Grève des accompagnateur·rices : comprendre la situation et les décisions du Conservatoire
Mis à jour le 03 mars 2025
Depuis plusieurs semaines, une partie des accompagnateur·rices et enseignant·es du CNSMD de Paris s'est mobilisée pour revendiquer une meilleure reconnaissance de leur métier et une amélioration de leurs conditions de rémunération. Cette grève a eu un impact direct sur l’organisation des concours, conduisant le Conservatoire de Paris à adapter certaines épreuves. Dans cet entretien, Emilie Delorme, directrice du Conservatoire, revient sur les raisons de cette mobilisation, les décisions prises et les perspectives pour l’avenir.
Pouvez-vous revenir sur les raisons qui ont conduit à cette mobilisation des accompagnateur·rices et enseignant·es ?
Les grilles de salaire du corps enseignant dataient de 2003 et le ministère de la Culture aurait dû produire un arrêté en 2009 qui n’est jamais paru. Le ministère a annoncé à l’automne dernier le versement d’une mesure salariale exceptionnelle pour les accompagnateurˑrices et les assistantˑes dans l’attente d’une négociation autour d’un nouveau cadre de gestion enseignant comprenant une grille salariale et un arrêté sur les missions et modes de recrutement. La négociation salariale a débuté en janvier sous la responsabilité du ministère. La négociation menée avec les syndicats élus au comité social d’administration (CSA) ministériel a abouti à un accord comprenant deux grilles salariales, une pour les professeurˑes et professeurˑes associéˑes, une autre pour les assistantˑes et accompagnateurˑrices. Chaque grille comporte une rémunération minimale et maximale, un rythme d’avancement automatique et des conditions de prise en compte de l’ancienneté lors du reclassement des agent.es concerné.es. Les accompagnateurˑrices, soutenu.es par une partie des professeur.es et assistant.es, contestent deux éléments : l’insuffisante reprise de leur ancienneté lors du reclassement et la grille salariale se terminant à un niveau de rémunération jugé insuffisant. Le SAMUP, syndicat disposant d’un siège à notre CSA, a déposé un préavis de grève à compter du 12 février pour accompagner cette mobilisation. La mobilisation avait pour objectif de s’assurer que le résultat serait en cohérence avec le haut niveau d’expertise requis pour ces métiers.
Quel a été l’impact de cette grève sur le fonctionnement du Conservatoire et plus particulièrement sur les concours ?
La première semaine certains cours ont été annulés en raison de la grève d’enseignantˑes, la semaine suivante étant une semaine de congé.
Par ailleurs, des épreuves de concours de danse et dans les disciplines vocales et instrumentales ont été également impactées par la grève de certainˑes accompagnateurˑrices.
Comment s’est prise la décision de maintenir certaines épreuves sans accompagnement instrumental ?
Nous avons fait à deux reprises une concertation des éluˑes des disciplines instrumentales au conseil pédagogique. Nous avons également organisé un échange avec les présidentˑes de jury après les premières épreuves pour pouvoir faire un bilan et aborder la suite. Les décisions ont ensuite été prises discipline par discipline pour chaque tour. La direction des études chorégraphiques a également adapté une partie des épreuves pour qu’elles puissent se dérouler sans accompagnement. La situation d’évaluation proposée aux candidatˑes au concours d’entrée est très insatisfaisante : elle est la preuve que les accompagnateurˑrices sont indispensables. Mais je considère qu’il était impossible de priver les candidatˑes qui se préparent depuis des années de la chance de présenter le concours qu’elles et ils souhaitent.
Quels étaient les principaux critères pour garantir l’égalité de traitement entre les candidat·es ?
Chaque présidentˑe de jury s’est assuréˑe que les candidatˑes d’une même discipline étaient dans les mêmes conditions, c’est-à-dire avec ou sans répétition au piano et avec ou sans accompagnement à chaque tour.
Le report du deuxième tour du concours de chant a-t-il été une décision difficile à prendre ?
J’ai fait le choix difficile de permettre que le premier tour du concours de chant (1er cycle) se déroule dans des conditions d’égalité de traitement pour les candidatˑes, les deux premiers jours s’étant déroulés avec accompagnement : j’ai sollicité pour cela les accompagnateurˑrices non-grévistes. Il me semblait inenvisageable de poursuivre le concours ainsi et nous avons donc fait le choix de reporter les tours suivants des concours de chant (1er et 2e cycle) à une date ultérieure, afin de ne pas entrer en conflit avec le mouvement social en cours.
Quels échanges avez-vous eus avec les accompagnateur·rices grévistes ou leurs représentantˑes ?
J’ai échangé avec le SAMUP, syndicat à l’origine du préavis de grève en cours, ainsi qu’avec de nombreux enseignant·es et accompagnateur·rices mobilisé·es. Ces discussions nous ont permis d’échanger sur leurs revendications et sur les décisions prises concernant les concours d’entrée. Depuis le 12 février, mon objectif est de concilier à la fois le respect du mouvement social et celui des candidat·es, qui se présentent à nos concours et viennent parfois de très loin.
Quel rôle joue le CNSMDP dans les négociations avec le ministère de la Culture ?
Lorsque l’initiative d’une pétition enseignante a donné une visibilité à la juste colère des accompagnateur·rices et que le ministère a annoncé le versement d’une mesure salariale exceptionnelle dans l’attente d’une négociation autour d’un nouveau cadre de gestion enseignant, mes services ont immédiatement pris l’attache des équipes compétentes pour travailler à cette refonte. Le ministère pilote la négociation avec les représentant.es du personnel des syndicats éluˑes au conseil social d’administration ministériel. Ce sont les efforts conjugués des représentantˑes CFDT et CGT et des équipes du Conservatoire qui ont conduit à ce que les grilles salariales des enseignantˑes ouvrent le cycle de négociation concernant l’ensemble des personnels contractuels du ministère. Chaque étape de cette négociation, chaque avancée significative aura été possible grâce au travail étroit entre les services du ministère et les nôtres tous ces mois durant.
Des avancées ont-elles déjà été obtenues pour répondre aux revendications des accompagnateur·rices ?
Voici les avancées obtenues :
- Reconnaissance d’un niveau d’emploi de cadre A pour les professeurˑes, les assistantˑes et les accompagnateurˑrices en cohérence avec le niveau d’expertise et de diplômes que requiert ces métiers ;
- Déroulé de carrière sur 29 ans pour les accompagnateurˑrices et assistantˑes, 32 ans pour les professeurˑes contre 7 ans pour les accompagnateurˑrices, 13 ans pour les assistantˑes et professeurˑes à ce jour ;
- Propositions de grilles avec un rythme d’avancement adapté à l’âge moyen des enseignantˑes recrutéˑes ;
- Prise en compte de l’ancienneté acquise pour reclasser chaque enseignant.e dans les nouvelles grilles, selon l’application de la clause la plus favorable ;
- Mesure exceptionnelle s’agissant des enseignantˑes classéˑes à l’indice sommital de nos grilles actuelles depuis plusieurs années.
Quelles sont les prochaines étapes du calendrier et les actions prévues pour la mise en œuvre de cet accord ?
Début mars, les organisations syndicales donneront leur position sur le protocole d’accord. Si un accord est trouvé, la signature par la ministre de la Culture et la publication officielle devraient avoir lieu d’ici la fin du mois de mars. Ensuite, le 6 mai, le texte sera présenté au comité social d'administration (CSA) du Conservatoire, et le 12 juin, il sera soumis pour adoption définitive à notre conseil d’administration (CA). À partir de là, le travail de reclassement pourra commencer.
Dès la signature, une réunion plénière pour les enseignantˑes sera organisée pour expliquer les détails et répondre aux questions de chacunˑe.
Comment le CNSMD de Paris et le CNSMD de Lyon collaborent-ils sur ces évolutions ?
Avec le CNSMD de Lyon, nous devons finaliser l’arrêté ministériel qui précise les missions et les conditions de recrutement. Un groupe de travail, incluant des élu·es du CSA et du Conseil pédagogique, sera rapidement mis en place pour avancer sur ce point.
Enfin, nous souhaitons travailler sur une charte de l’accompagnement à Paris, sur le modèle de celle qui existe déjà à Lyon, afin de garantir des conditions de travail optimales pour les accompagnateur·rices.
En conclusion, après ces semaines de tensions et de mobilisation, quelles sont, selon vous, les leçons à tirer de cette crise ?
Cette crise a mis en lumière la nécessité d’une reconnaissance plus forte des métiers de l’accompagnement, ainsi que l’importance de maintenir un dialogue social constant et transparent. Nous avons intensifié le dialogue avec toutes les parties prenantes, et devons continuer à questionner nos pratiques pour mieux répondre aux besoins de la communauté tout en respectant le cadre législatif. Cette expérience, bien que difficile, est un levier pour des améliorations durables et un meilleur accompagnement pour toutes et tous.
Je retiens de ces dernières semaines de négociation que nous souhaitons toutes et tous obtenir une reconnaissance plus forte des métiers des enseignants et accompagnateurs et que cette reconnaissance passe aussi par la rémunération versée. Nous l’avons défendu collectivement, chacun à notre manière et selon l’endroit où l’on se trouve. Les divergences de points de vue se sont exprimées ces derniers jours, des décisions difficiles ont dû être prises sans jamais rompre le dialogue. Les avancées obtenues sont concrètes et significatives. J'entends bien la déception de certainˑes, mais je garde en tête le chemin parcouru. Aujourd’hui, nous pouvons collectivement nous réjouir d’avoir abouti à un accord substantiel.