la Schola, sur lesquelles il nous demande toutes les précisions nécessaires. Il y a paraît-il à Tananarive, en plus de l’élément européen, beaucoup plus de ressources qu’on ne pense dans l’élément indigène – jusqu’ici peu cultivé et livré à de quelconques instituteurs primaires. Ne doutons pas que la bonne semence, envoyée par-delà les mers, ne produise, là comme ailleurs, de beaux fruits [51]. »
Musique française versus musique allemande
Contrairement à ce qu’on aurait pu penser, Les Tablettes de la Schola sont bien loin de se transformer en tribune nationaliste aux propos haineux à l’encontre de l’envahisseur et de sa musique. Tout au plus note-t-on au début de la guerre, en septembre 1915, le signalement d’une conférence de Vincent d’Indy donnée à Privas sur la musique française et allemande.
Le numéro de mars 1917 présente en revanche une « causerie » aux propos cocardiers, quasiment une exception dans les colonnes du bulletin scholiste :
« Comme conséquence de l’“interdit” dont est frappé en ce moment la musique allemande, nous sommes heureux de constater une tendance plus accentuée de la part des directeurs de théâtres et de concerts, à faire entendre de la bonne musique française. Cette musique était là, toute prête ; elle n’attendait que le moment où l’on voudrait bien la jouer, et elle méritait très souvent cet honneur infiniment mieux que nombre de produits exotiques dont on nous abreuvait avant la guerre. Mais voilà… il fallait y penser. Et les Français ont toujours eu le travers de se méconnaître, d’aller chercher bien loin des choses inférieures à ce qu’ils produisent eux-mêmes [52] ! »
Il est cependant intéressant de constater que la première esthétique à laquelle s’attaque l’article n’est pas celle des Allemands mais bien celle de l’opéra vériste italien : « Nos alliés, particulièrement les Italiens contemporains, nous fournissent un bon stock de mauvaise musique… sur laquelle on se jette volontiers, parce qu’elle flatte le goût du gros public [53]. » Est ensuite mise à l’index la mauvaise musique française ! La conclusion de cette causerie en vient enfin à la musique d’outre-Rhin, soulignant d’une certaine manière la guerre esthétique que mène en profondeur la France à l’envahisseur :
« Sur les programmes de tous nos bons concerts, nous voyons avec plaisir les œuvres de nos compositeurs remplacer avantageusement les produits de Strauss, Mahler ou autre “bochisant” de moindre envergure qu’on tentait naguère d’imposer à notre admiration. Nous apprenons ainsi à nous mieux connaître ; et c’est un encouragement dont le génie de la race ne peut que profiter. Enterrés, les morceaux qui durent une heure et quart sans souffler ! Enfoncés, les thèmes d’amour exposés par 32 trombones ! Tout cela nous paraît maintenant d’un ridicule achevé. Nous voulons de la clarté, de la logique, de l’expression vraie, du style, en un mot. Et cette volonté, nous saurons la conserver après la guerre. La Bataille de la Marne a libéré la France : il faut qu’elle ait aussi définitivement libéré la France musicale [54]. »
Un autre front semble cependant se dessiner : celui du combat de la modernité et de l’avant-garde contre la tradition, faisant dès lors oublier le positionnement de la musique française face à l’austro-allemande. Guy de Lioncourt fustige en effet, en des propos sévères et sans y avoir pourtant assisté, Parade de Satie que les Ballets russes venaient de monter au Théâtre du Châtelet le 18 mai 1917 :
« La musique, on en trouve de moins en moins dans ces sortes d’œuvres. Elle n’existe qu’à l’état de thèmes minuscules, qui ont encore peur d’être trop longs, et d’où émane le plus souvent une platitude insupportable, si on les analyse en les dégageant des bruits. Accommodez cela tant bien que mal avec une sauce de fausses notes, et vous aurez toute la recette. […] Il est temps de lutter contre ce venin qu’on tente de nous infuser, et qui, s’il se répandait, finirait par tuer notre Art national. Avant la guerre tout cela était déplorable. Maintenant, ce n’est plus permis. Nous ne devons plus rien supporter de ce qui affaiblit l’énergie. Il faut combattre de tout notre pouvoir ces illusions anémiantes ; et pour commencer travaillons en nous-mêmes ; appliquons-nous à détruire les germes qu’elles auraient pu déposer en notre esprit. Et puis écoutons sincèrement notre cœur ; laissons s’épancher notre enthousiasme ; et ne lâchons jamais la proie pour l’ombre, c’est-à-dire, L’IDÉE pour l’accessoire. C’est à ce prix, rien qu’à ce prix, que nous pourrons être modernes [55]. »
Conclusion : « qu’il n’y ait plus jamais parmi nous de neurasthénie » pour préparer « le Renouveau qui doit fleurir sur terre »
Avec beaucoup de fierté, le numéro de juin 1918 clamait haut et fort : « La Schola a “tenu” [56] », soulignant combien elle avait fait acte de bravoure et de résistance en poursuivant quasi normalement ses activités pédagogiques et musicales pendant toute la durée du conflit, participant ainsi pleinement à l’effort de guerre, le nombre croissant d’inscriptions reflétant la confiance du public dans l’institution. Les adaptations durant cette sombre période ont ainsi permis de renforcer les liens de la famille scholiste, de rehausser le niveau des exigences musicales, de faire une place toujours plus importante aux femmes et d’assoir leur légitimité dans des disciplines musicales où elles étaient minoritaires avant la guerre.
En juin 1917, encore en plein cœur de la tourmente, la pianiste Blanche Selva (1884-1942) – qui enseignait à la Schola depuis l’année scolaire 1901-1902 – avait déjà pris la plume dans les colonnes des Tablettes, telle une prophète voyant dans l’art non seulement un acte de résistance revendiqué haut et fort mais aussi l’une des principales issues de la guerre pour aller de l’avant et tenter de reconstruire de viables lendemains :
« Plus que jamais, dans la gravité de l’heure actuelle, il est nécessaire que les jeunes artistes se mettent en présence de la réalité, apprennent à comprendre leur mission, se pénètrent de la beauté, de la grandeur, de toute noblesse de leur vocation. En face du déchaînement du monde, des perplexités du lendemain, peut-on vraiment songer à se vouer à des études d’art, à établir sa vie quasi en marge des préoccupations utilitaires qui sont à l’ordre du jour ? Il ne faut pas craindre de répondre que c’est, non seulement, une possibilité, mais un devoir. Oui, nous devons non seulement continuer, mais agrandir, mais élever de plus en plus nos études, notre carrière d’art. Si la guerre se déchaîne et si le monde tremble sur sa base, au souffle destructeur de l’infernal menteur, instigateur de tout déséquilibre, parce que monstrueux Verbe de Haine, c’est bien pour que les âmes reprennent conscience de l’Ordre et de la Vérité. Or, l’Art est, précisément, expression terrestre de cet Ordre de la Vérité.
Il faut absolument que nous préparions le Renouveau qui doit fleurir sur terre, après que la Rafale d’hiver aura purifié notre siècle. Pour cela, il faut que chacun redécouvre le sens de toutes choses. Et chacun, dans sa propre voie, a le moyen de se retrouver en présence du Vrai et, par là, de s’élever lui-même de plus en plus [57]. »
C’est finalement en de lyriques envolées, s’inscrivant d’ailleurs dans le sillon des propos tenus par Selva en 1917, que s’ouvrira le numéro de novembre 1918 sur le titre de « Victoire ! », participant pleinement au cri de libération de tout un peuple en liesse, plus que jamais avide de réinventer son futur dans une énergie débordante, tout en respectant la mémoire de tous ceux qui se sont battus et ont donné leur vie pour la France :
« Et n’oublions pas ceux qui ont payé de leur sang le rachat de notre sol sacré. N’oublions jamais la dette que nous avons contractée envers eux. N’oublions pas, surtout, la grande leçon qu’ils nous proposent. Notre tâche obscure doit être la continuation de leur tâche glorieuse : ils ont empêché la France de mourir ; sachons, nous, la faire vivre. Ils ont donné magnifiquement toute leur vie en un sublime instant : notre sacrifice, à nous, est modeste et à longue échéance, mais il doit être aussi total que le leur. Toutes nos minutes devront être consacrées à la grande œuvre de régénération dont l’Art est un facteur si important.
À l’ouvrage, donc, et montrons-nous dignes des Temps immortels que nous vivons. Nous avons su “tenir” pendant les jours de deuil ; sachons rester forts dans les jours de délivrance et de gloire dont nous voyons l’aube triomphale. Prenons de fortes résolutions : qu’il n’y ait plus jamais parmi nous de neurasthénie, ce fléau destructeur, que d’aucuns s’imaginent, bien à tort, être l’apanage des âmes d’artistes ! Et que les énergies chancelantes, s’il en reste encore, remontent définitivement de la cave : la Victoire a sonné la berloque [58] ! »
Pour citer cet article
ETCHARRY Stephan, « La Schola cantorum parisienne dans la tourmente de la Grande Guerre à travers une lecture de ses "Tablettes" », Actes du colloque Les institutions musicales à Paris et à Manchester pendant la Première Guerre mondiale (5-6 mars 2018), Conservatoire de Paris (CNSMDP), Opéra-Comique, Royal Northern College of Music (RNCM), Les Éditions du Conservatoire, 2021,
https://www.conservatoiredeparis.fr/fr/la-schola-cantorum-parisienne-dans-la-tourmente-de-la-grande-guerre-travers-une-lecture-de-ses-tablettes
Notes
[1] « La Schola a “tenu” », dans Les Tablettes de la Schola, 17/4, juin 1918, p. 53.
[2] D’Indy Vincent, Lettre à René de Castéra, 28 sept. 1914, reproduite dans De Beaupuy Anne, Gay Claude, Top Damien, René de Castéra (1873-1955). Un compositeur landais au cœur de la musique française, Anglet / Paris, Atlantica / Séguier, 2004, p. 296-297. Un peu plus loin, d’Indy donne des nouvelles de son proche entourage familial : « Passons aux nouvelles particulières… J’ai 14 neveux à l’armée, outre mon fils – jusqu’à présent, pas d’accidents dans la famille ; il n’en est pas ainsi partout, les 2 cousins de La Laurencie (qu’il aimait beaucoup) sont tués […]. Pour mon fils, il fait partie d’un corps de Cavalerie indépendante du 17e régiment sous le Gal Couneau. Du 1er au 30 août, ils sont restés en Lorraine annexée, où ils ont pris Sarrebourg, Château-Salins, Dieuze et Marauge, puis, à la retraite, se sont rabattus sur Nancy. […]. La dernière lettre de Jean était datée du 23 septembre, de Remaugies entre Montdidier et Péronne. Ils ont fait partie de la poursuite et ont recueilli environ 140 canons, plus de multitude [sic] de trains d’approvisionnement. Jean est ravi et plein d’enthousiasme, il n’a reçu jusqu’ici que deux balles, une dans son casque et une dans l’épaule, “pour cette dernière, me dit-il, avec deux heures d’infirmerie, ça [a] été réglé.” Il a été nommé capitaine après la prise de Sarrebourg. Il est maintenant au 18e Chasseurs. » (ibid., p. 297).
[3] Lioncourt Guy de, « La Schola depuis 1900 », dans [D’Indy, Vincent, et al.], La Schola cantorum en 1925 par Vincent d’Indy et quelques-uns de ses collaborateurs, Paris, Librairie Bloud & Gay, 1927, p. 99.
[4] Collet Henri, L’Essor de la musique espagnole au XXe siècle, Paris, Max Eschig, 1929, p. 58.
[5] « Nouvelles de l’École », dans Les Tablettes…, 14/1, avr. 1915, p. 1.
[6] Lioncourt Guy de, « La Schola depuis 1900 », dans [Indy, Vincent d’, et al.], La Schola cantorum en 1925…, op. cit., p. 91.
[7] Toujours annoncé « bi-mensuel », le no 11 du 15 avr. 1904 (4e année) ne paraît pourtant qu’un mois après le no 10 du 15 mars : il aurait normalement dû sortir le 1er avril 1904. Les Tablettes de la Schola deviennent en revanche officiellement un « bulletin mensuel » dès le numéro suivant de juin 1904 (no 12, 4e année).
[8] Ainsi, si l’on se penche par exemple sur les trois années scolaires précédant l’entrée en guerre de la France en août 1914, on compte neuf numéros pour 1911-1912 (onzième année), du no 1 d’oct. 1911 au no 9 de juin 1912, soit un numéro régulier par mois ; pour 1912-1913 (douzième année), sept numéros : no 1 (nov. 1912) à no 8 (juin 1913), avec un numéro double nos 5-6 (mars-avr. 1913) ; pour 1913-1914 (treizième année), là encore sept numéros : no 1 (nov. 1913) à no 7 (juin 1914), avec un seul numéro cette fois-ci en avril-mai 1914 (no 6), de novembre à juin pour ces deux dernières années.
[9] « Nouvelles de l’École », dans Les Tablettes…, 14/2, août 1915, p. 9.
[10] « Nouvelles de l’École », dans Les Tablettes…, 14/1, avr. 1915, p. 1.
[11] Voir notamment Laederich Alexandra, « Nadia Boulanger et le Comité franco-américain du Conservatoire », dans La Grande Guerre des musiciens, Audoin-Rouzeau Stéphane, Buch Esteban, Chimènes Myriam, Durosoir Georgie (dir.), Lyon, Symétrie, « Perpetuum Mobile », 2009, p. 161-173 ; Segond-Genovesi Charlotte, « De l’Union sacrée au Journal des débats : une lecture de la Gazette des classes du Conservatoire (1914-1918) », dans Ibid., p. 175-190 ; et, dans les présents actes, Carpentier Clément, « La Gazette des classes du Conservatoire. Être et demeurer élève du Conservatoire en temps de guerre ». [Lien]
[12] « Nouvelles du front », dans Les Tablettes…, 14/1, avr. 1915, p. 5.
[13] Paul Pierlot : ancien secrétaire de la Schola, caporal au 45e Territorial, décéda en 1916 des suites d’une maladie contractée dans les tranchées.
[14] Jean Henry : élève de Roussel, infirmier au 134e régiment d’Infanterie.
[15] Félix de la Haulle : élève de la Schola cantorum, caporal-fourrier au 21e Génie.
[16] D’Indy Vincent, Lettre à René de Castéra, 28 sept. 1914, reproduite dans De Beaupuy Anne, Gay Claude, Top Damien, René de Castéra (1873-1955)…, op. cit., p. 296-297.
[17] Castéra René de, Lettre à sa famille, recopiée par Léonie d’Avezac pour Carlos, le 4 janv. 1915, reproduite dans Ibid., p. 308.
[18] « Nouvelles du front », dans Les Tablettes…, 14/1, avr. 1915, p. 4.
[19] « Nouvelles du front », dans Les Tablettes…, 14/2, août 1915, p. 12.
[20] « Nouvelles de l’École », dans Les Tablettes…, 15e année, [sans no], mars 1916, p. 6.
[21] « Nouvelles du front », dans Les Tablettes…, 14/2, août 1915, p. 13.
[22] « Nouvelles du front », dans Les Tablettes…, 15e année, [sans no], mars 1916, p. 10-11.
[23] Les Tablettes…, 16e année, [sans no], mars 1917.
[24] « La Schola et la Guerre », dans Les Tablettes…, 16e année, [sans no], juin 1917, p. 31-33.
[25] [Anonyme], « La Schola et la Guerre », dans [D’Indy Vincent, et al.], La Schola cantorum en 1925…, op. cit., p. 188-191.
[26] « Nouvelles de l’École », dans Les Tablettes…, 14/1, avr. 1915, p. 2.
[27] « Nouvelles de l’École », dans Les Tablettes…, 15e année, [sans no], mars 1916, p. 6.
[28] Ibid.
[29] « Nouvelles de l’École », dans Les Tablettes…, 15e année, [sans no], juil. 1916, p. 19.
[30] « Nouvelles de l’École », dans Les Tablettes…, 17/4, juin 1918, p. 58.
[31] « Prix Armand Parent », dans Les Tablettes…, 16e année, [sans no], mars 1917, p. 19.
[32] Ibid.
[33] « Nouvelles de l’École », dans Les Tablettes…, 17/3, mars 1918, p. 44.
[34] Lioncourt Guy de, « La Schola depuis 1900 », dans [D’Indy, Vincent, et al.], La Schola cantorum en 1925…, op. cit., p. 226-227.
[35] [Note de Vincent d’Indy sur La Guerre de Renty (1555)], dans Les Tablettes…, 15e année, [sans no], mars 1916, p. 1.
[36] « Nouvelles de l’École », dans Les Tablettes…, 17/1, nov. 1917, p. 1.
[37] « Nouvelles de l’École », dans Les Tablettes…, 17/3, mars 1918, p. 45.
[38] « Nouvelles du front », dans Les Tablettes…, 14/2, août 1915, p. 13.
[39] « Nouvelles du front », dans Les Tablettes…, 15e année, [sans no], mars 1916, p. 14.
[40] « La Schola et la Guerre », dans Les Tablettes…, 17/3, mars 1918, p. 46.
[41] « La Schola et la Guerre », dans Les Tablettes…, 17/2, janv. 1918, p. 23.
[42] « Nouvelles du front », dans Les Tablettes…, 15e année, [sans no], mars 1916, p. 14.
[43] « Concerts à Paris », dans Les Tablettes…, 14/2, août 1915, p. 15.
[44] « La Schola a “tenu” », dans Les Tablettes…, 17/4, juin 1918, p. 53-54.
[45] « Concerts à Paris », dans Les Tablettes…, 15e année, [sans no], juil. 1916, p. 22-23.
[46] « Concerts en Province », dans Les Tablettes…, 16e année, [sans no], janv. 1917, p. 11.
[47] « Concerts en Province et à l’Étranger », dans Les Tablettes…, 16e année, [sans no], juin 1917, p. 37.
[48] « Province », dans Les Tablettes…, 17/4, juin 1918, p. 62.
[49] Ibid.
[50] « Concerts en Province et à l’Étranger », dans Les Tablettes…, 15e année, [sans no], juil. 1916, p. 23.
[51] « Concerts en Province et à l’Étranger », dans Les Tablettes…, 16e année, [sans no], juin 1917, p. 38-39. Les connotations racistes et colonialistes de certains propos cités sont à rapporter au contexte de l’époque.
[52] « Causerie », dans Les Tablettes…, 16e année, [sans no], mars 1917, p. 22.
[53] Ibid.
[54] Ibid., p. 23.
[55] Lioncourt Guy de, « À propos de Parade », dans Les Tablettes…, 16e année, [sans no], juin 1917, p. 40.
[56] « La Schola a “tenu” », dans Les Tablettes…, 17/4, juin 1918, p. 53.
[57] Selva Blanche, « Causerie », dans Les Tablettes…, 16e année, [sans no], juin 1917, p. 25.
[58] « Nouvelles de l’École », dans Les Tablettes…, 18/1, nov. 1918, p. 1.