
Maëvane Jakkel
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Diplôme de 1er cycle danse classique 2020Danse classique
Histoires de ruptures
Directeur des études chorégraphiques : Cédric Andrieux
Professeur principal : Isabelle Ciaravola
Recherche encadrée par Sylvie Berthomé
Par définition, la rupture désigne le fait de (se) casser ou est synonyme de séparation (entre deux objets / personnes qui étaient unies par exemple). Du milieu médical au milieu juridique, en passant par le milieu commercial, le nom « rupture » est utilisé fréquemment et n’a qu’un faible impact, si ce n’est aucun, sur notre vie quotidienne. Cependant, celle-ci peut être bien plus personnelle : la séparation, la perte, la maladie, la mort sont des épisodes que chaque humain connaît au moins une fois dans sa vie et qui nous touche intérieurement.
Rupture mais aussi coupure, fracture, séparation, destruction, interruption. La liste des synonymes est longue mais les sentiments qu’ils entraînent sont généralement les mêmes : tristesse, colère, peur, doute. Cela nous affecte donc plus ou moins selon la cause du brisement intérieur. Selon les personnes, l’accumulation des émotions, éprouvées durant plusieurs jours, peut faire naître une certaine solitude ou une perte de contrôle. Ainsi, de manière générale, nous pouvons simplement dire que la rupture est une cessation soudaine qui intervient dans notre existence et qui a des répercussions sur nos quotidiens.
Selon Claire Marin, auteure et philosophe, « la rupture nous fait basculer, elle est un saut dans l’existence. Il y a une sorte de dislocation, de l’inédit. Le propre des ruptures, c’est qu’elles sont toujours inimaginables, impensables. Certaines entraînent une réévaluation de notre existence. Au début, c’est un vide, angoissant, et douloureux, car on a l’impression d’être soi-même vide. […] Il faut penser un temps, une convalescence. La rupture laisse une empreinte, elle change nos aspirations, comme si la vie imaginée n’était plus tenable, parce qu’elle supposait une insouciance perdue avec la rupture. »
J’ai voulu explorer et travailler autour de la rupture et particulièrement sur les émotions que celle-ci engendre. J’ai donc décidé de combiner chaque émotion à un mouvement spécifique. La colère est caractérisée par des mouvements lents qui deviennent de plus en plus rapides, le doute par des accents issus principalement du haut du corps, la peur d’affronter le futur par différentes photos, la fuite par la course. J’ai travaillé la solitude à partir du tableau La Chambre ovale de Christian Boltanski. Sur celui-ci, on peut apercevoir une silhouette, seule dans une pièce, assise au sol - situation que j’ai reproduite dans l’extrait concerné.
La Chambre ovale - Christian Boltanski
1967 – Peinture acrylique sur isorel, 115 x 146,5 cm
Tout au long du projet, j’ai voulu inclure la rupture dans tous les éléments utilisés. Pour commencer, les images visuelles sont composées d’extraits vidéo, plus ou moins longs, qui se coupent les uns des autres. Des photos de différentes situations surgissent également comme des flashs. De plus, les vidéos ont été tournées dans deux lieux distincts. Le premier est devant un mur blanc dans mon salon, un lieu simple et commun. Le deuxième lieu est totalement différent puisque je suis allée dans les hauteurs de mon village afin d’avoir une vue ouverte et dégagée sur les montagnes. Les plans dans la montagne ont donc plus de reculs et permettent de voir mon corps en entier, contrairement au plan dans mon salon où l’on visualise des plans plus rapprochés, voire centrés uniquement sur une partie du corps, ce qui est plus intime. Pour accompagner les images, j’ai créé un fond sonore déstructuré. Ainsi bruits de la nature, chanson, silence, frottements s’enchainent en produisant une vraie coupure avec les diverses images. J’ai choisi la chanson Duvar d’Hasan Ozsut car c’est une chanson répétitive qui s’intensifie de plus en plus. Faute de parole, seule une voix féminine chantonne la même mélodie comme si elle ne pouvait parler, bloquée. Cette chanson est tirée du film turc Koğuştaki Mucize de Mehmet Ada Öztekin, qui a mon sens est chargé de rupture (séparation, changement, déchirement, mort).
Annexes
Interview de Claire Marin
La Chambre ovale – Christian Boltanski
https://www.centrepompidou.fr/cpv/resource/czzyGG4/rejdj8R
Chanson Duvar – Hasan Özsüt
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Que représente pour vous la danse classique en 2020 ?
La danse classique est aujourd’hui l’héritage des danses de la Renaissance. En effet, celles-ci n’ont cessé d’évoluer à travers les différents siècles jusqu’à aujourd’hui. Les ballets que nous connaissons ont été créés à partir du XIXe siècle, époque où la bourgeoisie et les hommes avaient tous les droits. Ces ballets possèdent donc le même argument que l’époque, malgré l’évolution de la chorégraphie. Cela engendre le fait que, en les dansant, nous partageons et approuvons les discriminations représentées. Pour exemple, nous pouvons simplement prendre la majorité des grands ballets classiques datant du XIXe siècle dont l’histoire se déroule autour d’un couple blanc hétérosexuel, avec un beau jeune prince parfait comme dans Le Lac des cygnes. Plusieurs scènes discriminatoires sont également présentes dans l’acte II de Casse-Noisette avec notamment la danse chinoise dans laquelle les danseurs font des acrobaties ou bien dans la danse russe. Si ces stéréotypes étaient normaux à l’époque, il est évident qu’en 2020 ces scènes sont gênantes voire inacceptables. C’est pourquoi l’arrivée du contemporain et du néo-classique au XXe siècle a été selon moi très importante puisqu’elle a apporté de nouvelles idées, beaucoup plus ouvertes, en harmonie avec notre époque. Aussi, on peut voir que ces deux disciplines se développent et prennent de plus en plus d’importance dans le monde de la danse. Les danseurs d’aujourd’hui doivent être capables de danser différents styles afin de travailler avec plusieurs chorégraphes et d’enrichir encore plus leur répertoire personnel.
Qu’est-ce qui vous tient particulièrement à coeur dans votre engagement de danseur ?
Les cours, le travail et les répétitions ont pour but d’améliorer notre danse tant aux niveaux technique et artistique, mais ils ont aussi, pour finalité, de produire un spectacle sur scène. Depuis notre plus jeune âge, nous travaillons en studio pour acquérir une base assez solide afin de pouvoir travailler avec des chorégraphes. Le processus de création, qui dure plusieurs semaines, voit naître de jour en jour la chorégraphie. De la première respiration à l’ajustement du dernier détail en passant par les agencements musicaux, les différentes phases traversées apportent joies et satisfactions. Le fait de partir de rien et de construire une pièce unique, qui sera ensuite dévoilée et partagée avec le public sur scène, est une expérience tant excitante qu’enrichissante.
Que retenez-vous de ces quatre années au CNSMDP ?
Étant arrivée très jeune, je pense avoir énormément appris pendant mes années au Conservatoire. Tout d’abord, avoir vécu à l’internat les premières années m’a permis d’acquérir une certaine responsabilité et autonomie. En effet, vivre loin de ma famille tout en suivant un double cursus exigeant dans la ville qu’est Paris, m’a fait grandir plus vite et m’a appris à résoudre des problèmes seule. La discipline qu’est la danse classique, m’a apporté rigueur et persévérance. Durant ces années, j’ai eu la chance d’apprendre à travers de grand(e)s danseur(se)s ; l’excellence combinée à l’exigence était au cœur de leur travail. Par ailleurs, grâce à la diversité que possède le Conservatoire et aux différents cours suivis durant mon cursus, j’ai pu grandir avec une certaine ouverture d’esprit et je peux ainsi me projeter dans ma future vie d’adulte.