Il n'y avait pas de porte...
Mis à jour le 23 septembre 2025
il n’y avait pas de porte
pas de mur
j’étais face à une forêt
j’ai traversé les arbres
heureusement
ce n’étaient pas des arbres
il y a un son
à l’entrée du conservatoire
il y a un son
qui tient en équilibre
sur mon oreille
depuis trois jours
il y a des gens capables d’entendre de la musique simplement en regardant un bâtiment
quand je me regarde dans le miroir des toilettes c’est un ancien élève qui s’affiche
personne ne sait exactement où se termine le conservatoire
on ne sait jamais si on peut s’asseoir sur une chaise parce que c’est peut-être de la musique
il faut tricher pour voir un bâtiment
normalement le bâtiment devrait être fictif
comme on ne peut pas étudier la musique dans un bâtiment fictif
comme on ne peut pas étudier la musique dans un bâtiment imaginaire il faut construire quelque chose
en vérité tant qu’il y a de la musique le plafond ne peut pas s’écrouler et ça c’est une bonne nouvelle
quand un appart s’écroule sur un locataire
il y a des gens qui pensent tout de suite à un problème de construction
moi
je pense à un problème de confiance
quand on a vraiment confiance en soi le plafond ne tombe pas
le jour de l’inauguration de mon jardin
j’ai montré un arbre et j’ai dit : c’est moi qui ai construit ce bâtiment
un jour mon voisin est venu me parler
et il m’a demandé ce que je faisais dans la vie je lui ai dit
j’écris
il m’a dit j’aime lire
je lis des livres d’histoires
je lui ai dit ah super moi aussi ça me passionne l’histoire
il m’a dit on va bien s’entendre
je lui ai répondu ah oui ça c’est sûr
c’est comme ça qu’on est devenus amis
depuis
on ne s’est plus jamais parlé
je suis le meilleur architecte du monde
et pourtant absolument tous les bâtiments que j’ai conçus
se sont écroulés
comme quoi
ça peut donner espoir
ça fait 5 fois que j’essaie d’entrer dans le conservatoire
ça fait 5 fois que je me prends le même mur
je le vois arriver
je marche lentement
j’essaie de me décaler
mais je n’y arrive pas
j’ai tout essayé
j’ai changé de chaussures
j’ai acheté neuf paires de chaussures
elles m’ont toutes mené vers le mur
conclusion
c’est donc à mon avis que je dois me le prendre
il ne me reste plus qu’à assumer
j’ai une brique dans mon sac au cas où les gens me demandent de commencer une piscine
je suis toujours prêt
chaque geste est résolu depuis tellement longtemps
à l’intérieur d’une salle
j’entends un pianiste
en train de cligner des yeux
je monte
sur la pointe des pieds pour regarder jusqu’au fond du couloir
est-ce que toutes les briques du conservatoire construisent bien le conservatoire
exclusivement
est-ce qu’elles sont entièrement tournées vers cet objectif
est-ce qu’elles ne construisent jamais rien d’autre
est-ce qu’elles construisent un tout petit peu autre chose aussi
est-ce qu’elles construisent un truc que je n’avais pas vu arriver
habiter
c’est rebondir
habiter
c’est se cogner
contre les murs
s’il n’y avait pas de mur
on sortirait
tout le temps
on serait
tout le temps
à côté
on installe des murs
pour savoir qu’il faut rester
on reste devant un gobelet en papier
et à travers les fenêtres
on observe ce qui se passe à l’intérieur de notre ventre
Originaire de Lens, Simon Allonneau écrit et performe des poèmes drôles et doucement cruels. Il a publié Un jour on a jamais rien vu, collection Polder, La vie est trop vraie au Pédalo ivre, Les Fils avec Laura Vazquez aux éditions Bêta et Je suis fort dans un domaine qui n'existe pas aux éditions Cheyne. Il a donné de nombreuses lectures et performances, notamment à la Maison de la Poésie et au Centre Pompidou.