Jouer / diriger
Mis à jour le 15 décembre 2022
Le pianiste François-Frédéric Guy vient diriger pour la première fois l’Orchestre du Conservatoire. Spécialiste des répertoires mozartien et beethovénien, il accompagne les étudiant·es dans une expérience inédite : l’art du « joué / dirigé ». Un moment fort pour l’Orchestre et l’occasion de découvrir une nouvelle manière de faire de la musique.
Pourquoi avez-vous choisi de diriger l’Orchestre du Conservatoire ?
FRANÇOIS-FREDERIC GUY
J’ai moi-même été étudiant au Conservatoire. J’étais présent lorsque l’institution a déménagé de la rue de Madrid à l’avenue Jean-Jaurès. D’étudiant, je suis passé à la position d’enseignant. La place de professeur-assistant que j’ai occupée pendant 10 ans est passionnante mais de pouvoir revenir en tant que soliste et chef est une merveilleuse opportunité : elle permet de travailler d’une autre manière avec les étudiant·es que lorsqu’on on enseigne. Pour moi, jouer ou diriger un concert c’est transmettre mon amour de la musique, mon amour d’un répertoire qui m’est cher. Je souhaite qu’ils découvrent ce que c’est que d’être dirigé du piano, ce dont la plupart d’entre eux n’a pas l’habitude. J’ai beaucoup « joué / dirigé » ces cinq dernières années, notamment en tant qu’artiste associé de l’Orchestre de chambre de Paris. Nous avons réalisé plus d’une dizaine de concerts et j’ai même interprété les concertos de Brahms en « joué / dirigé », ce qui n’avait quasiment jamais été fait auparavant. Je suis heureux de permettre aux jeunes du Conservatoire d’ajouter cette expérience à leur cursus.
En quoi la technique du « joué /dirigé » est une expérience originale pour les étudiant·es du Conservatoire ?
Jouer d’un instrument et diriger sont deux gestes à priori antinomiques. Lorsque nous jouons du piano, les mains vont vers le bas, quand on dirige, les mains vont vers le haut. C’est très difficile de passer de l’un à l’autre. Pour moi, l’art du « joué / dirigé » permet de combiner les deux pratiques, comme une troisième voie, entre le soliste et le chef d’orchestre. Le piano ne se trouve pas « à côté » de l’orchestre, comme nous pouvons l’observer dans un concert classique, mais bien « à l’intérieur » de l’orchestre, il entre en quelque sorte dans la grande famille de l’orchestre et ne rivalise plus avec lui mais s’intègre pleinement, physiquement et musicalement à ce dernier. De cette position va découler une osmose particulière. Cela permet une nouvelle qualité d’écoute à laquelle les musicien·nes seront sensibles, je l’espère.
Quels sont les autres avantages du « joué / dirigé » ?
C’est en fait un retour aux sources de la direction, comme à l’époque de Mozart et Beethoven. Mozart a toujours dirigé du clavier, Beethoven aussi excepté pour son dernier concerto du fait de sa surdité. Je souhaite ainsi que les musicien·nes de l’Orchestre du Conservatoire aient une idée plus concrète de la manière dont la musique pouvait se jouer à l’époque de ces compositeurs. Cela permet également de se rendre compte que cette musique est l’extension « grandeur nature » de la musique de chambre. Donner un concert en « joué / dirigé », c’est pour les musicien·nes se trouver à la croisée des chemins : entre le concerto, la symphonie et la musique de chambre. Pour aller plus loin, le travail que nous effectuons en « joué / dirigé » est un peu différent : je demande aux musicien·nes une plus grande autonomie. Ils ne pourront pas toujours se reposer sur moi et devront davantage solliciter leur mémoire du geste et leur écoute collective. Il est également important de pouvoir compter sur le violon solo pour qu’il puisse parfois prendre le relais lorsque le soliste est trop occupé à son clavier ! Pour moi, il s’agit d’un travail valorisant. J’aimerais leur apprendre de nouveaux réflexes pour qu’ils se sentent plus libres et retrouvent leurs réflexes de musicien·nes chambristes. Je vais les pousser à se regarder, à s’écouter. L’expérience sera enrichissante, autant pour eux que pour moi.
Les deux compositeurs dont on vous considère le spécialiste, Mozart et Beethoven, sont au programme. Pouvez-vous nous expliquer, en détail, vos choix musicaux pour ce concert ?
Le concert commence par la seule œuvre symphonique du programme : l’ouverture de Don Giovanni. Petit bijou de virtuosité et de drame, elle fait écho au concerto qui suit, les deux œuvres étant dans la même tonalité de ré mineur et partageant un même climat tendu et dramatique. Elle annonce parfaitement le Concerto n° 20 de Mozart qui est un petit opéra à lui seul ! Les trois mouvements sont extrêmement dramatiques. Comme Mozart n’a pas publié de cadences pour ce concerto, j’utiliserai celles écrites par Beethoven et qui, de ce fait, feront une transition idéale vers la seconde partie du programme. En effet le 4e Concerto de Beethoven avec lequel nous conclurons le concert est aussi bien virtuose que théâtral. J’ai choisi ce programme afin de transmettre aux étudiant·es une sensibilité poétique et dramatique indispensable pour l’interprétation de ces deux géants de la musique. Ils et elles ont un savoir-faire déjà si poussé qu’il est important d’aller plus loin que les difficultés techniques. Il s’agit également d’un programme original pour des musicien·nes d’orchestre qui sont habitué·es à jouer un concerto et une symphonie et non deux concertos à la suite.
Quel conseil donneriez-vous à un·e jeune instrumentiste du Conservatoire ?
Je ne peux qu’encourager l’ouverture d’esprit et l’appétit à se cultiver. Je conseillerais à tou·tes les musicien·nes de choisir une voie, non pas par convention ou normativité, mais par rapport à leur propre parcours et envies personnelles. Une carrière comme musicien·ne dans un orchestre est une carrière formidable et il ne faut jamais que ce soit un second choix. Pour celles et ceux qui souhaitent se lancer dans une carrière de soliste, je leur dirais de ne pas hésiter et de s’y lancer corps et âme. Enfin, se cultiver reste le conseil que je donnerais aux étudiant·es : qu’ils et elles ne se reposent jamais sur leurs acquis mais cherchent toujours à mieux connaître la musique et les arts en général.
Propos recueillis par Solène Souriau
Jouer d’un instrument et diriger sont
deux gestes à priori antinomiques.
Lorsque nous jouons du piano, les mains vont vers le bas, quand on dirige, les mains vont vers le haut. C’est très difficile de passer de l’un à l’autre. Pour moi, l’art du « joué / dirigé » permet de combiner les deux pratiques, comme une troisième voie, entre le soliste et le chef d’orchestre.
Photo © Lyodoh Kaneko 2022