Cérémonie de dévoilement d’une plaque commémorative à la mémoire de Jacqueline Goldstein et Hélène Heskia
Mis à jour le 06 octobre 2023
Ce mercredi 4 octobre 2023 au Conservatoire de Paris s’est déroulée la cérémonie de dévoilement d’une plaque commémorative à la mémoire de deux anciennes élèves, Jacqueline Goldstein (1921-1944), pianiste, et Hélène Heskia (1923-1943), danseuse, assassinées à Auschwitz, avec la complicité du régime de Vichy, parce qu’elles étaient nées juives.
À travers l’inauguration de cette plaque, l’établissement, représenté par sa directrice Emilie Delorme, a reconnu pour la première fois de son histoire, son action en faveur du recensement, puis de l’exclusion de 21 élèves juifs entre 1940 et 1942.
Discours d’Emilie Delorme, directrice du Conservatoire de Paris
Bonjour,
Le 7 septembre dernier, au Conservatoire national supérieur d’art dramatique, a été inaugurée une plaque en hommage aux élèves et professeurs du Conservatoire qui furent victimes de la barbarie de l’Allemagne nazie et du régime de Vichy. Cette commémoration, à l’initiative de Claire Lasne Darcueil, directrice du CNSAD de 2013 à 2023, s’inscrit dans la continuité d’un travail de recherche au long cours, récemment prolongé par les équipes des deux conservatoires. Notre institution a besoin d’en savoir plus sur elle-même. Je remercie toutes celles et tous ceux qui ont pris part à ce travail et souhaite que ce travail d’investigation se poursuive.
Je remercie également Marc-Olivier Baruch, directeur d'études émérite à l’École des hautes études en sciences sociales et Odile Boyer directrice adjointe de la Fondation du Camp des Milles qui prendra également la parole au nom de son Président, Alain Chouraqui d’avoir accepté d’être présents dans notre institution en ce jour si important pour notre communauté.
Aujourd’hui, nous sommes réunis pour honorer la mémoire de deux élèves, Jacqueline Goldstein et Hélène Heskia, assassinées à Auschwitz, avec la complicité du régime de Vichy, parce qu’elles étaient nées juives.
Je tiens à rappeler la chronologie des faits.
Le 3 octobre 1940, le Maréchal Pétain, chef de l’Etat français signe la loi portant statut des juifs - interdisant notamment l’exercice aux individus considérés comme juifs de toute fonction d’enseignement relevant d’une institution publique. Le même jour, avant la publication au Journal officiel du décret, Henri Rabaud, directeur du Conservatoire, et Jacques Chailley, secrétaire général de l’école, initient une enquête pour recenser le personnel administratif et enseignant considéré comme juif au regard du décret.
Le 14 octobre 1940, Henri Rabaud communique les résultats de l’enquête aux occupants : je cite “sur les 75 membres du corps enseignant présents actuellement, deux sont israélites”. Il s’agit de Lazare Lévy, professeur de piano, et André Bloch, professeur d’harmonie. Un troisième professeur juif, Maurice Franck, alors prisonnier de guerre, n'a pas pu répondre à l'enquête. Dans le même temps, sans en avoir eu la consigne, l’administration du Conservatoire recense, sur la base de déclarations individuelles, les élèves considérés comme juifs. A l’issue de cette enquête, l’administration appose sur le registre des élèves et les tableaux de classe de l’année 1940-1941, à l’encre rouge, les mentions « juif », « trois-quarts juif », « demi-juif » ou « un-quart juif », selon le nombre de grands-parents déclarés. Cette annotation sera reproduite sur les fiches des élèves admis en 1941 et sur les tableaux de classe de l’année 1941-1942. Certains de ces registres sont aujourd’hui exposés à la médiathèque.
Le 18 décembre 1940, les professeurs Lazare Lévy et André Bloch sont révoqués, en application du décret du 3 octobre.
Claude Delvincourt est nommé directeur du Conservatoire le 15 avril 1941. Quelques jours après, les autorités allemandes lui signifient l’interdiction pour les élèves juifs de présenter les examens et concours de fin d’année.
Le 25 septembre 1942, ces élèves sont informés par Claude Delvincourt de leur radiation, en application d’une note d’Abel Bonnard, ministre de l’Éducation nationale, indiquant qu’« il convient de ne maintenir ou de n’admettre au Conservatoire aucun élève juif ».
Le 1er octobre 1942, 21 élèves juifs sont exclus du Conservatoire. Ils sont pour la plupart français et ont entre 11 et 30 ans. Trois d’entre eux seront déportés : Jacqueline Goldstein, pianiste, Hélène Heskia, danseuse, et Arie Hochberg, violoniste. Seul ce dernier reviendra en 1945. Déporté à 17 ans, il était musicien dans l’orchestre d’Auschwitz et a survécu.
Jacqueline Goldstein était élève de piano, dans la classe d’Armand Ferté. Elle et sa famille sont arrêtés à Sannois le 10 mars 1944, internés à Enghien, transférés au camp de Drancy puis déportés par le convoi 70 du 27 mars 1944 à destination du camp d'Auschwitz. Comme 480 des 1025 déportés de ce convoi, Jacqueline, son père, son frère et sa sœur sont immédiatement assassinés, le 1er avril 1944. Seule sa mère reviendra de déportation en 1945.
Hélène Heskia était danseuse, élève de Jeanne Schwarz. Elle et sa famille sont arrêtés à Nice le 30 septembre 1943. Transférés au camp de Drancy, Hélène, ses parents et son frère sont déportés par le convoi 62 du 20 novembre 1943 qui emporte 1200 personnes, dont 151 enfants, à destination du camp d'Auschwitz. Aucun des quatre n'est revenu.
Parmi les élèves exclus en 1942, douze réintègreront le Conservatoire après la libération de Paris. Jamais l’institution n’a reconnu sa collaboration avec l’occupant. Jamais l’institution n’a écrit, n’a raconté cette histoire. Jamais l’institution n’a exprimé sa honte à l’égard des élèves et des professeurs qu’elle n’a pas protégés. La pose de cette plaque ne pourra pas guérir la blessure profonde et jamais pansée, mais peut-être pourra-t-elle incarner, modestement, la manière dont Simone Veil concevait le devoir de mémoire, lorsqu’elle disait : “notre seul devoir, c’est d’enseigner et de transmettre”.
*
Au cours de cette cérémonie, Zélie Cuzon, étudiante en danse contemporaine et Abel Saint-Bris, étudiant en improvisation au piano, ont fait la lecture des noms des 21 élèves exclus du Conservatoire parce que considérés comme juifs.
Josette Ach, 19 ans, élève dans les classes de piano de Céliny Chailley-Richez et de solfège d’Eva Meyer ;
Jakob Berlinski, 28 ans, élève dans les classes de composition de Roger Ducasse et de direction d’orchestre de Charles Munch ;
Léon Bronschwak, 26 ans, élève dans les classes de violon de Firmin Touche et de solfège de Jean Déré ;
Pierre Doukhan, 14 ans, élève dans la classe de violon de Fernand Luquin ;
Devi Erlih, 13 ans, élève dans les classes de violon de Jules Boucherit et de solfège de Jean Déré ;
Odette Gartenlaub, 20 ans, élève dans les classes de contrepoint et de fugue de Noël Gallon et d’harmonie d’Olivier Messiaen ;
Jacqueline Goldstein, 21 ans, élève dans la classe de piano d’Armand Ferté ;
Selma Herscovici, 11 ans, élève dans les classes de solfège de Jean Déré et de piano d’Yves Nat ;
Hélène Heskia, 19 ans, élève dans la classe de danse de Jeanne Schwarz ;
Arie Hochberg, 16 ans, élève dans les classes de violon d’André Tourret et de solfège de Georges Becker ;
Pierre Jaïs, 25 ans, élève dans la classe d’art dramatique d’André Brunot ;
Lise Lehmann, 18 ans, élève dans la classe de piano de Jean Batalla ;
Guy Leibel, 14 ans, élève dans les classes de violon premier degré d’Emilie Loiseau et de solfège de Georges Becker ;
Maxime Rapoport, 20 ans, élève dans la classe de violon de Firmin Touche ;
Lia Schubert, 16 ans, élève dans la classe de danse de Jeanne Schwarz ;
Eva Tamarow, 24 ans, élève dans la classe de piano d’Armand Ferté ;
Georgette Tykoczinsky dite Georgina Tisel, 28 ans, élève dans la classe d’art dramatique de Béatrix Dussane ;
Eliane Tzipine, 17 ans, élève dans la classe de piano de Jean Doyen ;
Suzanne Vantoura, 30 ans, élève dans les classes de composition de Roger Ducasse et d’orgue de Marcel Dupré ;
Francine Weil, 18 ans, élève dans la classe de violon de Firmin Touche ;
Max Winder, 16 ans, élève dans la classe de violon de Gabriel Bouillon.
A l'issue du dévoilement de la plaque commémorative, Ami Flammer, violoniste et enseignant au Conservatoire, a interprété "Kaddish" de Maurice Ravel.
Le service Médiathèque et Archives a mené des travaux de recherche pour établir les biographies des 21 élèves exclus du Conservatoire en 1942, travaux qui ont conduit à la réalisation d’une exposition à découvrir dans l'espace de consultation de la médiathèque ainsi que sur leur site internet :
1942 : Exclus parce que juifs | CNSMDP - Médiathèque et archives




