X 100 dessus dessous
Mis à jour le 27 novembre 2023
Après Merce Cunningham et Trisha Brown, c’est au tour de Lucinda Childs de se prêter au jeu de l’adaptation de ses pièces pour vaste effectif. À découvrir cette saison, Lucinda Childs X 100 s’inscrit dans la continuité de ces projets monumentaux tout en y ajoutant une différence de taille : la collaboration se noue cette fois avec une artiste bien vivante, rendant le défi d’autant plus excitant. Figure majeure de la postmodern dance, la chorégraphe américaine dessine, par son langage académique et son vocabulaire minimaliste, un espace commun idéal dans lequel se retrouvent une centaine de danseur·ses. L’occasion pour eux d’investir le plateau de la Grande halle de la Villette. Portrait.
Jamais deux sans trois. Il y eut d’abord la célébration du centenaire de la naissance de Merce Cunningham, le 30 novembre 2019, avec la performance Merce Cunningham X 100, qui articulait des extraits de différentes œuvres du maitre américain interprétés par une centaine de danseur・ses. Puis, deux ans plus tard, un hommage à Trisha Brown (1936 - 2017) bâti sur le même modèle. Cette saison, c’est au tour de la chorégraphe Lucinda Childs de profiter de cette opération belle et excitante comme une pièce montée spectaculaire. Ce rendez-vous, à l’affiche de la Grande halle de la Villette, clôt une triplette de haut vol – initiée par Cedric Andrieux, directeur depuis 2018 des études chorégraphiques – consacrée à trois artistes américain・es dont les œuvres se relaient, composant un pan somptueux de l’histoire de l’art. L’idée de cette forme ≪ best of ≫originale est née dans le cadre de l’histoire qui lie le Conservatoire à Cunningham. « Depuis les années 1990, avec Susan Alexander d’abord, puis Cheryl Therrien, la technique et le répertoire Cunningham sont enseignés aux étudiant·es, précise Andrieux. J’avais aussi envie de rassembler pour cet événement exceptionnel un grand nombre de danseur·ses en unissant les interprètes classiques et contemporain·es. Par ailleurs, le fait que cela puisse se dérouler sur le plateau immense de la Grande halle de la Villette, qui est proche de nos studios, signe également l’ambition de ce projet. »
Un fait majeur donne aussi tout son sens à cette combinaison magique de morceaux choisis. Cunningham découpait son œuvre en extraits sous le fameux nom de ≪ event ≫, les redistribuant de façon aléatoire lors de soirées spéciales et uniques. Cet aspect particulièrement inventif a inspiré ce projet exubérant. « C’est un nouvel event en quelque sorte qui démultiplie le matériel chorégraphique en solos, en duos, poursuivant ainsi la série de ces représentations qui furent l’une des marques de fabrique de Cunningham, ajoute Andrieux qui en fut par ailleurs l’interprete de 1998 a 2007. Quant à la musique de John Cage, elle était interprétée en direct par des étudiant·es musicien·nes du Conservatoire. Il me semblait important de profiter également du fait que le Conservatoire abrite aussi une école de musique pour faire travailler ensemble instrumentistes et danseur·ses. »
Le succès de cet évènement, qui croise pédagogie, apprentissage et confrontation avec le public, a entrainé le programme consacré à Trisha Brown, et aujourd’hui à Lucinda Childs. « Je sens que c’est le bon moment dans ma carrière pour me retrouver avec des élèves et leur donner ce que je peux afin de les soutenir et d’apprendre autant d’eux qu’ils vont apprendre de moi », commente Childs. En 2019, elle a conçu une pièce pour une centaine d’élèves de l’universite Codarts, a Rotterdam. « Ça a été une merveilleuse occasion de croiser des étudiant·es de différents pays et de trouver des chemins pour les rencontrer et les impliquer tous dans la conception de Drift Multiply », ajoute-t-elle. Cette expérience plus que positive a contribué au désir de poursuivre l’aventure de la transmission avec les jeunes danseur・ses préprofessionnel・les du Conservatoire.
Travailler en studio avec Lucinda Childs est une chance. Cette personnalité tête chercheuse traverse avec audace différents pans de la création spectaculaire. Depuis ses expérimentations dans les années 1960 au sein de l’avant-gardiste Judson Dance Theater, a New York, où elle croise Trisha Brown, jusqu’à ses mises en scène d’opéra à partir des années 1990, Childs irradie par la solidité aventureuse de sa trajectoire. Elle a pris des cours dans les années soixante avec Merce Cunningham à l’université pour les arts Sarah-Lawrence, près de New York. « Sa technique était pour moi un incroyable défi », racontait-elle dans un texte écrit en 1982 pour les cahiers Renaud-Barrault. Elle croise le compositeur John Cage dont les fondamentaux – notamment l’élaboration du geste en silence – seront au cœur de ses premières performances.
A partir de 1976 et sa participation au spectacle emblématique de Bob Wilson Einstein on the Beach, sur une partition de Philip Glass, elle renoue avec la musique. Elle continue à dialoguer avec Wilson au fil de spectacles iconiques comme I was sitting on my patio this guy appeared I thought I was hallucinating (1978) ou La Maladie de la mort (1997) d’après Marguerite Duras avec Michel Piccoli. Sa chorégraphie Dance (1979), toujours au répertoire de nombreuses compagnies, profite du talent du plasticien Sol LeWitt. Quant à la philosophe Susan Sontag, qui a écrit sur son travail, elle en a aussi interprété l’un des textes dans un solo intitulé Description (of a description) (2000).
Lucinda Childs n’en est pas à sa première collaboration avec l’institution parisienne. En 1998, elle a imaginé Sunrise of the Planetary Dream Collector, sur une musique de Terry Riley. Cette pièce sera d’ailleurs spécialement remontée dans le cadre de Lucinda Childs X 100. « À l’époque, nombreux·ses étaient les danseur·ses qui se sont battu·es avec les exigences physiques et la concentration intense qu’exigent ce spectacle, se souvient-elle. Mais le résultat a été impressionnant et je suis ravie que cela fasse partie de la soirée. » Parallèlement, Childs a choisi Concerto (1993) « parce que c’est une œuvre qui a été présentée à l’international depuis 1998 ». En introduction, elle a articulé différentes créations de ses débuts se déroulant en silence « pour souligner la configuration conceptuelle de mon mouvement, qui est un objectif prédominant chez moi. »
Ce menu élaboré en complicité avec son assistante Ty Boomershine, qui a dansé dans sa compagnie et remonte nombre de ses pièces, entend faire miroiter les contrastes entre « la recherche minimaliste en silence et les spectacles sur de la musique tout en mélangeant les classiques et les contemporains ». Les différentes partitions seront jouées en direct par le Quatuor Bellefeuille pour Terry Riley, par une claveciniste et l’orchestre à cordes du Conservatoire pour le Concerto pour clavecin et orchestre à cordes de Gorecki. Et comme un cadeau, Lucinda Childs va aussi confier aux jeunes interprètes son solo Particular Reel (1973) qui va revivre cinquante ans après sa création et représentera ≪ le terrain commun ≫ de l’artiste et des étudiant・es à qui elle demande d’être « sincères et vrais avec le travail en trouvant leur façon de se l’approprier. »
Rosita Boisseau
Photo © Ferrante Ferranti
Lucinda Childs x 1001er décembre 2023 – 19h / 2 décembre 2023 – 17h et 20h30. |