À corps parfaits, Claude Delangle enseigne le saxophone au Conservatoire de Paris et préside l’association sportive et culturelle du Conservatoire (ASCCV)
Mis à jour le 06 juillet 2020 – #Demain
#Demain | Réflexion collective sur ce que sera l’après-coronavirus au Conservatoire
Une carrière musicale féconde et heureuse passe-t-elle par une pratique sportive intelligente et guidée ?
Autrefois quasiment absent des radars pédagogiques, le corps de l’instrumentiste, son premier instrument, est aujourd’hui plus harmonieusement pris en compte. Peu d’instrumentistes tirent cependant réellement parti des cours de Pilates, Yoga, Taï Chi, méthode Alexander, Feldenkreis, ou stretching postural dans leur pratique quotidienne. Ces disciplines initient, chacune à sa manière, à une véritable « sagesse » du corps.
Le renforcement musculaire, une nécessité pour le musicien.
La posture corporelle dans le geste instrumental est aujourd’hui un point essentiel de la transmission musicale. Les professeurs de chant et d’instruments ont aujourd’hui trouvé un équilibre entre le « tiens-toi droit » et la transformation du cours en séance de yoga. Prendre conscience de la posture qui facilite ma respiration, la tenue de ma flûte ou de mon violon et évite les tensions ou la fatigue est une excellente première étape, mais très insuffisante quant à son acquisition à long terme. Consacrer une heure ou deux par semaine au renforcement en douceur des muscles profonds et superficiels avec un coach de qualité comme ceux engagés par le Conservatoire, (1) est dans la durée, un énorme gain de temps et d’énergie pour le musicien de haut niveau ainsi que pour la plupart de nos contemporains rivés à leur ordinateur et accomplissant des gestes répétitifs.
Le jogging ou la pratique de la natation contribuent évidemment à une oxygénation bienfaisante, et un à nécessaire travail « cardio » ; mais ces sports de base ne donnent pas accès aux ressources profondes de l’énergie. Lorsque les premiers symptômes de mal de dos ou de tendinite apparaissent, on ne sait plus vers quel ostéopathe ou kiné des musiciens se tourner pour parvenir à l’échéance responsable du stress.
Lorsque tout va bien, on considère volontiers que la pratique sportive et l’hygiène de vie en général, sont réservés à ceux qui ne sont pas doués ou aux originaux. L’image du héros romantique surdoué fait encore des dégâts. Pourquoi perdre du temps avec ce corps qui fonctionne parfaitement… pour l’instant ? Kinésithérapeutes et ostéopathes, regrettent d’accueillir les musiciens en situation d’urgence : tendinite, problème cervical, dos bloqué, voire dystonie de fonction.
Une préférence toute personnelle pour la technique Pilates
L’offre des techniques est vaste, plus ou moins « fitness », plus ou moins sportifs, plus ou moins somatiques -relaxation, méditation ou sophrologie-. Le choix d’une technique est du même ordre que celui d’un instrument et procède de l’intuition profonde et souvent d’une rencontre.
Comme nous le disions précédemment, avant d’être une thérapie, lorsque tout va bien, une pratique sportive douce s’envisage sous l’angle du « mieux vivre », de l’optimisation des ressources naturelles et du plaisir ! Je pratique personnellement depuis longtemps la technique Pilates. Du nom de Joseph Pilates, inventeur des mouvements destinés à entretenir, rééduquer et développer le corps, la "Contrology", une approche globale du corps comprenant des exercices basés sur la respiration, la concentration, la relaxation, le contrôle de soi, l'alignement, le centrage et la fluidité. J’en apprécie la précision et en mesure chaque jour les bienfaits au plan de l’énergie musicale et de la concentration. Les cours de Gym/Pilates –le lundi midi et de réveil corporel et ergonomique dispensés le vendredi midi par Magali Marchal dans le cadre de l’ASCCV au gymnase du Conservatoire sont parfaitement adaptés aux besoins du jeune musicien. Ses élèves lui ont attribué le surnom de ‘luthier des chanteurs et des instrumentistes’ ! « La prise de conscience et la compréhension du fonctionnement des schémas corporels favorisent la faculté d'adaptation à la pratique des activités corporelles et artistiques », insiste-t-elle. Par ailleurs, le Pilates surprend les jeunes musiciens par la douceur des exercices qui améliorent la respiration et diminuent la fatigue, voire les douleurs liées au port de l’instrument. Le corps fonctionne comme une unité, les mouvements répétitifs et la posture sont étroitement liés ; après l’analyse posturale, l’observation du jeu du musicien permet de déceler les anomalies et de conseiller les mouvements bénéfiques. Produire un son, jouer avec émotion, valoriser sa technique passent par un geste harmonieux pour garder le corps et la tête libres. Le Pilates permet un travail physique et mental incomparable.
L’ostéopathie, une aide lorsque le rythme de vie du musicien soumet le corps à rude épreuve
Les musiciens portent des instruments et des bagages, voyagent ou restent assis en cours ou à l’orchestre de longues heures. Thierry Cœur de Roy, ostéopathe DOMROF bien connu des musiciens, me confiait récemment : « Les musiciens se plaignent fréquemment de leur dos. On incrimine la position statique, sédentaire, ‘la posture’. Les plaintes concernent le cou, les dorsales, entre les omoplates, les épaules. Sous un œil ostéopathique cet aspect postural sera surtout révélateur mais non la cause première. Par la pratique d’une ‘ostéopathie d’écoute’, on découvre le plus souvent de vieux traumatismes enfouis : chutes, chocs de l’enfance non traités et qui « plombent » vraiment la capacité d’absorption des contraintes professionnelles. En cas de plainte persistante, un travail manuel s’impose. Dans tous les cas, un conseil très simple : s’étirer et y consacrer deux minutes toutes les vingt minutes serait idéal. Comme un bébé qui s’éveille, l’étirement doit être spontané, instinctif et agréable. S’il était vraiment fait, la plupart des tensions posturales s’envoleraient. La pratique d’une approche corporelle, Yoga, Taï Chi, méthode Pilates, Alexander, Feldenkreis, Bertherat, stretching postural, peut vraiment aider à cette prise de conscience des tensions parasites qui fatiguent inutilement le musicien. Peut-être n’insiste-t-on pas assez dans les écoles et conservatoires de musique sur la nécessité de cette pratique. Concernant un suivi ostéopathique, les consultations sur plus d’une centaine de musiciens en 25 années de pratique, mettent en évidence que l’ostéopathie fonctionnelle, appelée encore ostéopathie tissulaire ou ostéopathie fluidique, est une réponse appropriée à ce mal professionnel. »
Nous traitons parfois notre corps comme un esclave qui doit tout supporter : tabac, alcool, temps de sommeil négligé, sandwich-Coca, absence d’oxygénation, excès de médicaments et/ou de café pour le maintenir debout, postures instrumentales répétitives, etc.
À l’évidence de la nécessité du développement de sa culture, le musicien est en droit de se poser la question de la vigilance corporelle pour s’épanouir dans ce métier, jouer avec conviction, vitalité et imagination.
(1) Le Conservatoire propose des cours de méthode Alexander avec Agnès de Brunhoff et Christine Clicquot de Mentque dans son application à la voix et aux instruments, et de préparation physique et mentale du musicien avec Catherine Coëffet et Isabelle Loiseleux. L’Association Sportive et Culturelle du Conservatoire et de la Villette (ASCCV, inscriptions en septembre) dispense des cours de Yoga avec Jean Gauthier et de gym/Pilates avec Magali Marchal.
(2) Quelques lectures utiles :
« Le musicien, un athlète de haut niveau » Coralie Cousin, 2008, éditions Ad’hoc
« Le violon intérieur », Dominique Hoppenot, 1981, Editions Van de Velde
« L’art du piano » Henrich Neuhaus, 1971, Editions Van de Velde