Classe de direction d’orchestre avec Mikko Franck : entretien
Mis à jour le 17 janvier 2024
Directeur musical de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, le chef d’orchestre finlandais Mikko Franck, présent sur de nombreuses scènes internationales, a fait halte au Conservatoire de Paris pour un temps de transmission auprès de jeunes étudiantˑes qui se destinent à la direction d'orchestre. Il travaille sur ce projet avec Alexandre Piquion, professeur au Conservatoire de Paris, qui nous dévoile les coulisses de ce projet à découvrir le 17 janvier prochain à l’Opéra de Massy.
Pourriez-vous présenter le projet ainsi que votre rôle ?
Alexandre Piquion : C’est un événement qui rythme la vie des chanteurs inscrits en master, des chefs d’orchestre et des classes auxquelles ils sont rattachés (direction d’orchestre, ensemble vocal, scène) chaque année. Il a généralement lieu au conservatoire.
C’est un événement important à la fois sur le plan pédagogique pour les élèves, mais aussi, plus largement, pour la collaboration des départements. En effet, ce projet engage trois départements : celui des études vocales, de la direction d’orchestre, écriture composition, et un département qui est apparemment moins engagé dans la vie pédagogique mais qui est tout à fait déterminant, le département apprentissage des arts de la scène.
C’est un événement qui est travaillé en cours, durant des séances de travail qui s’apparentent à des séances de répétition. Celles-ci mettent les étudiants au cœur de ce qui pourrait être une production en reprenant la totalité de ses étapes. Et d’abord l’élaboration, c’est-à-dire le choix d’un programme qui ait une trame artistique suffisamment étoffée pour que les élèves s'y retrouvent et que cela fasse école pour eux, que le programme corresponde aux typologies vocales qui sont en présence. Il faut aussi qu’il réponde à un format qui est celui des prestations publiques du conservatoire et aux contraintes techniques. Et c’est là que c’est intéressant pour tous les élèves chefs et chanteurs de comprendre que ce programme n’est pas seulement un moment de mise en valeur, de travail, d’exploration, de questionnement, de découverte. Il leur faut aussi intégrer à leur méthode de travail le fait qu’ils sont sur scène et qu’il y a beaucoup de monde autour. Et c’est vraiment ce contexte-là dans lequel ils sont immergés et auquel ils sont confrontés. La proposition artistique, dans son développement, dans son travail, dans sa maturation, dans ses possibilités, dépend de l’environnement technique, logistique (en termes de planning, de personnel sur scène), de ressource d’élaboration des programmes, du temps qu’on a, des décors disponibles, de la connaissance du répertoire par les protagonistes. Tout cela fait partie d’une très grande marmite qui fait la nature du projet lui-même.
En quoi ce projet s’insère-t-il dans la pédagogie de la classe de direction ? Quels sont les intérêts pour les jeunes chef.fes ?
Sur cet événement je suis beaucoup du côté des chanteurs et c’est Mikko Franck qui a la responsabilité pédagogique des chefs. Mais je peux quand même vous apporter quelques éléments de réponse. Les chefs ont à peu près huit à neuf sessions à diriger dans l’année, mais il n’y en a qu’une seule où ils se retrouvent réellement en situation lyrique. Ils sont au théâtre, dans la fosse, les chanteurs sont sur scène. Et ils font connaissance avec cet autre métier qu’est la direction lyrique.
C’est un autre métier car le chef n’a pas du tout du tout la même fonction que sur un programme symphonique. Ce n'est pas le même rythme de travail. Le temps de travail est plus long et il est nécessaire aussi qu’il soit plus long pour les chefs. C'est-à-dire qu’on sensibilise nos élèves au fait qu’un chef lyrique n’est pas un chef qui arrive quand arrive l’orchestre. Un chef lyrique est un chef qui suit tout le processus d’élaboration de la production. C’est un chef qui peut aller jusqu'à s'intéresser à des notions de scénographie, de dramaturgie musicale évidemment. C’est un chef qui est impliqué dès la genèse du projet, c’est-à-dire un an et demi, deux ans avant la première représentation. C’est un chef qui a rencontré le metteur en scène, avec qui il faut s’entendre alors qu’on parle deux langues différentes. C’est un travail important pour nos élèves chefs, d’autant que c’est un matériau qu’ils apprécient beaucoup.
La rencontre avec les chanteurs est presque toujours une rencontre réussie. Pas forcément parce qu’elle est sensationnelle, mais parce que c’est un endroit d’apprentissage dont ils sentent qu’il est extrêmement puissant, un endroit qui les fait bouger, qui les déplace, qui convoque un autre regard sur le geste musical et sur la place qu’ils occupent, qui est une place de relation, de pure relation. Je disais tout à l’heure que “relation” est le maître mot de ce type de projet, mais probablement de mon enseignement aussi. C’est là qu'on développe quelque chose d’autre que dans des grands projets choral comme ce doit être le cas au conservatoire. Les élèves sont invités à occuper la place de la relation elle-même : mettre en relation.
Mais donc dans les cours pour les chefs, il y a une part moindre d’apprentissage du monde lyrique ?
Oui, il y a une place moindre effectivement. C’est l’organisation de la classe en ce moment, mais je crois que cela a toujours été comme ça. Il y a beaucoup de raisons à cela. Des questions de nécessité, j’ai envie de dire. Il s’agit de faire école, que nos élèves sortent d’un moment d’école et qu’ils s’en décollent. Il y a donc beaucoup de répertoire à aborder. Beaucoup de savoir-faire différents qui doivent être éprouvés avec l’orchestre. Je dis souvent à mes élèves “vous ne ferez pas l’économie de l’épreuve”. Il n'y a pas un moment où le truc vous tombe dessus et vous savez le faire, vous allez savoir le faire parce que vous l’aurez refait. Ce moment arrive une seule fois dans l’année avec orchestre et chef dans la fosse, et les chanteurs sur le plateau. Mais chaque mercredi, je fais cours avec les chanteurs et ce cours est proposé en option aux chefs. Il est fréquenté par beaucoup d’entre eux. La matière lyrique est quelque chose qui les attire, qui les intéresse. Et ils n’hésitent pas à passer lorsqu’ils sont dans l'établissement et qu’ils ont une heure de battement.
Comment choisit-on le répertoire d’un tel concert ? Y a-t-il des liens entre les différentes œuvres proposées ?
C’est un programme tout en allemand c’est un premier lien. Établir un programme pour une quinzaine de chanteurs, c’est établir un programme pas uniquement pour les chanteurs qu’on a choisis. Évidemment on ne choisit pas avec qui on travaille, on donne juste cours.
Ce n'est pas juste notre projet, c’est indispensable de comprendre que c’est un projet porté pour les élèves, et qu’on monte en fonction des contraintes qui sont en présence. Parmi ces contraintes, il y a effectivement une distribution, un panel de chanteurs, dont la composition est extrêmement disparate parfois. Si vous regardez cette année par exemple, c’était déjà le cas l’année dernière, on a beaucoup de sopranos, un peu de mezzo, très peu de ténors et encore moins de barytons, grosso modo. Il s’agit donc de trouver des ensembles, et ça c’est mon travail, je le fais en relation avec tous ceux qui veulent travailler autour de ça : les professeurs de chants, les professeurs de scène, avec Alain Altinoglu quand c’est lui qui fait la classe. Et en général on arrive à un programme assez cohérent.
En ce qui concerne le programme, il y a plusieurs entrées conductrices, à commencer par la langue allemande. On peut remarquer en effet que pour les œuvres de Mozart, il s'agit d'extraits de deux Singspiele* qui vont se prolonger dans une de leurs formes plus lointaines : ce qu'on a appelé l’opéra viennois. On pourrait aussi parler de l'admiration de Strauss pour Mozart. Toutefois, chez Strauss, comme disait Jankélévitch, la “tornade romantique” est passée par là : les typologies vocales sont beaucoup plus éclatées, beaucoup plus outrées ; à l’époque de Mozart, les typologies vocales des rôles ne sont pas du tout les mêmes qu’aujourd’hui. De plus, pour Strauss, on est dans un théâtre qui s’affirme vraiment comme une comédie, avec des principes de rupture et un principe de transformation dans le procédé de composition. Tout cela est très différent chez Mozart. Strauss annonce un matériel, puis le transforme, le déforme, le diminue, l’augmente ; il va l’adapter à la situation ou la lui faire commenter. Mozart fait tout autre chose : dès qu’il a besoin de matériel, il invente quelque chose de nouveau.”
Y a-t-il une manière d’écrire différente pour les ensembles entre Mozart et Strauss ?
Oui. Chez Strauss, comme disait Jankelevitch, la « tornade romantique » est déjà passée par là. Donc les typologies vocales sont beaucoup plus éclatées, beaucoup plus outrées. A l’époque de Mozart, les typologies vocales des rôles ne sont pas du tout les mêmes qu’aujourd’hui. Pour revenir à votre question, avec Strauss, on est dans un théâtre qui s’affirme vraiment comme une comédie, avec des principes de rupture, avec un principe de transformation dans le procédé de composition. Tout cela est très différent de chez Mozart. Strauss annonce un matériel, puis le transforme, le déforme, le diminue, l’augmente ; il va l’adapter à la situation ou la lui faire commenter. Mozart fait tout autre chose : dès qu’il a besoin de matériel, il invente quelque chose de nouveau. Une chose aussi à laquelle on essaye de beaucoup sensibiliser les élèves, c’est qu'en tant qu’interprètes ils doivent être pris dans les procédés de composition et dans les procédés dramaturgiques des pièces qu’ils jouent. C’est une chose absolument déterminante, qu’ils soient d’abord de bons lecteurs, ce qui ne veut pas dire très bien analyser une partition mais au moins savoir repérer les enjeux dramaturgiques au plan musical. De ce point de vue, on a avec Mozart et Strauss deux représentants extrêmement différents, avec des procédés très différents, notamment au niveau des ensembles. »
Propos recueillis par Paul Brunner et Léonard Zeiny, étudiants au département musicologie et analyse du Conservatoire de Paris
Photo © Ferrante Ferranti
Concert de la classe de direction d’orchestre avec Mikko Franck17 janvier 2024 – Opéra de Massy |