À la mémoire d’un ange – Les coulisses de la production avec Louis Langrée
Mis à jour le 16 novembre 2021
Rencontre avec Louis Langrée, nouveau directeur de l'Opéra-Comique et chef d’Orchestre de cette coproduction du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris et de la Philharmonie de Paris.
Ils se réunissaient depuis quelques jours en salle Meyer du Conservatoire de Paris pour une production des plus attendues. C’est sous la baguette de Louis Langrée que les étudiants de l’Orchestre du Conservatoire de Paris interprèteront, ce mardi 10 novembre à la Philharmonie de Paris, un programme inédit autour de Brahms, Webern et Berg, aux côtés du talentueux violoniste Christian Tetzlaff.
« À la mémoire d’un ange » réunit trois œuvres viennoises nées dans l’espace d’un demi-siècle et qui se répondent tout en interrogeant le rapport de la musique et de la création au passé.
Louis Langrée, récemment nommé à la direction du Théâtre national de l'Opéra-Comique intervient ici en tant que chef d’Orchestre. Il nous dévoile dans un entretien exclusif le caractère essentiel de ce type de projet pédagogique.
Nous sommes ici en répétition pour le concert « A la Mémoire d’un Ange » ; pouvez-vous nous présenter brièvement ce projet ?
Il y a un compositeur central dans ces trois œuvres qui est Jean Sébastien Bach. C’est l’ombre qui plane au-dessus de ces trois compositeurs.
Nous avons tout d’abord décidé de présenter la 4e symphonie de Brahms, donc la dernière œuvre du programme, qui est une grande symphonie romantique du répertoire et dont le dernier mouvement est une passacaille tirée d’une cantate de Bach à laquelle Brahms a rajouté une note. Tout ce dernier mouvement de symphonie, qui est l’une des plus grandes symphonies romantiques, se structure dans une forme très ancienne de passacaille, donc avec huit mesures, qui reviennent plus d’une trentaine de fois.
Le concerto À la Mémoire d’un Ange, qui est le concerto emblématique de la seconde école de Vienne, mais l’un des plus bouleversants également, comporte lui une citation d’un choral de Jean Sébastien Bach dans le deuxième mouvement.
Et nous allons commencer ce concert par un autre grand compositeur de la seconde école de Vienne, Anton Webern, mais avant le dodécaphonisme, donc on est presque dans du post-Mahler. C’est une œuvre extrêmement capiteuse de sonorités, pleine d’ombres, de clair-obscur, mais là aussi s’articulant sur une passacaille avec également des notes étranges dans les passages en ré mineur.
L’unité de ce programme c’est donc Jean Sébastien Bach, au travers de Brahms qui est à la fois un compositeur dans la tradition romantique, et en même temps un visionnaire. D’ailleurs, il y a ce fameux article de Schoenberg sur Brahms le moderniste, celui qui va projeter la musique en avant, chose que l’on a avec Webern et ensuite plus encore avec Alban Berg.
On a l’un des plus grands interprètes de ce concerto de Berg qui est Christian Tetzlaff, qu’il interprète depuis des décennies. Et sa science, sa connaissance, sa sensibilité, son goût de la pédagogie, sont formidables.
Aujourd’hui vous travaillez sur ce projet en tant que chef d’orchestre et assurez la direction des élèves du Conservatoire, en quoi ce travail de pédagogie est-il important pour vous ?
Parce que l’on apprend évidemment au conservatoire à jouer de son instrument. Il y a des classes de musique de chambre également, il y a des classes d’orchestre mais c’est plus spécifique je dirais. Chose en même temps extrêmement importante, autrefois vous aviez des élèves qui se destinaient uniquement à une carrière de soliste, d’autres à des carrières de musiciens d’orchestre. Aujourd’hui je crois qu’il n’y a plus cette distinction. Les musiciens font de la musique de chambre, des récitals, des concertos, jouent dans l’orchestre, enseignent. Cela fait partie de la vie de tout musicien. Et donc, l’enjeu est de trouver comment se fondre dans le groupe, sans ajouter de l’inertie mais au contraire, être un élément vivant et moteur du groupe. Comment cultiver ensemble, même sur une session aussi courte, une spécificité une identité sonore ? C’est une chose extrêmement importante, primordiale même, pour le développement de leur carrière.
Et vous avez perçu des spécificités de cet orchestre aujourd’hui ?
Oui ! Par exemple, hier dans la symphonie de Brahms, il y a un passage où j’ai senti que chacun jouait du mieux qu’il pouvait mais, réussir à construire un son ensemble, c’est différent.
Je leur ai donc dit : « imaginez par exemple que vous allez auditionner à la Philharmonie de Berlin, et ce que vous connaissez, ce que vous reconnaissez de ce son, de l’opulence de ce son, mettez-le maintenant et jouez, pour qu’ils aient envie de vous engager. » C’était un tout autre son d’orchestre, parce que cela a fait appel à leur imaginaire et à leurs connaissances, et immédiatement après, à comment traduire techniquement avec l’archet, le vibrato, cette sonorité collective. La différence était stupéfiante.
Ce matin également, Christian Tetzlaff, qui connait ce concerto par cœur mais aussi avec le cœur, et intimement je dirais, trouvait évidemment tout de suite les mots pour susciter des images, des atmosphères, des couleurs musicales et des gestes musicaux.
Y a-t-il quelque chose de particulier à un orchestre comme celui-ci, composé de jeunes musiciens, en comparaison avec les orchestres que vous avez l’habitude de diriger ?
Je dirais qu’ils sont vierges de tout a priori, parce qu’ils ont peu d’expérience commune, donc ils sont peut-être plus confiants pour aller dans une direction.
En même temps on n’a pas cet esprit de corps et ça, il faut le cultiver, il faut que lorsqu’on respire sur une prise d’archet, l’on ait une respiration collective. Qu’avant même d‘avoir produit le son, on le choisisse, qu’on en choisisse la couleur, l’attaque, le soutien, le galbe de la phrase, la direction, etc.
Vous prenez la direction du Théâtre national de l'Opéra-Comique et succédez à Olivier Mantei, nommé pour sa part à la Philharmonie de Paris et qui succède lui-même à Laurent Bayle, à la tête de la Cité de la musique depuis 2001.
Comment percevez-vous la place/le rôle du Conservatoire dans cet écosystème et quelles sont vos ambitions pour l’avenir en termes de collaboration ?
Entre le lieu où l’on apprend et le lieu où l’on produit, il faut des passerelles. Et d’ailleurs cette session d’orchestre en est une.
On a vu les ravages de cette crise sanitaire où tout d’un coup les étudiants sont bloqués, paralysés, parce qu’il y a ce gouffre qui sépare le lieu d’apprentissage du lieu de production. Il faut donc des passerelles, et c’est ce que vous faites magnifiquement bien et que je veux développer plus encore à l’Opéra Comique par la création d’une nouvelle académie, avec ce système d’apprentissage qui est tellement important je trouve.
L’on étudie et à l’issue, il ne faut pas être jeté dans la fosse aux lions tout de suite. Il faut être accompagné, car de cette manière il n’y a pas de cassure comme il peut y avoir dans d’autres professions où, une fois votre diplôme obtenu, vous êtes dans la vie active, pas avant. En musique ce n’est pas ça, comme dans toute discipline artistique d’ailleurs : on apprend, on transmet, on donne, on découvre, tout au long de sa vie.
Quelques places sont encore disponibles pour cette représentation. Réservez au plus vite vos billets sur le site de la Philharmonie de Paris.