PORTRAIT DE L’ARTISTE EN CHERCHEUR
Mis à jour le 01 décembre 2022
Accordéoniste professionnel achevant un doctorat au Conservatoire en partenariat avec La Sorbonne, Jean-Étienne Sotty évoque la manière dont ses travaux sur la musique microtonale nourrissent sa carrière artistique. Son cas témoigne des nouvelles affinités électives qui se nouent aujourd’hui entre recherche et création.
Discuter avec Jean-Étienne Sotty, c’est faire voler en éclats les clichés et les idées reçues sur l’accordéon. Ce musicien de 34 ans ne s’est jamais laissé abattre par les remarques ou les inquiétudes sur le choix de son instrument : « Ce n’était pas conventionnel. Ma grand-mère aurait aimé que je fasse du violon, mais j’avais déjà un esprit de contradiction, donc j’ai tenu bon », se rappelle avec humour celui qui a grandi en Bourgogne aux côtés de parents professeurs de mathématiques.
La musique fait partie de l’éducation, le classique surtout, même si des vinyles de musiques du monde ou de Jean-Michel Jarre trônent aussi dans le salon. Une manière d’ouvrir l’esprit du jeune garçon de 7 ans qui, lorsqu’il voit le professeur d’accordéon se produire à l’école de musique pour son solo lors d’un concert, est d’abord saisi par la posture scénique : « Ça m’a fasciné, cette façon d’avoir un rôle exclusif, à part, se remémore-t-il. D’un coup tout le monde l’écoutait, l’attention était portée sur lui et sur cet instrument qui ressemblait à un gros jouet et avait la richesse d’un orchestre tout entier. Quelque chose de très émouvant se dégageait de cette situation. »
Le choix de Jean-Étienne est fait, malgré la réputation de bal musette et de variété qui entoure l’instrument à vent. Ni timide ni totalement extraverti, le petit garçon prend rapidement du plaisir à jouer face à un public. L’une des principales leçons de son premier professeur, Jean-Michel Léger, qu’il s’attache encore à mettre en pratique aujourd’hui : « J’ai gardé l’idée de ne jamais être lassé, et de ne pas me laisser emporter par l’angoisse ou le stress, mais d’être dans le plaisir, de profiter du moment, confie-t-il. C’est important pour soi et pour procurer de l’émotion au public. C’est une sorte de rituel, un moment suspendu et privilégié. »
L’idée d’en faire un métier mûrit petit à petit. Le jeune Jean-Étienne Sotty quitte le foyer familial à l’âge de 16 ans pour intégrer le Conservatoire de Dijon et le lycée en internat. Malgré l’incertitude, ses parents lui laissent suivre sa voie tout en l’invitant à réfléchir. Prudent, il suit en parallèle du conservatoire une première année de mathématiques à la fac, qu’il valide, mais le virus de la musique est plus fort, et la transition se fait de plus en plus évidente : « Ça s’est fait en douceur, j’étais sûr de mes choix. »
S’ensuit un parcours académique riche avec un DEM et une licence de musicologie à Dijon avant de poursuivre avec un master pendant deux ans à Berne, auprès de Teodoro Anzellotti, qui incarne à ses yeux un véritable modèle. Anzellotti est à l’origine de Sequenza XIII de Berio ou de l’album Chanson discrète, qui demeure aujourd’hui encore une source d’inspiration pour l’accordéoniste. Une rencontre déterminante : « Il m’a encouragé à créer de nouvelles pièces, à aller voir des compositeurs pour imaginer des répertoires de musique contemporaine. Je pratique toujours l’accordéon classique, avec une esthétique baroque, mais ce qui me fait avancer aujourd’hui c’est la création contemporaine. »
Au fil du temps, Jean-Étienne Sotty voit l’image de l’accordéon évoluer. Bien qu’il ne soit pas enseigné dans tous les conservatoires, sa réputation n’est plus à faire : « Aujourd’hui l’accordéon est très bien perçu, beaucoup de musiciens ont fait ce travail de pionnier pour prouver qu’il s’agit d’un instrument valable, qui a sa place sur une scène classique. C’est le plus jeune des instruments acoustiques, il a moins d’un siècle. Notre répertoire date du XXe siècle, voire d’après-guerre. »
De retour à Paris, l’artiste intègre le CNSMDP en 2014 et, après deux années de DAI (Diplôme d’Artiste Interprète), se lance dans un doctorat et dans la rédaction d’une thèse qui interroge sur la relation de proximité entre accordéon et électronique : « L’accordéon a déjà un timbre électronique, note-t-il. Je suis parti de cette idée pour aller plus loin et voir si le son électronique peut devenir un modèle d’interprétation. Pour le violoncelle par exemple, on a le modèle vocal en tête. J’essaie de faire la même chose avec le modèle électronique pour l’accordéon. »
Pour ce faire, Jean-Étienne Sotty a imaginé un accordéon microtonal avec l’ajout d’une note entre chaque note pour obtenir des quarts de tons, ce qui permet de resserrer les harmonies et d’obtenir un son plus électronique. De musicien à créateur d’instruments, il n’y a qu’un pas : « Le métier d’interprète est pluriel, c’est la dernière personne par qui la musique passe, explique-t-il. On travaille en amont avec le compositeur mais aussi avec son luthier, on connaît l’architecture de son instrument. J’ai imaginé une conception de l’instrument, mais je défends l’aspect collaboratif de la création. »
Et l’artiste chercheur ne compte pas s’arrêter là, puisqu’il a travaillé en parallèle sur la réalisation d’un accordéon hybride qui a vu le jour il y a un an : « J’ai eu la chance d’avoir une résidence à l’Ircam pour le travailler. Je suis parti d’un instrument existant pour lequel on a modifié ou fabriqué des pièces. Au final, c’est un instrument augmenté. Il y a 4 haut-parleurs cachés à l’intérieur et sur l’accordéon, ce qui perturbe la perception. Les sons électroniques et acoustiques sortent du même endroit. »
Une documentation qu’il mène dans le cadre d’un duo nommé XAMP, qu’il forme avec sa compagne Fanny Vincens, elle aussi accordéoniste et ancienne étudiante du CNSMDP. Passionnés par leur travail, ils mêlent avec un plaisir non dissimulé vie professionnelle et vie privée : « Nous sommes même parents d’un petit garçon de 4 ans, preuve que l’on peut être acteur de la création artistique et mère ou père de famille ! », ajoute Jean-Étienne Sotty.
Si l’on imagine un quotidien plus que chargé, l’accordéoniste et chercheur voit une continuité, ou plutôt une résonance entre ses différentes activités. Ses rencontres artistiques enrichissent sa recherche quand le travail sur sa thèse lui permet des expérimentations musicales enthousiasmantes : « Mon métier d’artiste doit correspondre à mes recherches et ça marche bien, confirme-t-il. Plus de 80 œuvres ont déjà été écrites spécifiquement pour l’accordéon microtonal ! En créant un potentiel sonore, nous avons créé du travail et des concerts. Je n’avais pas anticipé que ça fonctionne aussi vite et aussi bien. »
Des avancées innovantes initiées aux CNSM, et qui prennent vie désormais en dehors : « Le CNSMDP a été un tremplin énorme : nous avons présenté d’abord ces créations d’instruments dans les classes de composition, et les étudiants ont commencé par créer dans le cadre de leurs études avant de continuer pour certains à le faire de manière professionnelle. »
Ce travail de recherche a aussi une conséquence vertueuse sur la carrière de Jean-Étienne Sotty, qui voit des opportunités nouvelles s’ouvrir à lui : « Quand on sort du Conservatoire de Paris et qu’on a proposé une telle création, on est plus vite repéré. À partir de septembre, je serai aussi professeur d’accordéon au Conservatoire du XIIe arrondissement de Paris. J’ai pu être recruté sur ce poste grâce à mon travail de recherche. Ça intéresse les conservatoires d’avoir des professeurs qui ne sont pas figés dans la tradition, et de voir que l’on peut au contraire aller vers une évolution permanente. »
En attendant, l’étudiant doit présenter sa thèse au CNSMDP en fin d’année, lors d’un récital d’une heure, avant de la soutenir à l’oral courant décembre. Un cycle qui se termine, mais une aventure qui ne fait que démarrer pour l’artiste : « Il y a un vrai sentiment de fierté à l’idée de participer à la création de la musique. Nous ne sommes pas de simples exécutants, c’est à nous de construire notre projet. »
Tiphaine Lévy-Frébault
Photo © Daniel Campbell