Manifeste pour un avenir désirable
Mis à jour le 01 septembre 2025
Le 31 mai dernier, le PSG remportait la victoire en finale de la Ligue des Champions. Pourquoi cet événement sportif nous intéresse-t-il au point que nous le mentionnons ici, alors qu’il semble éloigné des réflexions sur la création, l’héritage et la transmission qui nous animent au Conservatoire ? Parce que cette victoire est le résultat d’un virage stratégique opéré par le club depuis trois saisons : alors que le football globalisé est devenu un marché comme un autre où le transfert de stars se monnaye à prix d’or, le club a fait le choix d’aligner un onze de quelque vingt-cinq ans de moyenne d’âge, le plus jeune jamais vu pour une finale de Ligue des Champions au XXIe siècle. En misant sur cette équipe pleine de promesses, le staff a fait le pari de la cohérence et de la cohésion, du plaisir d’être ensemble et de jouer ensemble, du collectif contre l’individualisme.
Notre Conservatoire est une aventure collective, un roman dont les chapitres portent les noms des classes qui ont marqué son histoire. L’architecture même de son bâtiment actuel exprime ce nécessaire besoin de faire groupe : son cahier des charges stipulait la construction de plusieurs plateaux de pratique collective ainsi que de trois salles ouvertes au public pour permettre la mise en conditions professionnelles des étudiant·es. Il est essentiel que le projet politique mis en œuvre dans ces murs implique étudiant·es, enseignant·es et agent·es en s’appuyant sur l’écoute et la concertation.
Nous vivons dans un système qui tend à mettre en compétition les individus à chaque instant de leur existence. Si l’art ne fait hélas pas exception à cette tendance, il est aussi capable d’y résister : la puissance d’un orchestre symphonique ou d’un quatuor à cordes, d’un ballet ou d’une compagnie de danse contemporaine réside précisément dans la capacité de ses interprètes à produire du commun. Il y a dans ce geste, dans cette respiration commune quelque chose qui tient de l’alchimie mystérieuse, un je-ne-sais-quoi d’inouï et de miraculeux qui fait que le rassemblement est toujours plus grand que la somme des parties. Cette puissance collective s’appuie sur des individualités. Elle s’accomplit pleinement dans la reconnaissance et la considération de chacune et de chacun.
L’un des changements de paradigme les plus spectaculaires de ces dernières années est assurément la transformation des rapports de pouvoir au sein du domaine artistique : la remise en cause de l’autorité abusive de certain·es chef·fes d’orchestre, metteur·ses en scène, chorégraphes… Nous vivons aujourd’hui le dépassement de cet autoritarisme au profit d’une redistribution plus horizontale du pouvoir. Ces changements ne se font pas sans heurts et certain·es les observent avec crainte. Nous les regardons pour notre part avec l’espoir qu’ils aboutissent à des rapports plus justes et des relations plus saines, qui permettent à chacune et chacun d’exprimer son talent dans les meilleures conditions.
Souvent, en lisant un programme de salle ou une critique journalistique, je suis frappée de voir comment on met en lumière un individu au détriment des autres : comme si, pour s’imposer, le mythe du génie créateur avait besoin d’effacer toutes celles et ceux qui ont rendu possible le spectacle. Nul n’incarne mieux cette contradiction que les accompagnateur·rices, qui ont récemment été au centre de luttes et de négociations pour la revalorisation de leur statut. Il y a un certain aveuglement à maintenir l’idée que la création serait l’œuvre d’un seul homme qui viserait à faire exister ce qui n’existait pas avant. Chaque jour qui passe nous convainc davantage que, dans un monde en souffrance, créer, c’est aussi réparer, prendre soin, et que ce verbe se conjugue au pluriel.
Dans les pages qui suivent, nous avons voulu donner corps à cette pensée collective en élaborant un Manifeste pour un avenir désirable avec des professeur·es qui se sont prêté·es au jeu d’imaginer à quoi pourrait ressembler le monde de la culture en 2040. Du reste, en feuilletant notre brochure de saison, vous pourrez constater qu’elle présente un aspect plus documentaire qu’à l’accoutumée : des enquêtes ou des témoignages signés par des journalistes ou par les professeur·es et les étudiant·es eux-mêmes nous emmènent en Serbie, à la découverte de la Faculté de musique de Belgrade, ou à Los Angeles, où deux de nos étudiant·es étaient en résidence lorsque les incendies géants se sont déclarés en janvier.
Dans cette démarche documentaire, nous entrevoyons l’urgence à dire le monde, tout comme nous entrevoyons, dans le travail engagé de nos étudiant·es et professeur·es, le désir profond de se laisser traverser par ses enjeux politiques, sociaux, sociétaux, écologiques, technologiques… Face aux crises actuelles, la philosophe Isabelle Stengers nous invite à nous laisser contaminer. Il faut, dit-elle, accepter de se laisser toucher par la sensibilité du monde vivant, par sa douleur et ses souffrances, afin de nourrir une pratique politique qui ne se limite pas à une rationalité détachée mais inclut l’émotion et l’expérience sensible. L’art est le laboratoire de cette expérience, il est le lieu où s’élabore notre refus de l’indifférence.
Émilie Delorme, directrice
Merci à nos tutelles, à notre Conseil d’administration, à nos partenaires, mécènes et donateur·rices, qui rendent ces projets possibles.
Un grand merci également aux équipes pédagogiques, administratives et techniques, à nos étudiant·es, à nos publics, et à toutes celles et ceux qui, par leur travail, leur confiance et leur présence, nourrissent chaque jour l’exigence et la générosité qui font la force de notre Conservatoire.
Nous sommes impatients de vous accueillir et de partager avec vous une saison riche en découvertes et en émotions artistiques.
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Photo © Anna Cabrera & Ángel Albarrán, The Mouth of Krishna #924, 2019, Courtesy Ibasho Gallery, Antwerp