Pédagogie en mouvement
Mis à jour le 17 septembre 2024
En l’espace de quelques mois, les directions des études musicales et des études chorégraphiques ont toutes deux accueilli de nouvelles personnalités à leur tête. La rentrée 2023 a en effet été marquée par l’arrivée de Muriel Maffre, dont le parcours est jalonné d’expériences internationales – au San Francisco Ballet et à la tête du Alonzo King LINES Ballet notamment. En janvier 2024, Jean-Claire Vançon, qui a dirigé le CFMI de l’Université Paris-Saclay puis le Pôle Sup’93 et occupé le poste d’Inspecteur de la Musique de la Ville de Paris, est arrivé à la direction des études musicales. Aux côtés d’Émilie Delorme, elle et il sont les nouveaux visages de la pédagogie au Conservatoire. Tous trois partagent leurs aspirations, les questions qui les animent, et éclairent la manière dont se tisse la réflexion sur le rôle d’une institution riche de 235 ans d’histoire, qui cultive autant l’art musical que celui du geste… et de la métamorphose. Entretien.
Qu’est-ce qui vous amène ici ? En d’autres termes, pourquoi avoir choisi d’exercer votre fonction au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris ?
Émilie Delorme
S’il est un endroit de transformation du monde et du secteur en particulier, c’est bien le CNSMDP. En formant celles et ceux qui le composent, le Conservatoire dessine le secteur culturel de l’avenir. De ce point de vue, la pédagogie joue un rôle essentiel, et cela, à double titre : non seulement nous formons les étudiant·es, mais aussi les pédagogues et les directeur·rices d’établissements de demain.
Muriel Maffre
Nous sommes ici dans la maison de la musique, y entrer, c’est prendre part à une communauté en ébullition. Cette expérience est unique, les moyens dont bénéficient les étudiant·es, le nombre d’heures en studio, la multiplicité des modes d’enseignement, des contenus et des projets de programmation… Le Conservatoire a indéniablement un leadership à assumer par rapport aux transformations du secteur, et de la citoyenneté en général. Et le mariage n’est pas forcément évident, lorsque l’on se sent plus rebelle qu’institutionnelle, mais quel meilleur moyen de faire vivre le modèle que de le nourrir d’un autre regard ?
Jean-Claire Vançon
La pédagogie, c’est ce que j’ai toujours fait : mon premier travail, c’était professeur ! Je pense comme Émilie qu’il n’y a pas de plus haute responsabilité que celle d’enseigner. C’est là que l’avenir s’invente, et je trouve cela extraordinaire. On peut choisir de râler et passer en revue tout ce qu’il faudrait faire pour changer les choses, ou l’on peut tenter d’agir. Le Conservatoire fait figure de tête de pont, avec ses 235 ans d’histoire, et donc 235 ans d’avance. Être étudiant·e au CNSMDP, c’est l’assurance de rencontrer des professeur·es de premier plan, qui vont vous faire grandir artistiquement. Tant de choses sont possibles ici, en termes de moyens matériels, financiers, humains. S’il est un lieu pour faire évoluer les choses, c’est bien ici.
Vous évoquez la « responsabilité » du CNSMDP. Quel est pour vous son rôle ?
Muriel Maffre
Le Conservatoire offre cette capacité rare de regarder en même temps dans toutes les directions, du point de vue artistique notamment. Les étudiant·es peuvent explorer plusieurs esthétiques, plusieurs façons d’être interprète. C’est là une clé pour acquérir, en danse, ce qui me semble le plus important : une qualité de conscience, face à un certain nombre d’enjeux, artistiques et non-artistiques. Comment donner vie à l’institution pour être en lien avec le monde extérieur, avec les influences d’aujourd’hui et les enjeux politiques ? Mon rôle, ce n’est pas la fermeture des cinquièmes et le placement des pieds, c’est de permettre aux danseurs et danseuses d’être à l’écoute du monde, de développer une conscience fine, et de cultiver leurs imaginaires.
Jean-Claire Vançon
Le saxophoniste de jazz Charles Lloyd craignait que les femmes et les hommes « bombardés d’informations, la plupart inutiles […], aillent de la naissance à la mort sans jamais prendre conscience qu’ils étaient là ». Et s’il en parlait, c’est bien sûr parce qu’il pensait que les musicien·nes avaient leur rôle à jouer : à leur mesure, elles et ils devaient permettre, à celles et ceux auxquel·les elles et ils s’adressaient, de construire cette conscience. C’est à cet endroit, d’une ambition folle, que je situerais la responsabilité du CNSMDP : former des musicien·nes à l’exercice professionnel d’un art susceptible d’assumer ce rôle.
Émilie Delorme
J’ai à cœur trois priorités : premièrement, que les étudiant·es disposent de moyens techniques et artistiques pour être libres de porter leur propos, deuxièmement, qu’ils et elles soient des artistes heureux·ses dans leur vie professionnelle, sachant pourquoi ils et elles font ce métier et quel est le sens de leurs projets artistiques dans la société. Et enfin, je veux former des artistes capables de se questionner tout au long de leur vie pour être en mesure d’adapter leur carrière à leur propre désir et à l’évolution de la société.
Les étudiant·es du CNSMDP sont-ils et elles tou·tes des artistes ?
Émilie Delorme
Que ce soit les musicologues ou les ingénieur·es du son, tous et toutes ont une épreuve instrumentale à l’entrée. En ce sens, tous et toutes sont sélectionné·es dans cette maison aussi parce qu’ils et elles sont artistes. Cela pose deux questions : d’une part, celle de leur sentiment de légitimité en tant qu’artistes, étant donné que le niveau requis diffère selon que l’on souhaite être interprète ou non, et d’autre part, celle des moyens que le CNSMDP leur donne pour continuer leur pratique artistique – ce que l’on souhaite développer. Cette identité de l’artiste constitue la singularité de nos musicologues par rapport à d’autres formé·es à l’université, par exemple, ou de nos ingénieur·es du son par rapport à celles et ceux formé·es à l’INA ou à la FEMIS. Pour autant, elle n’est pas nécessairement revendiquée et ce n’est pas notre objectif non plus. Notre enjeu, c’est de former des professionnel·les qui partagent tous et toutes cette pratique musicale et qui soient capables de dialoguer les uns avec les autres, grâce à cette sensibilité commune.
Jean-Claire Vançon
C’est là en effet un marqueur important. Et quoi qu’il arrive, tous et toutes vont travailler avec des artistes, dans le spectacle vivant.
Muriel Maffre
De la même manière, les notateur·rices du mouvement ne sont pas toutes et tous danseurs ou danseuses, mais ils et elles ont une épreuve de danse à l’entrée.
Vous formez à tous les trois les têtes pensantes de la pédagogie au CNSMDP. Quelles vues partagez-vous en la matière ? Quelles aspirations vous relient ?
Jean-Claire Vançon
Si nous partageons tous les trois cette réflexion, il ne faut pas oublier que le collectif formé par le Conservatoire est beaucoup plus vaste. C’est une communauté d’enseignant·es, d’étudiant·es, d’agent·es qui travaille ensemble. D’accord, pas d’accord, d’accord sur ce sur quoi on n’est pas d’accord : nous sommes tous et toutes embarqué·es dans une même aventure collective, au service de l’épanouissement des étudiantes et des étudiants. Réussir à aligner les aptitudes de l’étudiante ou de l’étudiant, ses envies et la réalité de sa vie, c’est ça qui nous est commun, et qui me fait me lever le matin.
Émilie Delorme
Nous sommes aussi toutes et tous lié·es par des principes de bienveillance, d’équité, d’exigence. Cela ne va pas sans poser de questions en matière de pédagogie. Muriel a initié une réflexion collective sur le vocabulaire utilisé en studio par exemple. Pour moi, c’est un sujet clé, on le voit dès lors que l’on travaille sur les risques de violences dans nos établissements par exemple.
Muriel Maffre
Cela soulève la question du regard porté par l’enseignant·e sur l’étudiant·e : l’élève est-il ou elle perçu·e comme un·e jeune qui a du talent, des atouts à cultiver, à valoriser plutôt que des défauts à parfaire ? C’est un long travail de mise en valeur de ces points de force, pour aboutir à l’autonomie de l’étudiant·e, qui constitue notre plus grande aspiration à toutes et tous.
Quels sont les enjeux actuels de la relation entre enseignant·e et étudiant·e ? Que transmet-on de l’un·e à l’autre ?
Émilie Delorme
Le Conservatoire s’est construit sur une relation de maître à élève dans laquelle un ou une artiste inspirait de futurs artistes, en utilisant notamment le principe d’imitation. Ce rôle de modèle est fondamental, mais les compétences pédagogiques qui permettent de faire progresser tous les élèves, quel que soit leur niveau, le sont tout autant.
Jean-Claire Vançon
Le mot transmission me semble toujours maladroit, en ce qu’il implique que l’on donne quelque chose dont on se dessaisit. Dans la pédagogie, le mouvement n’opère pas dans ce sens-là : il y a un·e enseignant·e qui enseigne, et un·e apprenant·e qui apprend. Dans le meilleur des cas, auquel on aspire tou·tes, les deux processus se rejoignent… mais les deux processus ne vont pas forcément de pair ! En français, on dit que l’on apprend quelque chose « à » quelqu’un, mais c’est un biais de langage. L’enseignant·e, dans cette logique, agit comme un·e facilitateur·rice, il ou elle trouve la voie qui va permettre à l’élève d’apprendre, mais cela vient de l’étudiant·e et de lui ou d’elle seul·e.
Quelle part revient aux étudiant·es dans cet apprentissage ?
Muriel Maffre
Fondamentalement, on se réalise à travers son travail, et c’est là la responsabilité de l’étudiant·e. C’est à lui ou à elle qu’il appartient de cultiver une clarté d’esprit, un imaginaire, une lecture personnelle. Autour, tout le monde est au travail, et en premier lieu les enseignant·es, mais c’est à lui ou à elle que revient cette qualité d’intention, comment être présent·e dans son corps… Il y a certes des acquis techniques, une écriture à suivre, une respiration à travailler, des attaques ou des retenues, des moments de suspension, mais la magie qui opère, cet indicible, cela vient d’elles et d’eux.
Émilie Delorme
Cette capacité de porter un discours artistique n’est pas forcément innée, elle peut s’expliquer par des trajectoires de vie. Tout le monde ne vit pas avec la nécessité impérieuse de délivrer un message. À mon sens, le Conservatoire donne la première impulsion aux étudiant·es et leur offre un cadre qui abonde de professeur·es, d’endroits de rencontres, d’opportunités d’apprendre, de rebondir, d’explorer. Il leur revient de s’en emparer pour se déployer, et façonner leur propre trajectoire au sein de ce foisonnement. L’une des forces du Conservatoire de Paris, c’est que quasiment tou·tes les agent·es sont des pédagogues aussi. À la médiathèque, au parc instrumental, à la communication, au service audiovisuel, à la régie des salles, tout est pensé pour que les étudiant·es comprennent les enjeux professionnels dans le détail. Tout est pédagogie. Au Conservatoire, il n’y a pas 400 pédagogues, mais 600.
On pourrait s’imaginer que l’enseignement de la musique ou de la danse relève avant tout de la technique. Quelle est la place de la pensée dans la formation ?
Muriel Maffre
Technique et pensée doivent fonctionner ensemble, parce que l’un s’appuie sur l’autre.
Jean-Claire Vançon
Très longtemps, j’étais convaincu que l’intention primait, y compris dans la chronologie du travail personnel quotidien, et que la technique venait ensuite pour se mettre à son service. Mais une phrase de Muriel, dans le compte-rendu du Séminaire « Pratiques » du CNSMDP en 2022, m’a ébranlé : « Il s’agit d’éveiller cet intérêt pour les moyens plutôt que pour un résultat qui n’est pas le même pour tout le monde. » Elle a raison. Cette concentration sur les moyens, l’artisanat, c’est une des clés : mettre l’application dans le fait de faire ses gammes. Sans cela, on peut avoir la meilleure intention du monde, rien n’y fait. C’est la technique qui rend des choses possibles et donc, pensables.
Émilie Delorme
La pensée agit à plusieurs niveaux. Tout d’abord, il y a la conscience du geste, de ce qui fonctionne ou non, du pourquoi d’une douleur par exemple, conscience qui implique par exemple une compréhension anatomique. La pensée rend aussi capable de repousser les frontières, qu’elles soient techniques ou théoriques. Être en mesure d’appréhender un style, un contexte culturel, une époque et ses créateur·rices permet d’explorer de nouveaux champs. Et à un troisième niveau, comprendre le monde dans lequel on vit et comment on y prend place en tant qu’artiste. Et cela, d’un point de vue philosophique, mais aussi très pragmatique. Des questions comme « comment je fais ma déclaration d’impôt ? » relèvent aussi des réalités de notre monde.
Parlant de réalités, la pédagogie doit-elle s’adapter aux étudiant·es, ou l’inverse ?
Émilie Delorme
Le travail que nous menons actuellement sur le handicap nous a permis de nous poser la question de façon très concrète. À partir du moment où quelqu’un est admis en concours d’entrée, je considère que nous devons tout faire pour l’accompagner jusqu’au diplôme. Cela passe par des espaces de pédagogie différenciée. Avec 1 400 étudiant·es, un cadre s’impose, mais nous avons la possibilité de nous adapter à certains profils, voire d’adapter le cadre lui-même, de sorte à permettre à chacun·e de trouver le juste parcours.
Jean-Claire Vançon
« S’adapter » est peut-être un verbe trop générique : un∙e étudiant∙e acceptera, accueillera d’autant plus volontiers une pédagogie qu’il ou elle saura, sentira qu’elle est attentive à ses besoins, à ses envies et à ses capacités. Il n’y a, au fond, pas d’autre objectif que de construire l’autonomie de l’étudiant∙e. Cette question en soulève tant d’autres : la place du modèle dans la pédagogie, la construction d’une personnalité artistique, la connaissance des ressources, des enjeux, des perspectives. Un bon exemple à cet égard pourrait être celui de l’effort que fait un·e professeur·e de composition pour se mettre à l’écoute de l’univers développé par l’étudiant·e, dans son imaginaire, dans son artisanat, dans sa manière d’envisager la création, sans plaquer ses propres conceptions. Contribuer à l’éclosion d’une personnalité qui ne lui ressemblera pas. C’est l’essence de la pédagogie artistique.
Muriel Maffre
La pédagogie est un accompagnement qui se doit d’être sensible et humain, et qui se doit aussi de mettre les étudiant·es en capacité d’apprendre. À partir de là, tout s’organise autour des enjeux que l’on considère collectivement comme prioritaires ou non dans une forme artistique donnée…
Et qu’est-ce qu’être un·e bon·ne interprète à vos yeux ?
Muriel Maffre
Dans la danse, être un·e bon·ne interprète, c’est d’abord avoir une maîtrise du corps dans le mouvement, et aussi agir comme médiateur ou médiatrice entre des connaissances et un public. Saisir le poids des choses, des idées, des intentions. Relier le soi au plus petit et au plus grand que soi pour rendre certaines idées plus visibles, plus lisibles, plus claires par le corps en mouvement. C’est pouvoir accéder à un savoir, le nourrir pour lui donner un sens pour soi-même et pour les autres. Quand je suis arrivée en France, ce terme de médiation m’a interpellée – tout le monde en parlait et j’avais du mal à comprendre de quoi il s’agissait. Parce que pour moi, de toute façon, l’interprète est un·e médiateur·rice, un·e intermédiaire entre les connaissances et le public. Le faire sur scène ou ailleurs, après tout, la visée est la même.
Jean-Claire Vançon
Pour moi, le bon ou la bonne interprète est celui ou celle qui prend conscience de sa responsabilité. Sa position est tout sauf banale. Entre un·e auteur·rice, un public et une œuvre aux deux visages – d’une part une partition, et d’autre part une manifestation sonore – et parfois même, sans partition lorsqu’elle est improvisée, comment je conçois ma responsabilité d’interprète ? Où est-ce que je me situe ? Comme professionnel·le de l’analyse musicale, la relation que l’interprète entend nouer avec l’œuvre, son identité, ses cohérences, me semble particulièrement centrale. Or il ne s’agit pas seulement d’en manifester les forces structurelles, mais aussi en complément d’elles, d’en investir les « trous », les relâchements, les faiblesses parfois. C’est ce que dit Adorno : « L’espace de liberté de l’interprète tient toujours au caractère fragile de la cohérence de l’œuvre […]. L’interprétation est sauvetage de l’œuvre ». L’interprète-sauveteur·se est co-auteur ou co-autrice de l’œuvre, car celle-ci reste toujours à fabriquer : la performance déroule cette musique qui est un art du temps, il faut amener l’histoire d’un point A à un point B. C’est là que réside la responsabilité de l’interprète, garantir ce fil, choisir les caps, tenir la barre. La trajectoire s’invente à la table des cartes autant qu’au milieu des tempêtes. C’est fabuleux.
Vous avez mentionné la manière dont les équipes du Conservatoire travaillent ensemble. Quelle est la place du collectif dans la pédagogie ?
Émilie Delorme
Nous déployons des moyens considérables pour les examens de fin de cursus, que ce soit en danse ou en musique, afin de donner aux étudiant·es la possibilité de s’emparer de ce moment en toute liberté. C’est un bonheur renouvelé chaque année de les voir travailler tou·tes ensemble. Dans les récitals de fin d’année, il est fascinant d’observer toutes les disciplines défiler tous les jours dans les trois salles dédiées : les étudiant·es s’invitent entre eux, s’entraident. En deux mois, chaque étudiant·e peut participer à dix prix de ses camarades, même si lui-même n’en est pas à son prix cette année-là. On assiste à des propositions qui croisent les disciplines, d’une manière que l’on n’aurait même pas imaginée. Certain·es s’improvisent comédien·nes pour les besoins d’une performance. En dehors des examens, je pense aussi aux cartes blanches en danse, ou aux portes ouvertes en métiers du son et de l’image, où collectivement, une promotion propose un projet. Quand le Bureau des étudiant·es a fait West Side Story, c’était porté en collectif. C’est pour nous une grande source de joie, et nous aimerions mieux le valoriser dans l’évaluation. Jouer le collectif à notre niveau de direction, c’est aussi sortir d’une logique strictement concurrentielle et se dire que nous n’avons peut-être pas toutes les réponses. Il y a sans doute des manières de préserver l’identité forte et singulière du Conservatoire de Paris tout en s’inspirant d’expériences fructueuses menées dans d’autres pays. Avec 235 ans d’histoire, nos méthodes sont éprouvées, et reconnues mondialement. Peut-être y a-t-il ailleurs des idées qui nous permettraient d’accompagner d’autres profils, de faire éclore d’autres talents ou de le faire un peu différemment.
Comment accompagnez-vous les étudiant·es dans la vie professionnelle ?
Jean-Claire Vançon
En réalité, nombre de nos étudiant·es sont déjà dans le monde du travail, et parfois au meilleur niveau. Le challenge pour nous est alors de tisser harmonieusement formation et activité professionnelle, pour permettre à nos étudiant·es de devenir de meilleur·es professionnel·les encore. Cela pose des questions sur la place faite à la vie professionnelle dans les maquettes. La logique idéale est moins celle d’une préparation que celle d’une conciliation, d’une articulation ou d’un étayage.
Émilie Delorme
Et pourtant, même si les étudiant·es sont inséré·es, on ne peut pas ignorer le puissant phénomène de précarisation de la profession. D’autres aspects de la vie professionnelle interpellent, comme la durabilité et la désidérabilité de la carrière. Il s’agit d’aider les étudiant·es à imaginer la vie professionnelle dont ils et elles ont envie, de leur donner les moyens pour la réaliser, et leur permettre de changer d’avis plus tard. En matière de durée, un autre sujet mérite d’être interrogé aujourd’hui : repenser l’apprentissage à l’échelle d’une vie, et peut-être passer d’un modèle où tout doit être assimilé en cinq ans pour le reste de sa vie, à un apprentissage plus adapté à l’évolution d’une carrière sur le long cours. Cela demanderait une transformation des établissements en profondeur.
Muriel Maffre
Il ne faut pas oublier que nous parlons ici de la prochaine génération, qui ira quelque part où nous n’avons nous-mêmes jamais été. Elles et ils sont les seul·es à savoir. Et voilà pourquoi il nous incombe de leur donner confiance, leur apprendre à avoir une lecture juste de la réalité, une qualité de conscience, une capacité à se remettre en question, qu’ils et elles emporteront avec eux pour vivre leur propre expérience, défricher à leur tour.
Propos recueillis par Nathalie Moine