Autour du Festival Présences 2025
Mis à jour le 30 janvier 2025
A l'occasion de l'édition 2025 du Festival Présences, (re)découvrez deux articles extraits de notre brochure de saison annuelle : un portrait consacré la compositrice autrichienne Olga Neuwirth, ainsi qu'un entretien avec Imsu Choi, compositrice invitée à créer une pièce dans le cadre du festival.
Fille du chaos
En ce tournant de siècle, période synonyme de poussée technologique, de scepticisme désenchanté et de combats larvés toujours plus durs à mener, le monde des arts se dirige quant à lui vers une plus grande transversalité, un bouillonnement indistinct et fertile qui est bien davantage qu’une interdisciplinarité : une indisciplinarité. Née en 1968, Olga Neuwirth est fille de ce chaos. Son œuvre – qu’on a pu qualifier tour à tour de corrosive, acide, exubérante, fulgurante, abrasive – cache, sous ses aspects sauvages de tornade dévastatrice de sons mordants, une richesse labyrinthique qui emprunte aux autres modes d’expression artistique en transposant leurs caractéristiques formelles intrinsèques ainsi que leurs syntaxes.
Si le nom d’Olga Neuwirth est, dans les premiers temps de sa carrière, associé au cinéma et autres arts visuels, la littérature reste le seul art non musical qui ait pour elle un véritable statut à part. Il suffit pour s’en convaincre de parcourir l’inventaire de ses œuvres où l’on trouve, en vrac, Goethe, Baudelaire, James Joyce, Michel Butor, les surréalistes avec notamment Leonora Carrington, le fantastique de Vilém Flusser et Louis Bec, Gertrude Stein, William S. Burroughs, Paul Auster, Georges Perec, sans parler d’Elfriede Jelinek (Nobel de littérature 2004) avec laquelle elle a entretenu une fructueuse relation et, au cours de cette dernière décennie, Hermann Melville.
Son attachement au théâtre, et au théâtre musical – plus précisément au théâtre musical multimédia –, témoigne également du rôle essentiel de la littérature dans sa musique. Cependant, le texte est chez Olga Neuwirth avant tout un support narratif, un fil conducteur. Si le texte peut lui apporter le matériau de base de sa musique (idée de départ, scénario et images associées, ainsi que quelques éléments sonores bruts), les autres arts l’inspirent pour son architecture. Sans nécessairement lui fournir clés en main la forme globale d’une œuvre, ils sont pour elle une formidable réserve de procédés rhétoriques, processus d’évolution et systèmes de développement qu’elle peut transposer à sa guise (et à sa manière) vers son langage musical.
Il en va ainsi de procédés architecturaux – pour torsion : transparent variation, elle s’inspire des formes du Mémorial de la Shoah de Daniel Libeskind à Berlin et des sculptures de Naum Gabo – ou de procédés utilisés dans les arts plastiques et visuels, voire de modèles trouvés dans la nature (la vigne pour Lonicera Caprifolium). Dans un entretien avec David Sanson pour le Festival d’Automne 2008, elle explique comment, pour composer Hooloomooloo (1996 - 1997), elle s’est inspirée d’un triptyque de Franck Stella : « Il s’agit de tableaux en relief. Or, ce qui m’intéresse dans la musique, c’est l’espace. Non seulement l’architecture, l’espace proprement dit, mais aussi, à l’intérieur de la partition, cet espace orchestral tel qu’il existe par exemple chez Mahler. Dans ce triptyque, à partir d’un arrière-plan à deux dimensions se déploie une impression d’espace qui est feinte, non véritablement tridimensionnelle. Ce jeu de va-et-vient entre le premier plan et l’arrière-plan est au centre de la partition. Les sons ne sont pas spatialisés, répartis dans l’espace, mais produits à partir d’une perspective centrale, sur la scène : dans ce mince espace entre la bande enregistrée et les trois ensembles naît un espace fictif. »
Le cinéma, cependant, a longtemps été l’art auquel Olga Neuwirth a le plus volontiers emprunté et fait référence – avec des hommages à Federico Fellini, René Clair, Alfred Hitchcock ou David Lynch, parmi d’autres. Il convient ici de rappeler qu’elle a étudié le cinéma à San Francisco dans les années 1980, son mémoire de maîtrise traitant de « La musique de film dans L’Amour à mort d’Alain Resnais ». « Il faut penser au cinéma, dit-elle dans un entretien accordé à Frank Madlener, penser au mouvement, à la lumière. […] Tout comme au cinéma, on peut assembler plusieurs niveaux simultanément. J’ai grandi avec cela : j’ai étudié cette temporalité du montage cinématographique. »
Cette temporalité bouleverse radicalement la logique musicale. Olga Neuwirth ne se contente pas de jouer du collage. Elle n’est pas seulement monteuse, mais aussi cheffe opératrice, directrice de la photographie et metteuse en scène, et transpose les notions, pourtant spécifiques au cinéma, de zoom, gros plan, travelling, panoramique, fondu enchaîné, plan séquence, surexposition, etc. Loin de toute continuité formelle au sens classique du terme, ce parti pris dans l’écriture – succession impétueuse de courtes situations sonores, d’objections, contradictions et revirements riches en contrastes, véhiculant une perspective sonore en pleine mutation – donne à la musique une allure parfois « catastrophique », insaisissable et pleine de singularités.
À cet aspect formel « catastrophique » s’ajoute l’aspect hautement déroutant des sons qui y vivent – une esthétique sonore qui tient à la fois d’Edgard Varèse (sons violents, mordants, fulgurants), d’Helmut Lachenmann (sonorités bruitistes), d’Adriana Hölszky (sons inouïs) et, dans le lointain, de l’école spectrale, qu’elle a rencontrée en la personne de Tristan Murail. Olga Neuwirth aime faire se heurter des sons très différents. Ajoutant à l’hétérogénéité des timbres la diversité des sources et modes de production, elle pratique une forme d’anamorphose sonore – le musicologue Jean-Noël von der Weid inventera pour elle le néologisme d’« amphibiguité ». Elle associe ainsi, parfois grâce à l’électronique, un large instrumentarium (qui va des instruments baroques à la guitare électrique, en passant par les ondes Martenot) et des bruits issus du quotidien, voire du quotidien d’hier (comme une machine à écrire dans Aello – Ballet mécanomorphe en hommage à Bach), créant ce qu’elle appelle des « hypersons » ou « sons androgynes » – un terme, là encore, hautement approprié, puisqu’elle fait régulièrement appel à des contre-ténors, tessiture androgyne par excellence.
C’est sans doute ce qui la fascine tant chez Klaus Nomi – outre sa personnalité artistique et médiatique, et ce qu’elle a représenté dans les milieux underground et queer au cours des années 1970 et 1980 (Nomi meurt du sida en 1983 à l’âge de 39 ans) : cette voix si particulière, qui couvre un ambitus hors norme, du baryton-basse au contre-ténor. L’androgynie n’est sans doute pas étrangère, non plus, à l’intérêt qu’Olga Neuwirth porte au roman Orlando de Virginia Woolf, qu’elle adapte pour l’Opéra de Vienne en 2019.
Tous ces éléments, qui interpellent dès la première audition, participent d’une entreprise systématique de déconstruction de nos habitudes d’écoute. Si cette affirmation peut apparaître comme un poncif, il faut bien admettre que peu de compositeur·rices y parviennent avec autant d’élégance et d’efficacité : il y a une touche Neuwirth, comme il y a un humour Hitchcock, un style Resnais, un surréalisme Lynch et une Lubitsch touch – la Neuwirth touch est ironique et tendre, délicat équilibre d’humour grotesque et noir, de scepticisme et de distanciation, sans aucun pathos.
Si le rire est une forme de résistance, la musique est pour Olga Neuwirth, « dépressionniste autrichienne » autoproclamée, une arme de résistance face à la marche déréglée du monde, un doigt pointé vers l’absurdité et l’irrationnel de l’existence humaine. C’est, selon ses propres termes, « une protestation purement musicale contre ce qui se passe », comme elle le confie à David Sanson en 2008.
Engagée de longue date contre l’extrême- droite autrichienne, Olga Neuwirth s’exprime aussi, via son œuvre, sur la catastrophe migratoire, le racisme et l’antisémitisme, et les injustices d’où qu’elles viennent. En 2015, alors qu’elle met la dernière main à Eleanor-Suite, elle est profondément choquée par l’attentat islamique contre la rédaction de Charlie Hebdo. C’est ainsi que, derrière la référence à Billie Holliday (de son vrai nom Eleonora Fagan) et à Martin Luther King (auquel elle emprunte des fragments de discours), la pièce devient l’expression spontanée d’une solidarité face à l’horreur.
En 2016, connaissant son engagement, le Wiener Konzerthaus lui commande une musique pour La Ville sans Juifs, film muet réalisé en 1924 par Hans Karl Breslauer. Véritable pamphlet contre l’antisémitisme d’après un livre d’Hugo Bettauer (journaliste assassiné par un nazi quelque temps après la première projection du film), cette farce sidère encore aujourd’hui par sa puissance prémonitoire. Pour composer sa musique, Olga Neuwirth choisit avec soin son matériau et ses citations pour faire à son tour de sa partition un pamphlet contre les hypocrisies et bassesses d’une certaine classe politique autrichienne depuis l’après-guerre, qui n’a rien à envier à celle du film.
La xénophobie était déjà au cœur de The Outcast [Le Paria] (2012). Creusant plus encore le genre de l’opéra déjà renouvelé en compagnie d’Elfriede Jelinek, ce « musicstallation-theater », comme le qualifie Neuwirth, revisite Moby Dick d’Hermann Melville sous l’angle de la crise globale et multiforme (politique, sociale et environnementale) qui affecte notre monde contemporain. The Outcast marque en outre l’irruption d’Hermann Melville dans l’univers de la compositrice – même si l’œuvre de l’écrivain américain irriguait très certainement son imaginaire depuis de nombreuses années. « C’est précisément son hétérogénéité qui est fascinante chez Hermann Melville, écrit Olga Neuwirth, et c’est elle qui lui a valu tant d’hostilité de son vivant. Il s’est soustrait, dans son écriture, à l’obligation d’illustrer un genre unique. » Derrière l’hommage, difficile de ne pas voir l’autoportrait.
Melville est à nouveau au cœur de Le Encantadas o le avventure nel mare delle meraviglie (2015). Le titre, « Les Enchantées ou les aventures en mer des merveilles », fait référence au recueil éponyme dans lequel le romancier évoque les Galápagos. L’idée de l’archipel se traduit ici par une dispersion de l’ensemble en six groupes disséminés dans l’espace. Seulement Olga Neuwirth a souhaité unifier cet éclatement au sein d’une structure acoustique commune. Cette ressource spatiale, Olga Neuwirth est allée la chercher bien loin des îles Galápagos, dans un autre archipel, celui de Venise. Plus particulièrement dans l’église San Lorenzo où fut créé le Prometeo de Luigi Nono en 1984 – Nono qui, depuis toujours, figure en bonne place au panthéon musical de la compositrice. Olga Neuwirth a entrepris de modéliser et recréer l’acoustique très singulière de cette église, aujourd’hui fermée au public, grâce aux chercheur·ses de l’Ircam. Cette acoustique « artificielle » vient ainsi colorer la matière instrumentale pour accompagner le voyage maritime, tout en donnant également une forme de cohérence à cette pièce sinon assez hétérogène – chaque « île » de l’archipel proposant un panorama sonore propre, réel ou virtuel, créant un ensemble de panoramas entre lesquels l’auditeur navigue. Ou comment pousser plus loin encore l’ambiguïté sonore chère à la compositrice.
Jérémie Szpirglas
« Je composais sans le savoir… »
Invitée à créer une pièce dans le cadre du Festival Présences – dont Olga Neuwirth est invitée d’honneur –, Imsu Choi, récemment diplômée du Conservatoire, revient sur son double parcours de compositrice et d’ondiste et nous livre quelques-uns de ses secrets de fabrication.
Comment êtes-vous devenue la musicienne que vous êtes aujourd’hui ?
Imsu Choi
Je baigne dans la musique depuis l’enfance : ma mère est chanteuse et mon père musicien amateur. J’ai appris le violon, la flûte et le piano, qui est l’instrument que j’ai pratiqué le plus longtemps. J’ai aussi chanté dans, puis dirigé des chœurs d’église. Cependant je ne pensais pas forcément devenir musicienne car, bien qu’aimant énormément jouer du piano, je me sentais comme dérangée dans mon intimité lorsque quelqu’un m’écoutait. Au lycée, je me suis donc tournée vers une filière scientifique, une autre de mes grandes passions, avant de me décider pour la composition. Plus tard, je me suis aperçue que je « composais » sans le savoir depuis toute petite : je passais mon temps à reproduire les petites mélodies que j’entendais (jingles, chansons…), et à imaginer la suite au piano, en les transposant et les transformant. Ensuite, au cours de mes études de composition à l’Université Ewha, je me souviens d’avoir assisté à tous les concerts de la série de musique contemporaine appelée Ars Nova, qu’Unsuk Chin organisait avec l’Orchestre Philharmonique de Séoul. Il y avait quatre concerts chaque année, grâce auxquels j’ai pu découvrir nombre de compositeurs et compositrices du monde entier.
Vous faites aujourd’hui vos classes en France : pourquoi être venue étudier à Paris ?
Imsu Choi
D’abord, j’ai toujours aimé la musique française, puis, au fil des ans, le cinéma et la littérature françaises. En première année d’université, par curiosité, j’ai commencé à apprendre le français. Ça m’a tant plu que j’ai choisi le français et la littérature française comme matières « mineures ». Ensuite, ma professeure d’harmonie avait fait ses études au CNSM de Lyon et j’ai commencé à rêver de suivre son exemple pour venir approfondir mes études en France. Deux jours après avoir obtenu ma licence (Bachelor) en composition, j’ai donc quitté la Corée pour passer le concours d’entrée (en classe d’écriture) du Conservatoire de Paris en 2013.
Quelles sont les qualités respectives des cursus musicaux en France et en Corée ?
Imsu Choi
Les deux systèmes sont différents, avec, en France, les conservatoires, et les universités en Corée. En Corée, l’enseignement mêle classes d’écriture et de composition. Les cours d’harmonie, de contrepoint, de forme, d’orchestration, de composition se font en rendez-vous individuels et l’on doit mener au moins deux projets de concert par an au sein de la classe. On doit aussi suivre un cours de direction et on a la possibilité d’apprendre un autre instrument ou la musique traditionnelle. En outre, étant donné que cela se passe à l’université, on doit suivre des cours dans d’autres domaines comme les sciences humaines, les lettres, les sciences de la nature, etc. Cela constitue une ouverture passionnante. En France, on creuse chaque matière en profondeur, que ce soit la discipline principale ou une option. J’ai également apprécié de pouvoir entendre le résultat sonore du travail en cours, et ce quelle que soit la discipline abordée : on apprend beaucoup en se confrontant à la réalité acoustique. En classe de composition, nous avons en outre le privilège de travailler avec les étudiant·es du cursus Diplôme d’artiste interprète (réuni·es au sein de l’Ensemble NEXT avec lequel j’aurai le plaisir de travailler sur la pièce commandée par le Festival Présences) et même avec des ensembles tels que l’Ensemble intercontemporain, ainsi qu’avec les magnifiques ingénieur·es du son du Conservatoire pour la postproduction. L’importance de la classe de nouvelles technologies appliquées à la composition doit également être soulignée car elle ouvre une porte vers un monde infini. Sans elle, je ne serais pas la compositrice que je suis aujourd’hui.
En parallèle de votre carrière de compositrice, vous êtes ondiste…
Imsu Choi
J’ai découvert les ondes Martenot en deuxième année d’université à l’occasion d’un cours sur la musique du XXe siècle. À cette époque, j’étais passionnée par la musique d’Olivier Messiaen qui les a utilisées dans certaines de ses œuvres phares, et l’instrument m’a intriguée. Cependant, on ne trouvait en Corée ni ondes, ni ondiste. En 2013, lorsque j’ai été admise au Conservatoire de Paris en écriture, l’initiation aux ondes Martenot figurait parmi la longue liste d’options possibles, et j’ai saisi l’occasion. J’ai commencé, d’abord une année avec Valérie Hartmann-Claverie puis, après une année de césure, j’ai continué avec Nathalie Forget. À l’époque, c’était pour moi comme un passe-temps musical, pour occuper les moments de la journée où je ne composais pas. Mais le son des ondes Martenot me fascinait de plus en plus : grâce aux qualités propres à ses différents diffuseurs acoustiques, des notes naissent par sympathie et le résultat est magique. J’ai passé des heures à écouter ces sons cristallins aux pulsations mécaniques. La générosité de Nathalie Forget m’a permis de poursuivre mon apprentissage, jusqu’à intégrer, en 2018, la classe d’ondes Martenot du Conservatoire, en même temps que celle de composition.
Cette double carrière et la fréquentation des ondes Martenot ont-elles une influence sur votre approche de la composition ?
Imsu Choi
Pour être honnête, j’ai longtemps manqué d’idées pour aborder les ondes Martenot en tant que compositrice. Au contraire, j’ai voulu maintenir mes activités de compositrice et d’ondiste séparées. Je ne voulais pas que l’une fasse de l’ombre à l’autre et souhaitais que chacune se suffise à elle-même. Je n’ai donc jamais cherché à imiter les ondes par la composition, ni à être influencée par elles. Cependant, je dois avouer que des gens qui ne connaissaient pas à l’avance mon activité d’ondiste me font parfois la remarque que ma fréquentation de l’instrument explique certains aspects de ma musique.
Vous suivez en ce moment le cursus de l’Ircam avec un projet autour des ondes Martenot : comment approcher l’écriture de l’électronique sur un instrument qui est déjà électrique ?
Imsu Choi
Certes, les ondes Martenot fonctionnent grâce à l’électricité, mais c’est un véritable instrument électroacoustique ! Car la singularité des sons qu’elles produisent est le fait des caractéristiques de ses différents diffuseurs acoustiques (haut-parleurs à ressorts, diffuseur métallique et palme). Je veux élargir ces deux aspects : l’électronique et l’acoustique. Je récupère donc le signal d’ondes directement à la sortie de la console, avant qu’il ne soit envoyé sur son diffuseur dédié. Ce signal passe sur mon ordinateur pour être traité puis spatialisé via les haut-parleurs qui équipent la salle de concert. D’autre part, en utilisant une grande plaque-tonnerre, je veux maximiser l’aspect « réverbération acoustique », produit normalement par le haut-parleur « Résonant », ou D2, des ondes Martenot. Je peux alors envoyer le signal directement sur la plaque-tonnerre, ou récupérer, à l’aide de micros acoustiques traditionnels ou de micros de contact (pour le diffuseur métallique), le son produit par chacun des quatre diffuseurs des ondes Martenot, pour le réexploiter ensuite. Quand j’écris pour les ondes Martenot, je ne me prive pas non plus d’improviser, non seulement sur l’instrument mais aussi sur l’électronique pour expérimenter.
Quand on parcourt votre catalogue, on croise beaucoup de titres en français et en anglais, plus rarement en allemand, parfois inspirés de la littérature ou de la philosophie : comment les choisissez-vous et comment s’expriment-ils dans la musique ?
Imsu Choi
Cela varie de l’un à l’autre. L’une de mes pièces a aussi un titre en coréen : Saï-saï, qui définit « entre chaque ». Mes titres ont souvent un lien avec la source d’inspiration de la pièce. Pourtant, même dans le cas d’un titre emprunté à la littérature ou à la philosophie, mon objectif n’est nullement de le traduire en musique. Ce qui importe n’est pas pour moi de mettre en lumière une idée philosophique ou un thème littéraire mais bien plutôt de l’exprimer dans une forme autre, qui m’est propre, et en créant ma propre dramaturgie musicale. Dans la mesure du possible, si le mot me plaît, j’essaie de le garder dans sa langue d’origine, sinon j’en cherche un autre. Il ne s’agit pas toujours de littérature ou de philosophie : Weight of Waiting, pièce composée pour mon master au Conservatoire, s’inspire du travail de l’artiste afro-américaine Betye Saar, Vilasa est un mot sanskrit multisémique, que j’ai découvert au cours d’une lecture d’Homo ludens de Johan Huizinga, et Butterfly Dream vient d’une maxime traditionnelle tao. Et puis il y a des titres de mon invention : Vox:els, qui joue sur le double sens entre voix et voxel * ou Synacleft, contraction de synaptic cleft (mot anglais qui désigne la fente synaptique).
En février prochain, vous partagerez l’affiche avec Olga Neuwirth, invitée d’honneur du Festival Présences…
Imsu Choi
Je connais bien sûr l’œuvre d’Olga Neuwirth, même si je ne suis pas familière de tout son catalogue. Je me souviens encore de la première occasion que j’ai eue d’entendre sa musique au concert : c’était au cours du Grand Soir Olga Neuwirth, donné par l’Ensemble intercontemporain en 2019. Hommage à Klaus Nomi, particulièrement, a été un véritable choc. J’admire la grande liberté d’expression d’Olga Neuwirth, son ironie et l’éclectisme de sa musique.
* Le voxel, mot-valise créé en contractant « volume » et « pixel », est un élément d’une image en trois dimensions. Le voxel est à l’image 3D ce que le pixel est à l’image 2D.
Propos recueillis par Jérémie Szpirglas
L’Orchestre du Conservatoire et NEXT au Festival Présences4 février 2025 à 20h |
Photo : Olga Neuwirth © Harald-Hoffmann