La fin et le commencement
Mis à jour le 24 avril 2025
Au Conservatoire, la fin de la saison voit les étudiant·es clôturant leur cursus par un examen final réaliser une performance scénique face à un jury et un public. Un festival unique au monde mêlant musique et danse, qui réunit sur deux mois près de 400 artistes et autant de spectacles d’une qualité exceptionnelle. La journaliste Tiphaine Lévy-Frébault a tenté de saisir l’ambiance de cette période chargée en émotions, durant laquelle le cœur de la Maison bat à 100 à l’heure.
Au mois de mai, c’est un drôle de ballet qui s’opère au sein du Conservatoire. Des silhouettes noires et blanches arpentent les couloirs, les yeux rivés au sol ou au contraire tournés vers le ciel. Elles font les cent pas, marmonnant quelques mots inaudibles ou respirant lourdement.
La période des épreuves de fin d’année a démarré, et pour celles et ceux qui sont en master, c’est une page qui se tourne. Celle de leurs cinq années d’études qui s’achèvent avec un ultime rite de passage, avant qu’elles et ils embrassent pleinement leurs carrières de professionnel·les, déjà entamée depuis quelques années pour la plupart.
Étonnamment, au-delà du stress évident de se produire face à un jury – dont l’identité est révélée au dernier moment, c’est l’excitation qui prime. Pour Roman, deux semaines avant le concert qui marque son prix de direction d’orchestre, c’est l’atteinte d’un objectif qui approche : « Quand je suis entré au CNSMDP, c’était un rêve d’avoir mon propre concert avec mes répétitions, en choisissant mon programme. En voyant chaque année mes collègues passer cette épreuve, j’ai eu le temps de m’habituer à l’idée, c’est moins impressionnant. Je suis content, c’est une façon de constater nos progrès ! »
Pour Alizé, qui passe l’épreuve le même jour, c’est aussi « une sorte d’aboutissement ! Une belle façon de clôturer ces années. Cela permet aussi d’être vu par un public et des personnes du métier. D’habitude, le professeur est toujours là, ce moment est la seule fois où l’on est seul avec l’orchestre. »
Leur professeur, Alain Altinoglu, a observé leur engouement : « Elles et ils sont très excité·es, c’est la cerise sur le gâteau ! Je leur laisse les rênes, ils volent enfin de leurs propres ailes. Et c’est le début de leur ouverture sur le monde ! Il y a du stress le jour J, forcément, ils ont le trac. Il y a beaucoup de monde dans la salle, ils se produisent devant leur famille et leurs ami·es. »
Une préparation technique et psychologique
Pour les musicien·nes aussi, la prestation est ouverte au public. Proches et curieux peuvent ainsi assister à ce moment charnière de leur vie. Clara, clarinettiste, s’est sentie entourée mais avoue : « J’ai essayé de ne pas y penser ! Mon premier morceau était très dur, j’étais surtout concentrée sur la technique. »
En amont de son épreuve de fin d’études en cor ancien, Théo s’est quant à lui préparé psychologiquement autant que techniquement : « J’ai visualisé ce moment dans mon lit le soir, j’ai imaginé toutes les sensations, je me voyais dans la loge, j’entendais mes pas… En réalité, ça passe très vite. »
L’expérience s’est avérée particulièrement joyeuse : « C’était comme un vrai concert, j’ai invité mes copains ! Treize personnes en tout m’ont rejoint sur la scène pour ce prix, pendant les 50 minutes de récital. J’alternais avec un autre étudiant qui, lui, passait sa 3e année. »
L’occasion pour le jury de noter la capacité des étudiant·es à jouer ensemble, de jauger leur qualité d’écoute et leur lien avec l’autre au-delà de leurs compétences musicales.
Chaque étudiant·e a la possibilité de choisir son programme. Une manière de dévoiler ses goûts et sa personnalité, comme l’explique Clara : « Je voulais des pièces écrites uniquement par des compositrices. Depuis début septembre j’ai donc fait beaucoup de recherches, j’ai trouvé des pièces que je ne connaissais pas, notamment celle de Libby Larsen, avec des percussions. C’est génial, ça groove, ça me plaisait beaucoup ! »
Dans le cadre du prix de direction d’orchestre, une partie du programme est imposée mais Alizé et Roman ont aussi eu le loisir de choisir une œuvre. Si la première a souhaité prendre la Suite de L’Oiseau de feu de Stravinski, « une pièce que j’adore écouter, très visuelle, avec un final grandiose », le second a fait le choix de Cendrillon de Prokofiev, en écho à sa nationalité russe.
Au-delà des partitions à connaître sur le bout des doigts – un challenge en soi –, l’étudiant s’est préparé à donner des intentions et des directions aux musicien·nes : « Qu’est-ce que l’œuvre raconte ? Quelles sont les émotions que l’on veut faire passer ? questionne Roman. J’ai commencé à réfléchir à cela il y a plusieurs mois : le contenu émotionnel et spirituel de l’œuvre. »
Une épreuve dans les conditions réelles
Là encore, le jury note, entre autres, la capacité des étudiant·es à emmener les musicien·nes. Une qualité essentielle aux yeux de Roman : « Les meilleur·es chef·fes voient les musicien·nes comme des collègues, voire des ami·es. Le travail doit se faire dans une atmosphère calme, de respect. »
Pour Alizé aussi, c’est l’essence même de ce métier : « Ce qui me plaît, c’est ce contact avec les musicien·nes. Il y a un aspect psychologique plus important qu’on ne le croit. Il faut savoir capter l’énergie des gens en face de nous. »
« Chaque année, le jury a une sensibilité différente : il y a des chef·fes, des solistes, des membres d’orchestre… Certain·es sont plus attentif·ves à la gestique, d’autres au son, à l’expression ou au leadership… » explique Alain Altinoglu.
La concentration est à son comble avant ce rituel aussi symbolique qu’intense. Une fois passé·es, certain·es tombent dans les bras de leurs proches, puis envoient des ondes positives à leurs camarades qui s’apprêtent à passer à leur tour.
Dans la salle sont assis les jurés, mais aussi une petite foule d’amateur·rices de musique venu·es assister à ce concert particulier. À leur entrée, les étudiant·es sont applaudi·es, tout est fait pour les mettre en condition, les encourager et les immerger dans ce qui sera leur quotidien demain.
Le passage du prix ressemble davantage à l’apothéose des années d’études qu’à un véritable examen. Le plaisir semble supplanter le trac chez la plupart de ces étudiant·es déjà habitué·es à la scène.
Adrénaline et émotions
Après l’examen et la montée d’adrénaline, c’est le soulagement qui prévaut et une autre forme de rituel qui prend place. Celui d’un apéritif improvisé dans le patio avec boissons, fromages et morceaux de pain, à la bonne franquette.
À l’issue de sa prestation, Clara a besoin de quelques instants pour « redescendre ». L’étudiante est soulagée, fière malgré quelques imprévus : « La plupart du temps j’ai pris du plaisir, je me sentais bien. Il y a juste eu quelques décalages ou des petits problèmes d’anches. Après on va pouvoir boire un coup tous ensemble… Ou même plusieurs ! »
Du côté de Théo aussi, l’heure est à la légèreté et au bilan : « Je suis content du résultat. J’ai pu souffler un peu entre chaque partie et rigoler, j’en ai besoin. C’est un soulagement, j’ai réalisé que c’était vraiment fini. J’ai eu une mention très bien, j’en suis fier mais c’est surtout faire de la musique avec des gens que j’aime qui me satisfait le plus ! »
À la Cité de la musique, le soir du récital d’Alizé et Roman, l’émotion est à son comble. Le jeune homme prend plusieurs secondes avant d’élever sa baguette et de se lancer dans une gestuelle élégante et ultra expressive. Puis c’est au tour d’Alizé et son regard assuré. Elle a déjà dirigé quelques orchestres, mais l’expérience ici est teintée d’un enjeu tout autre. La main sur le cœur au moment de saluer en fin de soirée, la jeune cheffe d’orchestre échange un regard complice et ému avec son camarade de promotion.
« J’avais quelques inquiétudes avant, confie Roman. Parviendrais-je à aider les musiciens de manière à ce qu’ils se sentent confiants ? Est-ce qu’une heure de générale serait suffisante ? Finalement, nous avons réussi à braver toutes ces épreuves ensemble. Je suis particulièrement fier de l’orchestre, je leur en suis éternellement reconnaissant. »
Pour Alizé aussi, « la soirée était magique, c’était beaucoup d’émotions de finir là-dessus… Le jury m’a donné la mention très bien à l’unanimité ! »
Trouver sa place dans l’après
Dès le lendemain, c’est une plongée dans le grand bain du monde professionnel qui les attend. Une fois l’étiquette d’étudiant·e détachée, ils et elles peuvent se consacrer pleinement à la suite. Alain Altinoglu est confiant, même si la concurrence est rude, le monde de la direction d’orchestre, et de la musique en général, a changé : « Au Conservatoire, on est encore dans un cocon et quand on en sort, il faut affronter la vraie vie professionnelle. J’aime l’ambiance de cette classe. Longtemps, les chef·fes ont été solitaires, aujourd’hui il y a une vraie complicité ! Les carrières seront variées, mais elles et ils seront prêt·es à traverser les vagues de ce métier. »
Roman a notamment appris de son professeur sa finesse d’écoute : « Il entend tellement de choses, ce qui est essentiel pour faire ressortir les détails. Je retiendrai aussi sa grande culture, il a toujours insisté pour qu’on lise beaucoup sur les compositeurs. »
Pour la suite, plusieurs options s’offrent à lui, des concours pour diriger un orchestre en France ou à l’étranger, ou pour être chef assistant. Alizé, elle, a un objectif en tête : « Trouver ma place, avec des gens qui ont un esprit commun de partage. »
Certain·es ont des projets plus dessinés que d’autres, ainsi Théo qui souhaite transmettre ce qu’il a appris ailleurs : « Je vais me produire avec différents programmes en Europe, mais mon projet serait d’ouvrir un centre d’accueil et une résidence d’artistes en Aveyron. Je veux faire vivre les campagnes avec de la très belle musique ! »
Clara, elle, n’a pas encore pleinement conscience du changement qui s’opère : « Je ne réalise pas encore que c’est la fin du Conservatoire ! L’attachement aux gens est grand, on a des liens avec ceux qu’on voit aujourd’hui tous les jours. Ça fera bizarre de ne plus les croiser ici quotidiennement, dans ce contexte. »
Hier étudiant·es, aujourd’hui professionnel·les, s’écartant du giron du Conservatoire qui les a accompagné·es tout au long de cette trajectoire. Leur vrai voyage commence maintenant.
Tiphaine Lévy-Frébault
Récitals de fin d’annéeDu 5 mai au 5 juillet 2025, Conservatoire de Paris |