Citations et emprunts : Ouvrez les guillemets !
Mis à jour le 26 janvier 2024
A l’approche du concert de la classe d’initiation à la direction d’orchestre de Rut Schereiner, le 2 février prochain à 19h au Conservatoire, explorons le répertoire qui sera abordé par l’Orchestre des Lauréats du Conservatoire avec Pierre-Antoine Renioult, étudiant de la classe d'histoire de la musique de Constance Luzzati.
« Nous ne devons pas oublier que ne dure que ce qui enfonce ses racines dans le peuple ». Ces mots de Sergueï Tanéiev, disciple et ami de Tchaïkovski, témoignent d’une velléité de certains compositeurs de la fin du XIXe siècle de construire une musique à partir d’un ciment populaire : s’agit-il de la recherche d’un nouveau langage musical à travers l’emploi de matériaux plus anciens ? D’une tentative de sauvegarde d’un patrimoine immatériel ? Ou bien d’une tendance nationaliste ?
L’œuvre d’Edvard Grieg (1843-1907) regorge de références plus ou moins explicites à la culture norvégienne : Chants et danses populaires norvégiennes, op. 17, Suite Holberg, op. 40, Chants populaires norvégiens, op. 66… Ainsi, les mouvements portent directement le nom de ce qui a inspiré leur composition : le Kulokk est à l’origine un chant traditionnel ressemblant au Yodel que les femmes entonnent pour appeler les troupeaux en pâturage dans les montagnes. Quant au Stabbelåten, il s’agirait d’une danse paysanne. Les deux mélodies norvégiennes, op. 63 ont été composées entre 1895 et 1896 (la dernière page du manuscrit est datée du 28 janvier 1896) et sont dédiées à Frederik Due, qui aurait transcrit la mélodie populaire du premier mouvement. Le deuxième mouvement est une adaptation librement développée de la 18e (Stabbelåten) et de la 22e (Kulokk) des Vingt-cinq chansons populaires norvégiennes, op. 17, écrites pour piano seul par Grieg en 1869.
La Sérénade pour cordes en ut majeur, op. 48 de Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893) apparaît dans une période particulièrement sombre dans la vie du compositeur. Fuyant son homosexualité, à l’époque punissable de prison ou d’exil, Tchaïkovski se marie le 6 juillet 1877 avec Antonia Milioukova. Très vite, cet hymen tourne au désastre et se solde par une tentative de suicide. Bénéficiant de l’aide financière de son admiratrice Nadezha von Meck depuis 1876, il démissionne de son poste de professeur au conservatoire de Moscou et s’installe chez sa sœur à Kamenka, dans l’actuelle Ukraine. De nombreuses œuvres naissent dans ces années fertiles : le Concerto pour violon, op. 35 (1878), le Capriccio Italien, op. 45 (1880), la Sérénade ou encore l’Ouverture solennelle 1812, op. 49 (1880).
Cette Sérénade pour cordes est composée de quatre mouvements aux caractères distincts : le premier, Pezzo en forma di sonata (pièce en forme de sonate), contient une introduction lente et solennelle telle que l’on peut en trouver dans les dernières symphonies de Haydn ou de Mozart, avant de laisser la place à deux thèmes contrastés. Le deuxième mouvement est une valse ; agrémentée d’arrêts et de ralentissements inopinés, elle n’est pas faite pour être dansée ! L’Élégie, bien plus intime, laisse davantage les instruments dialoguer dans des phrases passionnées, après une introduction pesante. Quant au Finale, Tchaïkovski y incorpore deux thèmes populaires russes, l’un dans l’Andante, songeur, l’autre dans le bouillonnant Allegro con spirito. La Sérénade s’achèvera-t-elle dans cette atmosphère extatique ? Tchaïkovski interrompt brusquement le discours avec des accords dramatiques, avant de rappeler l’introduction sentimentale du premier mouvement. Puis, tout s’accélère ; le thème enjoué du quatrième mouvement revient dans un ultime tourbillon. Cette feinte musicale peut à la fois être perçue comme humoristique et comme messagère d’espérance.
Benjamin Britten (1913-1977) compose la Simple Symphony, op. 4 entre 1933 et 1934, alors que le compositeur était encore étudiant au Royal College of Music, à Londres, suivant les cours de composition de John Ireland. Composée de quatre mouvements, l’œuvre est structurée comme une symphonie classique : un premier mouvement allant, un deuxième mouvement faisant office de scherzo, puis un mouvement lent, plus sentimental, et un finale en apothéose. À l’instar du titre de l’œuvre, chaque mouvement est associé à un adjectif, Boisterous Bourrée (bourrée turbulente), Playful Pizzicato (pizzicato espiègle), Sentimental Sarabande (sarabande sentimentale) et Frolicsome Finale (final enjoué). Si la Simple Symphony ne fait pas appel à un répertoire populaire, le compositeur emprunte des thèmes issus de ses premières compositions, lorsqu’il avait entre neuf et douze ans : ces fragments et idées sont alors utilisés comme base pour bâtir la Simple Symphony ; à peine modifiés, ils sont harmonisés de différentes façons, développés et orchestrés pour ensemble à cordes. C’est pour cette raison que, la Sarabande mise à part, l’atmosphère globale de l’œuvre demeure tendre et enfantine, en particulier dans le deuxième mouvement.
Propos recueillis par Pierre-Antoine Renioult
Photo © Rut Schereiner
Concert de la classe d’initiation à la direction d’orchestre de Rut SchereinerVendredi 2 février 2024 à 19h - Conservatoire de Paris, Espace Maurice-Fleuret |