Alors on danse
Mis à jour le 19 mars 2025
Danseur, chorégraphe, pédagogue, Cyril Baldy est invité à créer une pièce avec les étudiantes et les étudiants du Conservatoire : une pièce ouverte dont il ignore encore les contours exacts, à l’image de la manière totalement libre qu’il a d’appréhender la création en laissant aux interprètes une importante part d’autonomie. Entretien avec celui qui entend exalter la pure joie du mouvement.
Que pouvez-vous nous dire du projet que vous présenterez au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris ?
Cyril Baldy : Dans le cadre des journées « école ouverte », on m’a donné carte blanche pour créer une pièce rassemblant tous les étudiants et étudiantes du cursus classique. À l’heure où nous parlons, mon projet n’est pas encore tout à fait défini. Je sais néanmoins comment j’aborderai le travail : je commence toujours en faisant danser les élèves directement. J’écris des variations, je les leur transmets. À partir de là, ils ont une autonomie pour créer leur propre matériel. J’aime aussi, surtout pour les écoles, avoir une base musicale déjà assez forte, reconnaissable, mais qui demande de se concentrer sur la musicalité. J’adore le petit allegro, en classique, un rythme assez rapide qui permet de travailler la vélocité du jeu de jambes. J’aime aussi le contrepoint, avoir l’impression que les danseurs conduisent la musique, qu’ils la devancent légèrement. Si je devais résumer mon approche en une phrase, il s’agit pour moi de faire danser les gens. Exalter la joie du mouvement, aller au-delà de la forme et de la pure exécution.
Votre travail est donc empirique et se nourrit de l’improvisation qui naît au cours de workshops ?
Cyril Baldy : J’essaye, le plus possible, d’encourager l’improvisation, même si, comme je le disais, tout commence par un moment d’apprentissage des pas de danse qui est obligatoire. Il faut que tout le groupe ait le même langage, la même compréhension de la direction stylistique de la pièce. Et ensuite, les danseurs et danseuses peuvent utiliser ce matériel, imbriquer ses pièces comme dans une sorte de puzzle. À ce moment-là intervient encore de l’improvisation, improvisation qui, avec des élèves, reste très encadrée, très chorégraphique, avec des règles à suivre.
Quel sera l’impact sur votre travail de la contrainte du nombre, le fait de diriger un si grand groupe ?
Cyril Baldy : Je pense que ce sera cela, le vrai challenge. Comment organiser ce groupe et comment créer du sens, d’un point de vue pédagogique, pour tous les niveaux ?
Quel est votre rapport à la musique ? Vous êtes l’auteur de la partition musicale de certaines de vos créations contemporaines…
Cyril Baldy : Je ne suis pas un compositeur, mon rapport à la musique vient plutôt du Djing. Je travaille plutôt sur le sampling et le remix. Mon approche musicale rejoint de ce point de vue mon approche chorégraphique, qui consiste à trouver de la créativité dans l’assemblage de fragments existants. La dernière fois que j’ai travaillé avec des étudiants, j’ai marié plusieurs musiques très différentes : une première partie de violon classique, puis une deuxième jouée à l’orgue de cristal, dont les sonorités se rapprochent des bols de cristal, une sorte de drone music, d’ambient. J’ai ajouté une musique qui vient du footwork, qui a un rythme un peu implacable, obstiné. Pour la troisième partie, j’ai utilisé du funk brésilien. En fait, je me demande toujours, avant tout, ce qui est nécessaire au projet. On ne peut pas faire danser des étudiants en silence, il vaut mieux trouver une musique qui les implique fortement.
Vous-même avez suivi l’enseignement du Conservatoire, vous avez donc un souvenir précis de ce parcours, de ce vécu ?
Cyril Baldy : Effectivement, j’étais étudiant au Conservatoire entre 1993 et 1997. J’ai donc une expérience à la fois intérieure et extérieure car j’enseigne dans de nombreuses écoles. Je sais ce que cela signifie d’étudier dans une de ces grandes institutions et de participer à une création pour la première fois. Je vais essayer de donner aux étudiant·es une belle expérience.
La méthode que vous avez développée pour vos créations contemporaines, la sentient method, entre-t-elle en compte quand vous travaillez avec des étudiant·es de ballet ?
Cyril Baldy : En vérité, mon travail chorégraphique est quasi bipolaire. J’ai une pratique contemporaine, pratiquement expérimentale, dans laquelle je mets en œuvre cette méthode que vous évoquez. Et d’un autre côté, je travaille avec le ballet. La sentient method est née d’une question physique que j’ai développée lorsque j’ai quitté la compagnie Forsythe. Je me demandais comment enseigner l’improvisation. William Forsythe, comme vous le savez, a créé sa propre méthode d’improvisation synthétisée en 1999 dans le CD-Rom Improvisation Technologies, A Tool for the Analytical Dance Eye. Quand j’ai quitté la compagnie Forsythe, je me suis demandé comment je pouvais enseigner et commencer à créer des pièces. Ma méthode s’est développée petit à petit, au fur et à mesure des projets, des années : j’ai réalisé que j’avais des façons de faire. Je les ai synthétisées dans la sentient method, qui évolue continuellement parce que je rencontre de nouvelles personnes, je crée de nouvelles idées. Son principe est d’activer pleinement les connaissances physiques de l’interprète pour voir quels mouvements surgissent. Le ballet, au contraire, relève de la production de mouvement à partir d’un langage déjà écrit. Ce sont donc deux approches complètement différentes.
Comment votre approche du ballet a-t-elle été influencée par le temps que vous avez passé au sein de la compagnie Forsythe, en tant que danseur puis en tant que directeur des répétitions et metteur en scène ?
Cyril Baldy : Il m’en est resté une approche fondée sur quatre pôles : la danse, le mouvement, la musicalité, le contrepoint. Dans ses pièces des dernières années, William Forsythe est revenu à quelque chose d’un peu plus académique. J’essaie, pour ma part, de rester dans le canon académique le plus possible. En tout cas, je n’utilise pas de pieds et mains flex, je reste vraiment dans le vocabulaire classique. Je ne veux pas tendre vers le néoclassique. Certaines instructions que je donne sortent cependant du vocabulaire de la verticalité propre au langage classique. Je parle beaucoup de ce qui se passe derrière le corps, j’essaie de renverser le mouvement. J’aime le flow, avoir le sentiment que les gens dansent. J’aime le petit allegro parce que c’est un rythme enlevé, comme un galop. J’aime qu’il y ait une certaine difficulté chorégraphique. Il s’agit de faire en sorte que les danseurs doivent trouver des solutions pour résoudre la chorégraphie. À partir des variations, ils se livrent à ce jeu de puzzle et donc, ils re-chorégraphient ma chorégraphie. Je suis attentif également au jeu de bas de jambes. Cela provient de Forsythe et de Christiane Vaussard, professeure qui a enseigné au Conservatoire avant mon passage entre ses murs, et à l’école de danse de l’Opéra de Paris. Elle était la reine des bas de jambes à la française, du petit allegro, de cette vivacité. C’est vraiment quelque chose que j’admire, sans l’avoir expérimenté directement en tant qu’étudiant. Je reviens dessus presque trente ans après.
Comment enseignez-vous la musicalité ? Le manque de rapport à la musicalité est un reproche que Benjamin Millepied avait adressé à l’enseignement de la danse classique en France.
Cyril Baldy : Pour moi, en France comme ailleurs, la musicalité est quelque chose qui se travaille. On croit, à tort, qu’elle advient d’elle-même. Or c’est un travail à faire, un effort à fournir. L’exemple que je donne souvent est celui du chef d’orchestre. Sans lui, l’orchestre ne joue pas vraiment. Il insuffle l’attaque, il impulse le souffle, il exagère ses mouvements pour créer la musicalité, qui demande beaucoup à l’interprète.
Comment abordez-vous les danseur·ses de ballet, si votre sentient method n’entre pas en jeu ?
Cyril Baldy : Je ne parle jamais de psychologie, de ressentis, cela appartient aux danseur·ses. Je ne parle que d’actions physiques, mais toute cette intériorité sensible ressort, bien sûr. C’est cela qui est beau, en fait : quand cela commence à être théâtral. Ce que la personne traverse au niveau physique devient prégnant. Son ressenti dans la danse, sa relation avec l’extérieur, sont prégnants. C’est ce qui est fabuleux, quand on chorégraphie : on voit comment les gens peuvent se comporter individuellement et en groupe. Je ne m’en lasse jamais.
Propos recueillis par Delphine Roche
École ouverte / Cartes blanchesDu 10 au 12 avril 2025 En savoir plus : École ouverte – représentations |